Les dessous de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR)
L’insoutenable légèreté du Canada envers les réfugiés
Une entrevue avec Stewart Istvansffy
Stewart Istvansffy est avocat et pratique le droit à Montréal. Il est spécialiste du droit des réfugiées.
ÀB ! – Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ?
Stewart Istvansffy – La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) est un tribunal administratif très important. Il traite de toutes les questions relatives à l’immigration et aux demandes de statut de réfugié. Il rend des décisions sur la détention et l’expulsion des personnes qui demandent l’asile.
ÀB ! – Comment sont nommés les commissaires à la CISR ?
S. I. – C’est le cabinet du gouvernement fédéral qui nomme les commissaires. Les gens qui s’y trouvent sont des amis du régime : des anciens candidats du parti, des attachés politiques de ministres, etc. Les véritables problèmes sont le manque de formation des commissaires et le patronage.
ÀB ! – Quels sont les principaux défauts ou les principaux vices de procédure qu’on peut retrouver à la CISR ?
S. I. – Il y en a beaucoup. En général, lorsqu’on juge un cas, on devrait être à la recherche de la vérité, c’est-à-dire poser des questions ouvertes et écouter attentivement le témoignage de la personne réfugiée. Au contraire, les commissaires sont souvent à la recherche du mensonge. Par rapport aux documents venant des pays du Tiers monde, on adopte une attitude fermée sur ce qui est acceptable ou non. Dans les audiences, on commence par un contre-interrogatoire. Par exemple, depuis deux ou trois ans, on questionne le demandeur sur son voyage d’arrivée au Canada. C’est un point très secondaire dans une demande de statut de réfugié, mais c’est devenu l’un des points principaux !
Il y a aussi des audiences où on agit afin de refuser certains groupes ethniques. Prenons les Sikhs, une communauté avec laquelle j’ai beaucoup travaillé ; certains commissaires refusent systématiquement les Sikhs. Ils disent que la situation est réglée en Inde, qu’il n’y a plus de guerre sale et plus de militance. Pourtant, tous les groupes de droits humains disent le contraire.
ÀB ! – Le fardeau de la preuve est donc inversé, la victime devient l’accusé aux yeux du CISR.
S. I. – Il faut être nuancé. Il y a de très bons commissaires qui croient à la nécessité d’un tribunal pour protéger les droits humains. D’un autre côté, les commissaires sont formés pour garder le contrôle. Dans plusieurs audiences, on encadre, on cherche une réponse négative, on ne laisse pas la personne réfugiée parler de sa situation. Le véritable problème est un problème de système : la CISR fonctionne comme une police de l’immigration et non comme un tribunal gardien des droits humains.
ÀB ! – Est-ce que la montée de la droite peut aggraver la situation ?
S. I. – C’est déjà fait ! En ce moment, le système est en crise, pour l’immigration comme pour les personnes qui demandent le statut de réfugié ; on renvoie des gens à la torture et à la mort. Prenez l’ÉRAR (l’Évaluation du Risque Avant Retour), qui est une procédure préalable au renvoi d’un réfugié dans son pays afin de s’assurer qu’on ne renvoie personne à la mort ou à la torture. Au Québec, le taux de refus de l’ÉRAR est de 98,6 % ! On fait comme s’il y avait une vraie étude avant renvoi, mais c’est un mensonge. Actuellement, au Canada, il y a des violations des droits humains en matière d’immigration.
ÀB ! – Qu’est-ce que vous suggérez pour que les choses changent ?
S. I. – C’est une grande question ! Par rapport à l’audience à la CISR, je crois que la formation doit être améliorée, notamment par un apport du Haut commissariat aux réfugiés et du Barreau canadien. Concernant l’ÉRAR, je crois que c’est au niveau d’un tribunal, pas au niveau des bureaucrates, qu’une telle décision doit être prise.
On ne peut pas parler des problèmes en matière d’immigration sans parler de la Cour fédérale. Cette cour est extrêmement conservatrice. Elle ne garantit pas les droits fondamentaux, ni concernant le statut des réfugiés, ni en matière d’immigration.
Il faut revoir aussi le droit d’appel. La loi de juin 2002 prévoit une procédure d’appel d’une décision de la CISR. Toutefois, la section d’appel n’est pas encore en vigueur, le ministre nous dit qu’il manque de ressources…
Nous avons investi beaucoup de ressources pour la détention, la déportation et la répression des réfugiées, mais aucune ressource pour assurer un procès juste, un droit d’appel et le respect des droits humains. Nous avons choisi l’option de la déportation massive plutôt que le respect de nos engagements internationaux en matière de droits humains.