À propos d’Aaron Swartz (1986-2013)... et des autres
C’est à moi que revient l’honneur et le plaisir de lancer le blogue de la revue. En ce qui me concerne, j’ai l’intention de publier des réflexions plus ou moins spontanées et pas toujours abouties, mais qui, je l’espère, sauront néanmoins stimuler les esprits et enrichir les débats.
Je me lance.
Vendredi dernier, Aaron Swartz, un programmeur et cyberactiviste américain de 26 ans, s’est enlevé la vie. Swartz était accusé d’avoir téléchargé des millions d’articles académiques de la base de données JSTOR, à partir du Massachusetts Institute of Technology. Il risquait une peine de prison pouvant aller jusqu’à 35 ans pour ce geste allégué.
Bien honnêtement, je ne connaissais pas Aaron Swartz avant son suicide, même si je m’intéresse aux cyberactivistes depuis quelques années déjà. Depuis sa mort, j’ai appris qu’il avait contribué au développement de la technologie RSS alors qu’il n’avait que 14 ans et a co-fondé le réseau social Reddit. Swartz était aussi un militant qui a mis ses talents au service d’un Internet libre et ouvert. Il était un proche de Lawrence Lessig, le juriste à l’origine des licences Creative Commons, sur lesquelles j’ai déjà écrit il y a quelques années. L’affaire du « vol » d’articles de la base de données JSTOR s’inscrit dans une critique plus large de l’enfermement de la publication universitaire (alors que la recherche est souvent financée publiquement) et de la privatisation de la connaissance dans un contexte d’économie du savoir, contre lesquels se battent les promoteurs de Creative Commons. En 2011, Swartz s’est aussi impliqué contre le projet de loi américain SOPA qui, sous couvert de lutte au piratage, aurait permis de restreindre massivement les libertés civiles sur Internet, jusqu’à ce que le mouvement de protestation atteigne une telle ampleur que le Congrès américain le tablette, il y a environ un an.
Il est regrettable que ce soit par son suicide que Swartz gagne en notoriété. Encore aujourd’hui, les informaticien.ne.s de génie connus du grand public sont en réalité les barons voleurs de l’industrie : Mark Zuckerberg, Bill Gates... La mort d’Aaron Swartz montre que le travail quotidien des militant.e.s pour un Internet libre et ouvert se fait plus souvent qu’autrement dans l’ombre et l’adversité. C’est le cas pour la plupart des mouvements sociaux, évidemment, mais il me semble que même à l’intérieur de la gauche, le travail et les idées de ces activistes sont encore très méconnus.
Je profite donc de l’occasion pour vous présenter rapidement quelques personnalités importantes autour de ce mouvement (avec plusieurs références an anglais seulement, malheureusement) : les incontournables et probablement les plus connus sont Richard Stallman (Free Software Foundation), Lawrence Lessig (Creative Commons), ainsi que Julian Assange (Wikileaks) ; Jacob Appelbaum a travaillé sur le projet Tor, qui permet d’anonymiser la navigation sur le web des dissident.e.s politiques à travers le monde ; Birgitta Jónsdóttir est une militante islandaise, devenue députée suite à la débâcle financière de l’Islande, qui cherche à faire de son pays un modèle de respect des libertés civiles sur le web ; Gabriella Coleman, professeure à l’Université McGill, est une spécialiste du mouvement hacker. Elle a récemment publié un ouvrage sur la question et son expertise a été mise à contribution pour le documentaire We are Legion, portant sur Anonymous ; Rebecca MacKinnon et Ethan Zuckerman sont à l’origine d’un réseau de blogueurs dissident.e.s, Global Voices Online. Rebecca McKinnon a aussi minutieusement documenté les batailles ayant cours autour d’Internet dans un ouvrage paru en 2012, Consent of the Networked.
Quant à Aaron Swartz, on peut le voir présenter son combat contre SOPA dans ce clip. On remarque vite sa passion et son intelligence. Toutes mes sympathies à sa famille et à ses proches.