Que valent les départements d’éducation ?
André Major écrit, dans Prendre le large, que son père, qui était instituteur, avait refusé une première résidence pour personne âgée : « Nous avions emmené mon père visiter une résidence près de chez nous, non loin de la rivière des Prairies, mais il craignait de se retrouver parmi de vieux riches trop bien habillés. Là où il va, aucune crainte à ce sujet : tout y est modeste – la clientèle, le décor et l’environnement. » Mon père, qui avait quitté l’école après une troisième année et qui conduisait des trains pour le Canadian Pacifique Railway (CPR), avait eu la même réaction. Cette coïncidence n’est pas le fruit du hasard. Il n’y avait pas de différence de classe entre un instituteur et un ouvrier d’une grande entreprise. Mon père, qui admirait l’instruction des instituteurs, gagnait alors un meilleur salaire qu’eux, tandis que devenir instituteur pour quelqu’un des milieux populaires s’inscrivait et s’inscrit toujours dans un projet de promotion sociale.
Dans La fiancée américaine d’Éric Dupond, un des personnages, qui « a fait un certificat d’enseignement pour devenir prof », écrit à son frère : « Tu diras en persiflant qu’il ne s’agit pas là d’un grand accomplissement et que les facultés d’éducation acceptent par désespoir à peu près tous les candidats qui veulent se joindre à leur contingent. Je te répondrai que tu n’as pas tout à fait tort. Je te bernerais en te disant avoir trouvé à la faculté d’éducation un milieu intellectuel stimulant. » Malgré le persiflage et la généralisation, ce jugement n’est pas erroné.
Ayant étudié à l’École normale Jacques-Cartier, je peux certifier que le niveau intellectuel n’était guère relevé. Si je n’avais pas eu quelques professeurs comme Bernard Jasmin, j’aurais reproduit la culture de mon milieu d’origine qui ignorait ce que Normand Baillargeon nomme la grande culture. Les départements d’éducation ne sont guère meilleurs que les écoles normales de jadis, même s’ils jouissent d’une liberté d’expression fort limitée à l’époque. Je pourrais même dire qu’ils sont pires sur un certain plan. Mettant l’accent sur la didactique et la pédagogie, insistant sur le comment de l’éducation, ils minimisent le contenu, le savoir, le pourquoi. Quelle que soit la matière enseignée, comment l’enseignant peut-il la transmettre s’il la connaît peu et, surtout, si elle ne le passionne pas ?
Jean-Marc Piotte