Le « chatongate » : la cruauté envers les animaux est-elle plus scandaleuse que le racisme, l’homophobie et le sexisme ?
Stéphane Gendron, en avouant peut-être à la blague avoir tué des chatons, en a choqué plusieurs et avec raison. Mais comment se fait-il que cette histoire de chatons tués fasse le tour du pays et scandalise bien davantage la population que le flot de propos racistes, sexistes et homophobes qui déferle chaque jour sur les ondes de certaines stations de radio ? Je trouve étrange de voir les droits des animaux plus âprement défendus que les droits de la personne. Sommes-nous en train de devenir antihumanistes ?
La lutte contre la cruauté envers les animaux est une bonne chose. Mais nous aurions pu espérer que le militantisme pour la reconnaissance de droits aux animaux s’accompagne d’une plus grande sollicitude à l’égard des humains. On observe malheureusement que l’humanisation des animaux s’accompagne d’une inquiétante animalisation de l’être humain. Nous sommes devenus matérialistes, le but de la vie semble être la poursuite de tous les plaisirs possibles, et notre système économique nous considère comme des ressources plus exploitables qu’humaines.
Au sein de cette société, plusieurs intellectuels se croient progressistes en militant pour l’abandon de la consommation de viande et l’abolition de toute forme d’exploitation animale. La cause est noble, mais comment se fait-il qu’il n’y ait pas un plus grand empressement à mettre un terme une fois pour toutes à l’exploitation humaine ? Je pense à tous ces « bobos-écolos », les vegans avec iPhones et iPad. Auraient-ils intériorisé l’éthique matérialiste de l’idéologie capitaliste ? Ils dénoncent Stéphane Gendron sur les médias sociaux avec des appareils dont les écrans tactiles sont fabriqués avec des minerais extraits par des enfants esclaves sans même savoir que les profits réalisés par l’exploitation de ces minerais financent des guerres sanglantes en Afrique, des guerres dont les femmes et les enfants sont les premières victimes. Pourquoi l’opinion publique ne se soulève-t-elle pas contre cette situation ? Pourquoi les médias n’en parlent-ils pas ?
Peut-être que les médias préfèrent parler de la violation des droits des animaux que de la violation des droits de la personne. Peut-être que notre dépendance à la technologie et à la société de consommation en général nous a rendus plus indifférents aux souffrances humaines causées par notre mode de vie qu’aux souffrances qu’un sadique peut infliger à des animaux domestiques. La défense des animaux nous offre une façon commode de soulager notre conscience sans remettre en question les fondements de notre dysfonctionnel système économique.
On va me dire que la lutte pour la reconnaissance des droits des animaux conduira à une meilleure défense des droits humains, qu’il s’agit du même combat et que l’être humain doit cesser de se croire supérieur au reste de la nature. Et si c’était l’inverse qui était vrai ? Et si c’était l’exploitation de l’homme par l’homme qui nous avait conduit à nous croire maître et possesseurs de la nature ? Comme l’écrit Murray Bookchin, « La domination de l’humain par l’humain a précédé l’idée de dominer la nature. […] Les hiérarchies, les classes, les formes de propriété et les institutions étatistes qui ont émergé avec la domination sociale ont été transposées dans les relations de l’humanité avec la nature. Celle-ci tendit dès lors à n’être plus considérée que comme une simple ressource, un matériel brut à exploiter à volonté. » J’ai l’impression que notre rapport avec les animaux ne sera jamais juste tant que nous tolèrerons l’injustice sociale et l’oppression de nos frères et sœurs humains.
Ce qui ne veut pas dire qu’il faille abandonner la défense des animaux. Je ne suis pas contre la défense des animaux, mais je pense important de souligner qu’une société dont les médias jugent la souffrance animale plus scandaleuse que la souffrance humaine est une société qui a un énorme problème.