PKP au Parti Québécor
Dissonances cognitives et autres réactions syndicales
L’annonce de la candidature de Pierre-Karl Péladeau pour le Parti Québécor (PQ) a déjà amplement fait jaser. Il me semble néanmoins que compte tenu des pratiques anti-syndicales de PKP, il convient de se pencher plus spécifiquement sur les réactions des organisations syndicales à cette sortie du PQ [1]. Et, comme on le verra, de s’interroger.
Pour bien marquer son émotion, c’est avec trois points d’exclamation que la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a titré son communiqué de presse. Si PKP y est qualifié de « champion des conflits de travail au Québec » et son bilan comme une « catastrophe », lorsqu’elle se tourne vers le Parti Québécor, la FTQ soutient de manière euphémisante qu’il ne « s’agit pas d’un actif positif pour le PQ ». On s’étonne de l’emploi d’un langage aussi affairiste pour dénoncer l’arrivée en politique partisane d’un… homme d’affaires. On remarque aussi que si le langage est dur à l’endroit du candidat, il ne l’est clairement pas autant à l’endroit du parti.
À la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), c’est sur le blogue de Louise Chabot qu’on peut trouver une première réaction publique. Pour la présidente de la CSQ, étant donné le « parti pris contre les travailleuses et travailleurs » de PKP, « nous avons raison (…) de nous inquiéter de la présence d’un tel personnage au pouvoir ». Quant au choix effectué par le Parti Québécor, Mme Chabot annonce d’entrée de jeu qu’elle ne s’y attardera pas. Pourquoi donc ? C’est pourtant l’essentiel...
Du côté de la Confédération des syndicaux nationaux (CSN) (qui, rappelons-le, a vécu de l’intérieur le lock-out au Journal de Montréal), les réactions varient selon les instances. Pour le Conseil central du Montréal métropolitain, la candidature de PKP est une « insulte ». Dominique Daigneault, présidente du CCMM-CSN, est la seule, à ma connaissance, à élargir le constat au Parti Québécor lui-même, qui selon elle, « dévoile au grand jour [sa] vraie nature (…), soit celle d’un parti néolibéral ». Pour une fois, on appelle un chat un chat.
Le même jour, la CSN publiait son propre communiqué, conjointement avec sa Fédération nationale des communications (FNC). Dans une sortie quelque peu étrange, la CSN appelle le Parti Québécor à « s’engager à revoir le Code du travail », alors que le PQ vient tout juste de confirmer la candidature de PKP et le retrait de cet engagement de son programme. Il semblerait qu’un message n’ait pas été reçu… Les intentions de la CSN s’annoncent plutôt modérées : le président, Jacques Létourneau, déclare qu’elle « interpellera » PKP sur ses plans en matière de relations de travail, et affirme en entrevue au Devoir qu’il « faudra le garder à l’oeil, surtout s’il devient ministre ». Je ne parviens pas à m’expliquer que la CSN persiste à attendre quelque chose de positif de la part de PKP ou du Parti Québécor.
Mais la palme des réactions syndicales vient sans contredit à Marc Laviolette, ancien président de la CSN, actuel vice-président de la Fédération de l’industrie manufacturière de cette même centrale et membre des Syndicalistes et Progressistes pour un Québec Libre, cette faction du Parti Québécor lui-même. Dans une entrevue au 98,5 FM, Laviolette atteint des sommets de dissonance cognitive, qualifiant Péladeau d’ « entrepreneur important au Québec » qui « fait preuve de courage politique », et donc, qu’il s’agit « d’une bonne prise pour le Parti Québécois [sic] ». Bien sûr, concède Laviolette, « Au niveau des relations de travail, M. Péladeau a un track record qui est à mon avis peu enviable (…), mais ici il s’agit de bâtir le pays ». Et tout le monde sait bien que « le Parti Québécois [sic] est une large coalition qui va de la gauche à la droite ».
C’est une chose de soutenir qu’il y a des candidat.e.s de gauche comme de droite au Parti Québécor, c’en est une autre de défendre, au nom de cette coalition, la candidature d’un homme qui méprise copieusement des droits démocratiques fondamentaux tels que le droit à l’information et les droits syndicaux. Notons que le SPQ Libre et son véhicule médiatique, L’Aut’ Journal, faisait déjà les yeux doux à PKP depuis quelques mois, comme en témoigne ce reportage-photo sur le lancement de l’ouvrage Une charte pour la nation de Louise Mailloux, où PKP était présent.
Dans le monde syndical, l’heure est aux questionnements sur le renouveau du syndicalisme, dans un contexte d’attaques législatives et idéologiques de grande férocité. Pour expliquer les déboires du mouvement, il est de bon ton de dénoncer le gouvernement Harper, les radios-poubelles, voire même le manque d’engagement social des jeunes et l’individualisme ambiant. Or, toute réflexion sur une certaine crise du mouvement syndical qui est incapable d’interroger le fait qu’un homme représentant plus de 30 000 travailleurs et travailleuses appuie publiquement la candidature d’un des pires patrons du Québec est d’emblée vouée à l’échec.
J’ai déjà, sur ce blogue, soutenu l’idée que l’obsession qu’a le mouvement syndical pour la « montée de la droite » le dispense d’une véritable réflexion sur ses propres faiblesses. On en a ici un exemple éclatant : l’incapacité presque généralisée du mouvement syndical à s’inscrire en rupture nette avec tous les partis néolibéraux, y compris le Parti Québécor, pour lequel les centrales syndicales font presque immanquablement preuve d’indulgence [2] est un problème majeur et urgent. On répond parfois que s’attaquer au Parti Québécor, c’est risquer d’avoir pire. Or, ce n’est pas en imaginant pire qu’on obtient des gains, mais en imaginant mieux, quitte à prendre des risques. Ici aussi, de sérieuses remises en question s’imposent. Ce serait douloureux, mais ce serait moins souffrant que ce qui attend le mouvement syndical si Pierre-Karl Péladeau est nommé ministre du Travail sous un gouvernement péquiste majoritaire.
Alors, le divorce, c’est pour quand ?
[1] Ce tour d’horizon, bien évidemment, ne prétend pas être exhaustif.
[2] Il faudrait faire une analyse de discours des communiqués de presse des centrales syndicales à l’endroit des mesures néolibérales du Parti Québécor : elles « se désolent », « sont déçues », « s’inquiètent », « tiennent à rappeler », « s’interrogent »…