Old Old Age
Travels with Epicurus. A Journey to a Greek Island in Search of a Fulfilled Life de Daniel Klein (Penguin Books, 2012, 164 p.)
Comment vivre heureux lorsque nous sommes vieux ? L’auteur cherche à répondre à cette question à la lumière d’Épicure qui affirme qu’il faut se libérer « from the prison of everyday affairs and politics » pour jouir de ce qui nous plaît, dont le plaisir de parler avec des amis.
Dans notre monde voué à la consommation, où chacun est convié à travailler efficacement en vue d’acheter davantage, l’aphorisme d’Épicure prend tout son sens : « Nothing is enough for the man to whom enough is to little ». Mon travail de prof universitaire m’a procuré de très bons revenus et je n’ai jamais été habité par le désir d’avoir plus. Je reçois une pension de retraite confortable. Certaines interventions écrites ou orales m’apportent parfois certains émoluments, mais je les fais pour le plaisir que j’en retire et non pour les cachets éventuels.
La politique, comme intellectuel, m’intéresse toujours. Mais, après avoir lu ce livre, je comprends maintenant et accepte que de vieux militants se soient retirés des tracas qu’elle entraîne.
À la fin de son ouvrage, Klein admet que la réflexion philosophique tend à construire des catégories absolues qui laissent peu de place aux complexités et aux contradictions inhérentes à la vie quotidienne. Contrairement aux affirmations d’Épicure, des gens âgés peuvent être heureux en continuant de travailler ou de s’intéresser aux affaires publiques. D’ailleurs, Klein admet que l’écriture et la publication de son livre ne peuvent s’expliquer par l’enseignement de son maître : « To be true to oneself, a person needs to make his own decisions about what brings him happiness. Indeed if I am going to be true to myself, I have to ask myself what I think I am doing here at my desk, with my notes spread out in front of me, at the age of seventy-three. »
L’auteur ne nie évidemment pas le plaisir qu’il retire de la réflexion philosophique qui imprègne tout son séjour dans une île grecque à la recherche de ce qu’est une vie accomplie. De l’étendue et de la profondeur de cette réflexion, je retiens quelques pensées qui me rejoignent.
Une personne âgée n’exerce plus aucun attrait sexuel sur une personne jeune et belle. C’est triste, mais, en même temps, ça libère : il peut admirer la beauté sans le désir de posséder : « For one thing, that is no longer an option for him – and, yes, there is something terribly sad about this. But now to simply and freely behold the beauty in front of him is refined enchantment, a pleasure reserved for old age. » De plus, l’amitié désintéressée devient possible là où auparavant le désir l’obscurcissait. Durant la grève étudiante, une jeune étudiante d’origine asiatique m’a demandé si elle pouvait m’appeler « papy ». J’ai été sur le coup saisi. Puis, sachant que dans la culture asiatique les jeunes respectent affectueusement les vieux, j’ai apprécié cette marque d’affection et lui ai fait plaisir en acceptant de devenir symboliquement son grand-père.
L’auteur cite Freud pour qui la religion aurait comme fonction première de renforcer la morale d’une société en promettant à ceux qui ont une bonne conduite ici-bas une meilleure vie dans l’au-delà. Il a sans doute raison. Avec l’écroulement de l’influence de l’Église au Québec, une morale centrée sur la consommation semble s’être substituée à une morale vouée au sacrifice. Mais, plus profondément, la religion donne un sens à la vie heureuse et malheureuse du croyant, en lui promettant la possibilité du bonheur dans l’au-delà. Les athées en quête de spiritualité cherchent désespérément un sens où il n’y en a pas. La vie de chacun, ma vie, est totalement insignifiante face à la planète terre et au cosmos. J’accepte d’être réduit à ce que je fais de bien et de mal de mon vivant.
Enfin, ses réflexions sur le « old old age » m’ont intellectuellement secoué. Il cite Shakespeare qui décrit cette dernière période de la vie :
« Last scene of all,
That ends this strange eventful history,
In second childishness and mere oblivion,
Sans teeth, sans eyes, sans taste, sans everything. »
La médecine moderne prolonge cette période abominable marquée par le Parkinson, l’Alzheimer, l’incontinence, la sénilité… Les psychologues, par leurs conseils, et les psychiatres, avec leurs pilules, chercheront à guérir la dépression qui frappe plusieurs de ces vieillards. Klein leur répond avec justesse : « The quality of life is usually zero. And if we still have any rational powers left at that point, we know that life is only going to get worse. This makes it difficult to see geriatric depression as a mental disorder. It seems more like an authentic and fitting response. »
Je partage avec Klein les propos de Sénèque qu’il cite : « For mere living is not a good, but living well is. Accordingly, the wise man will live as long as he ought, not as long as he can... He always reflects concerning the quality, not the quantity, of his life. » Mais Sénèque ne nous dit pas, affirme-t-il, quand vient le moment de se suicider : « The timing is tricky. We need to pull the plug before we cross the line into full-fledged dementia ; otherwise we will beyond the point of rational decision making, yet before we cross that line, we may still have a sufficient number of “driblets” left to make life worth living. »
Je ne sais pas si je me déciderai à temps. D’ici là, je jouis de ce que la vie m’apporte dans le présent.