Vers le Sommet sur l’enseignement supérieur
Le pouvoir, les mots et les médias
Épisode 285 : Indexation, gel, gratuité
Les luttes sociales ne se jouent pas seulement sur un terrain strictement politique ou économique ; elles ont aussi une dimension symbolique déterminante. Plusieurs connaissent sans doute la formule selon laquelle « l’histoire est écrite par les vainqueurs ». Or, ce n’est pas seulement la représentation du passé qui est en jeu dans un conflit, mais la capacité pour un mouvement social de nommer la réalité (et parfois, même, de se nommer lui-même), de même que ce qui apparaît comme réalisable. À une époque où les médias de tous types occupent une place prépondérante dans nos vies, on est en droit de se demander si cette dimension symbolique n’est pas appelée, elle aussi, à occuper de plus en plus d’espace dans les luttes que nous menons.
Le printemps dernier nous a donné quelques exemples de cette bataille, le plus connu étant celui opposant l’emploi du terme « grève » et celui de « boycott » pour définir la contestation étudiante. Les militantEs de GAPPA avaient montré, en juillet dernier, l’évolution de l’emploi des deux termes dans les médias dominants. Josée Legault a aussi écrit un excellent billet de blogue sur la question en août.
Si l’opposition grève-boycott et celle confondant « droit à l’éducation » et « droit d’accéder à ses cours » semblent derrière nous, ce sont d’autres mots qui sont maintenant l’objet de batailles.
« Pour moi indexation égale gel » - Pauline Marois
Depuis des mois déjà, le Parti Québécois s’acharne à démontrer aux marchés financiers, et accessoirement à sa population, qu’il n’est pas si différent du Parti Libéral du Québec. Ces dernières semaines, il en a à nouveau fait la démonstration en cherchant à amener de la confusion sur le sens des mots. Déjà, fin janvier, le ministre Duchesne parlait de définir le gel. Dimanche dernier, Pauline Marois en a rajouté en affirmant que pour elle, une indexation est un gel. Nous voilà revenuEs au pays de la novlangue...
Lorsque l’État gèle les salaires des employés de la fonction publique, il ne les indexe pas au coût de la vie ! Le fait qu’un gel constitue, en dollars constants, une réduction de la facture étudiante n’enlève rien au fait qu’il s’agit bel et bien d’un gel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle de nombreuses organisations sont en faveur d’un « gel dans une perspective de gratuité scolaire » : le gel est perçu comme un moyen graduel (pour qui s’arme de patience) de parvenir à la gratuité scolaire.
Ce qui m’amène à mon deuxième exemple.
« l’instauration de la gratuité scolaire doit être reconnue comme un scénario envisageable durant la rencontre finale » - ASSÉ, 4 février 2013
J’ai peut-être tort, mais je ne crois pas que, de mon vivant, il ait autant été question de gratuité scolaire dans les médias que dans les dix derniers jours. Il faut, pour cela, saluer l’ASSÉ, mais aussi Québec Solidaire, deux organisations qui, depuis des années, persistent à défendre des idées méconnues ou impopulaires, sans se préoccuper des accusations d’irréalisme. Car c’est bien de cela dont il est question : qu’est-il permis de considérer comme réaliste ? À qui laissons-nous le pouvoir de définir ce qui est réalisable ? L’ultimatum qu’a posé l’ASSÉ au ministre Duchesne a ceci d’intéressant qu’il forçait le gouvernement à reconnaître l’existence légitime de l’option de la gratuité scolaire. Ce n’est pas un hasard si la récente sortie de Jacques Parizeau avait pour titre La gratuité est réaliste.
Les études, analyses et réflexions sur le coût de la gratuité scolaire, et les manières de la payer, ne manquent pas : il faut être de mauvaise foi, comme le fut Joseph Facal sur son blogue hier, pour persister à ne pas les nommer, à ne pas en reconnaître l’existence. Comme pour plusieurs projets de la gauche, les véritables obstacles ne sont pas économiques, ils sont politiques : tout dépend du courage avec lequel nous serons prêtEs à défendre une idée, contre les apôtres du néolibéralisme qui ont voulu monopoliser la capacité à nommer le réel (qu’on pense au fameux qualificatif de lucide).
Dans ce contexte, les journalistes et chroniqueurs qui persistent à dire que nous n’avons pas les moyens de nous payer la gratuité scolaire maintiennent en vie des mensonges. CertainEs diront qu’ils ne font que relayer la position du gouvernement sur la question, sans l’endosser ni la rejeter. C’est ce même type de neutralité journalistique bon enfant qui a poussé nombre de journalistes à jongler maladroitement avec les mots grève et boycott, il y a bientôt un an. Il m’apparaît que la tâche d’unE journaliste est d’abord et avant tout de chercher à présenter la réalité à ses concitoyenNEs, souvent contre les distorsions que les élites politiques et économiques cherchent à imposer au public. Si les mots qu’emploie le gouvernement sont inexacts, si les limites à ce qu’il qualifie de « réaliste » sont imaginaires, faire preuve de neutralité à leur endroit, c’est aussi contribuer à la diffusion de ces mensonges.