Au Sud-Soudan
Enjeux du référendum
Par Aziz Abaour
La population sud-soudanaise a voté à 98,83 % pour l’option de la sécession, d’après les résultats définitifs officiels qui ont été rendus publics au début du mois de février. Ce chiffre est venu confirmer les résultats provisoires qui circulaient déjà fin janvier. Près de quatre millions d’électeurs s’étaient inscrits pour ce scrutin historique, dont environ 3,8 millions au Sud-Soudan. Les Sud-Soudanais vivant dans le Sud, mais aussi ceux résidant dans le nord du pays et à l’étranger, avaient le droit de participer à ce scrutin. Le référendum, organisé du 9 au 15 janvier, était un élément-clé de l’accord de paix qui avait mis fin à deux décennies de guerre civile en 2005 entre le gouvernement de Khartoum et les rebelles du Sud.
Les responsables nordistes et sudistes disposent à présent d’environ six mois pour se mettre d’accord sur des dossiers sensibles, dont la délimitation des frontières, le partage des revenus du pétrole ou encore le statut de la région d’Abyei qui demeure pour le moment l’objet d’un litige. Le Sud, majoritairement non musulman, recèle autour de 70 % des réserves pétrolières, mais les raffineries et les oléoducs indispensables à l’exportation de brut passent par le Nord. Il y a aussi le défi de trouver une solution négociée à l’enjeu des réfugiés. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), 1,5 million à 2 millions de Sud-Soudanais vivent au Nord (sur une population totale de 42 millions d’habitants, dont 8 à 10 millions au Sud). Leur avenir est incertain. La question de leur nationalité ainsi que celle des Nordistes au Sud font partie des points litigieux à régler.
Historique du conflit
Comme le signalait avec raison le politologue Gérard Prunier, la sécession qu’annoncent les résultats de ce référendum est historique et constitue un tournant « non seulement pour ce pays déchiré par les guerres civiles depuis un demi-siècle, mais aussi pour le continent africain tout entier : pour la première fois, le sacro-saint principe de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation a été remis en cause [1]. » Il faut en effet savoir que depuis 1963, année de création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), les États postcoloniaux africains ont convenu que les délimitations – souvent arbitraires et aléatoires – imposées par les puissances coloniales entre 1885 [2] et 1926 ne devaient pas faire l’objet de remises en cause. Ce référendum ouvre donc une boîte de Pandore.
Il importe ici de rappeler que cette consultation référendaire a été précédée de nombreuses initiatives diplomatiques pour amener le gouvernement soudanais à tenir ce référendum. Avant que le Darfour ne fasse l’actualité, le Soudan était ravagé depuis plus de 20 ans par une guerre civile entre le gouvernement du Soudan et le Sudan People’s Liberation Movement /Army (SPLM/A), jusqu’à la signature du Comprehensive Peace Agreement (CPA) le 9 janvier 2005. Mais les négociations à Naivasha (au Kenya) où a été signé le CPA ont aussi été précédées, comme le relève finement Maria M. Gabrielsen [3], « d’une campagne de mobilisation publique, surtout aux États-Unis mais s’appuyant sur les liens avec les sociétés civiles en Europe. Comment ces deux conflits ont-ils été inscrits à l’« agenda public » international ? Comment ont-ils sensibilisé des opinions publiques et des sociétés civiles extérieures au Soudan ? Les appels à ladite « communauté internationale » pour restaurer la paix dans des pays déchirés par la guerre sont plutôt fréquents. Mais l’attention publique aux différents conflits armés de par le monde est très inégalement distribuée. Comment expliquer la montée en puissance des mouvements de protestation publique autour des deux conflits soudanais ? » Nous ne pourrons pas répondre ici à ces questions, il importe toutefois de dire que cette intuition est également au centre des interrogations soulevées par l’historien ougandais Mahmood Mamdani [4] à propos de la couverture et du soutien médiatiques qui prévalaient à l’égard du conflit au Darfour. Mamdani situe cet intérêt dans la foulée de l’établissement d’un nouvel ordre humanitaire international.
Le guêpier pétrolier
Pour de nombreux observateurs, c’est sans conteste l’appât du pétrole qui fait autant courir les grandes puissances dans cette région. C’est en 1978 que la compagnie états-unienne Chevron découvre l’or noir au Sud-Soudan. Les revenus pétroliers ne seront effectifs que vers la fin des années 1990, mais ils renforcent à ce moment-là la position du gouvernement soudanais dans la guerre aux rebelles sudistes du SPLM/A. Ainsi, les revenus pétroliers ont facilité l’achat de matériel de guerre, mais ils ont aussi suscité l’intérêt de plusieurs États, notamment occidentaux, pressés d’exploiter les champs pétroliers soudanais en dépit des violations notoires aux droits humains du régime soudanais. On l’aura compris, la position occidentale actuelle n’a donc pas toujours été aussi critique à l’égard de Khartoum.
Les choses changent toutefois vers la fin des années 1990. Cela coïncide avec l’arrivée d’un acteur important, la Chine. En effet, c’est en 1997 que la China National Petroleum Corporation (CNPC) s’est associée aux sociétés Petronas et Talisman, respectivement malaysienne et canadienne, pour signer un accord avec la Sudapet, l’entreprise pétrolière du gouvernement soudanais. Cette période est aussi celle d’un armement du régime soudanais par la Chine. C’est dans ce contexte qu’émergent une série d’acteurs de la société civile et d’ONG dans le débat public sur ce conflit. Et ils ne sont pas étrangers au rapport de force que les rebelles sudistes ont pu constituer face au régime soudanais d’Omar El Béshir, qui n’est ni mieux ni pire que nombre de dictateurs que les grands de ce monde soutiennent.
Il reste à voir si une telle mobilisation sera possible ailleurs sur le continent, notamment au Sahara Occidental qui attend depuis 1994 que les termes des Accords de Houston soient mis en application : ceux-ci prévoyaient l’organisation d’un référendum pour statuer définitivement sur le sort de ce territoire auquel le Maroc refuse le droit à la sécession. Il y a lieu d’en douter.
[1] Le Monde diplomatique, février 2011, p.16-17.
[2] 1885 est l’année de la conférence de Berlin qui définit les contours de l’expansion européenne sur l’Afrique et le partage qui en découle logiquement.
[3] Revue Outre-Terre, 2007, vol. 3, n° 20, p. 392.
[4] Mahmood Mamdani, « The politics of Naming : Genocide, Civil War, Insurgency », London Review of Books, 8 mars 2007.