Une réelle démocratie citoyenne

No 039 - avril / mai 2011

Face à la réaction conservatrice

Une réelle démocratie citoyenne

Amélie Nguyen

Le 28 janvier dernier, répondant à l’appel de la Coalition Pas de démocratie sans voix, plus d’une soixantaine de représentantes d’organisations de la société civile se réunissaient pour établir un plan d’action en réponse aux politiques conservatrices du gouvernement canadien qui menacent la démocratie, la liberté d’expression et l’État de droit. Il en a résulté un appel à une mobilisation collective contre cette menace lancinante qui ébranle nos institutions démocratiques et risque de court-circuiter à long terme le fonctionnement normal de la démocratie canadienne.

la suite du scandale du transfert des détenus afghans et de la prorogation du Parlement, fin 2009 et début 2010, quelques organisations se sont réunies face à l’urgence d’agir pour contrer les reculs démocratiques au Canada. Ce petit groupe s’est par la suite élargi pour devenir la coalition Pas de démocratie sans voix. Lancée officiellement en juin dernier, cette coalition rallie des organisations de la société civile de divers secteurs à travers le Québec : des groupes de femmes, des groupes communautaires, des organisations de coopération internationale, des organisations syndicales, des groupes de défense des droits de la personne, des groupes d’économie solidaire etc.

Le plan adopté vise, par de multiples actions (dont des conférences de presse, des actions d’éducation populaire, des manifestations) qui seront reprises de manière autonome par plusieurs groupes à travers le Québec, à faire connaître les dangers des politiques conservatrices et à amener la population du Québec et du Canada à se mobiliser en bloc pour y faire face. Fait important : la Coalition Voices, partageant les mêmes objectifs, mais œuvrant dans le reste du Canada, travaillera de concert avec Pas de démocratie sans voix pour donner une portée pancanadienne aux actions prônées.

Le 28 janvier  : catalyser l’action

Depuis le début, la difficulté à laquelle la coalition doit faire face, et les citoyennes y sont aussi confrontés quotidiennement, c’est que ces reculs démocratiques se présentent de manière éparse dans des secteurs divers et qu’il est difficile d’établir des liens clairs entre eux, d’y discerner une stratégie globale du gouvernement fédéral. Des groupes, des individus et des institutions sont ciblés de manière isolée, des modifications administratives sont apportées, des nominations partisanes sont effectuées à la pièce, les projets de lois sont présentés à plusieurs reprises, sous diverses moutures. Cette multitude de terrains de lutte a tendance à désorienter les organisations et à les diviser plutôt que de les rassembler.
La rencontre du 28 janvier visait à faire comprendre le projet plus large qui permet de donner un sens commun à ces menaces à la démocratie qui peuvent sembler isolées. La présentation de Christian Nadeau [1] a permis de dévoiler la philosophie conservatrice du gouvernement Harper, qui superpose un libertarisme économique (le marché comme vecteur de création de richesse pour tous, fondé sur la libéralisation, la privati­sation, la déréglementation, l’individualisme, répétés comme des mantras) et un conservatisme moral (où certaines valeurs traditionnelles sont défendues par le gouvernement pour éviter que la société ne tombe dans un dangereux relativisme moral). Cette philosophie permet au gouvernement de concilier ce qui semble irréconciliable : prôner un retrait de l’intervention de l’État au plan économique tout en appuyant son intervention dans la défense des valeurs conservatrices.
La mise à l’écart des groupes et individus qui critiquent le gouvernement et le rétrécissement de l’espace démocratique résultent de cette deuxième tendance. La critique faite par une population bien informée et la diversité des points de vue ne font pas bon ménage avec le dirigisme moral.

L’urgence d’agir

Au cours des derniers mois, la participation citoyenne a été mise en péril par des reculs en matière de liberté d’expression pour les individus comme pour les groupes de la société civile s’étant montrés critiques envers le gouvernement. L’accès à l’information sur les politiques publiques est devenu de plus en plus difficile, au point où le Canada, autrefois un leader en la matière, a glissé au dernier rang parmi cinq démocraties parlementaires (Nouvelle-Zélande, Grande-Bretagne, Australie, Irlande) dans le cadre d’une récente étude. On a observé d’importants reculs dans le respect des droits de la personne, en particulier chez les groupes les plus marginalisés de la société (prisonniers, réfugiés, lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres, groupes autochtones, etc.).

Or, au-delà de ces tendances déjà très préoccu­pantes, mais qui pourraient n’être que ponctuelles, ce qui inquiète le plus, ce sont les modifications profondes et durables du fonctionnement des institutions démocratiques qui constituent le fondement du bon fonctionnement de la démocratie canadienne et du rapport respectueux et constructif de la société civile avec le gouvernement. La nomination de nombreux sénateurs et juges d’allégeance conservatrice, l’abolition du formulaire de recensement long obligatoire, et l’utilisation abusive de la prorogation afin de bloquer le débat parlementaire risquent de saper la capacité même des citoyennes et de leurs représentantes au Parlement d’influencer les décisions du gouvernement, et ce, à long terme.

D’où l’urgence d’agir. Christian Nadeau parle de «  révolution conservatrice  », parce que le projet du gouvernement ne serait pas simplement de mettre en œuvre les politiques conservatrices pendant son mandat, mais bien de s’assurer qu’elles puissent continuer à avancer sans que les conservateurs eux-mêmes soient au pouvoir, à travers une mainmise sur les institutions. Cette «  révolution  » sera plus longue et difficile à renverser qu’à mettre en place. La Coalition nous appelle donc à agir ensemble et rapidement avant que ces politiques ne soient définitivement établies dans la durée.


[1Christian Nadeau, Contre Harper, bref traité philosophique sur la révolution conservatrice, Montréal, Boréal, 2011.

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