La contre-culture et les revues québécoises
La revue Liberté, en consacrant le dossier de son dernier numéro (299, printemps 2013) au mouvement contre-culturel des années 1970, permet d’éclairer un mouvement social peu connu, mais important dans l’histoire récente du Québec.
La revue Mainmise (1970-1978), s’inspirant des hippies et yippies étatsuniens, lance ce mouvement au Québec, en devient le principal porte-parole et remplace comme revue contestataire le défunt Parti pris (1963-1968). Celui-ci mettait l’accent sur l’action collective et politique au nom de l’indépendance, du socialisme et du laïcisme, conditions jugées indispensables à la désaliénation de chaque Québécois. Celle-là insiste sur la libération de l’individu contre des mœurs et une culture condamnées comme répressives. « Sexe, Drugs & Rock N’ Roll », comme le dit si bien Jean-Philippe Warren, deviennent les mantras de la contre-culture. Son influence est énorme comme le révèle l’adhésion de Pierre Maheu et de Paul Chamberland, deux des principaux artisans de Parti pris, à ce mouvement qui lutte contre la pollution et l’homophobie, deux ennemis ignorés de celui-ci.
Dans les années 1970, la gauche québécoise est divisée entre les organisations marxistes-léninistes (ml), majoritairement maoïstes, et les groupes contre-culturels. Menant par la suite une enquête sur la contestation dans cette décennie, je fus étonné du chassé-croisé des transfuges, certains abandonnant les organisations ml pour la contre-culture, tandis que d’autres prenant le chemin inverse. Les premiers cherchaient à se libérer des multiples contraintes d’une institution hiérarchisée, autoritaire et dogmatique reposant sur l’engagement sacrificiel de ses militants ; les seconds y trouvaient une sécurité affective absente des divers « voyages » qu’ils avaient entrepris. (On peut trouver les résultats de cette enquête dans La communauté perdue disponible gratuitement sous forme numérique ici.)
Le comité de rédaction de la revue Chroniques (1975-1977) comprenait une dizaine d’intellectuels allant de Patrick Straram le bison ravi, proche des thématiques contre-culturelles, à Laurent-Michel Vacher, alors près des maoïstes. Mais, elle ne réussit pas à concilier ces deux courants. En Italie, l’opéraïsme, développé par Toni Négri et Mario Tronti, chercha, surtout de la part du second, à lier dans les années 1960 et 1970 marxisme et contre-culture. Au Québec, la revue Le Temps fou (1978-1983) poursuivit le projet d’unir politique à libération individuelle dans l’esprit de Mai 68.
La revue Liberté a le mérite de rappeler ce mouvement pluriel qui a marqué le Québec. Espérons que son dossier suscitera des recherches approfondies sur ses diverses facettes.