Dossier - Syndicalisme : comment

Dossier - Syndicalisme : comment faire mieux ?

Syndicaliser le communautaire, naturel ou pas ?

Stéphane Dufour

Être syndiqué·e ou se syndiquer comme travailleur·euse du communautaire soulève plusieurs débats dans le milieu. Pourtant, il devrait s’agir d’un geste assez naturel, tous et toutes partageant en principe les mêmes valeurs. L’action communautaire autonome, les travailleur·euses et le mouvement syndical ont tout à gagner de cette alliance.

Dans le milieu communautaire, les fondations privées et les organismes autonomes passent beaucoup de temps à assurer leur propre pérennité. Cela se fait souvent au détriment des conditions de travail des gens qui donnent chaque jour un soutien à des populations fragilisées. Malgré cette situation souvent difficile, les travailleuses et travailleurs du communautaire sont encore aujourd’hui très peu syndiqué·es et l’idée d’adhérer à un syndicat divise toujours.

Concertation et négociation, deux mondes très différents

Les rapports traditionnels entre les syndicats et les organismes communautaires se tiennent plus souvent qu’autrement autour des tables de concertation. Tout se passe assez bien, de façon générale, et ces rencontres permettent de tisser d’importants liens de solidarité.

Mais quand les discussions arrivent à la table de négociation, il peut en être tout autrement. Des travailleuses et travailleurs du milieu communautaire qui ont décidé de se syndiquer ont dû faire face à des réactions parfois fortes de la part de leurs collègues, de leur direction et de leur conseil d’administration : congédiements des initiateur·trices de la syndicalisation, tentatives d’empêcher le processus de syndicalisation, ingérence dans les affaires syndicales – des manières de faire typiques du secteur privé auxquelles on ne s’attend pas dans des organismes communautaires. Des positions assez polarisées ont aussi été remarquées dans des échanges plus larges sur ce sujet à différentes tables de concertation.

Ces réactions contrastent avec les motivations des personnes qui ont initié des démarches de syndicalisation. Ces personnes ont parlé de leurs conditions de travail, mais ont aussi abordé des sujets comme la nécessité de bien reconnaître leur travail, la hausse du financement à la mission de l’organisme et l’uniformisation des ententes de travail.

Ces deux milieux, communautaire et syndical, qui se concertent assez facilement, ont malgré tout de la difficulté, par moment, à établir des relations fonctionnelles. Il y a visiblement un exercice de démystification à accomplir auprès de tous et toutes concernant la syndicalisation et les relations de travail, ce qui peut demander un certain temps.

Gestion horizontale et équité

Évidemment, il est plutôt rare que les travailleuses et travailleurs décident de se syndiquer quand tout va bien. Le choix de la syndicalisation s’impose souvent quand les relations de travail sont tendues et le climat, plus ou moins toxique. Comme obstacle à la syndicalisation, il faut mentionner un grand roulement dans le personnel, souvent appelé à faire le saut dans le secteur public ou à prendre la coordination des organismes.

Plusieurs groupes se sont éloignés, au fil du temps, d’une culture de gestion traditionnellement plus horizontale dans le communautaire, du moins théoriquement. Les conditions de travail sont parfois déterminées de façon assez arbitraire et on remarque de grandes différences entre ce que vivent les employé·es et la direction. La négociation d’une convention collective peut marquer un retour à des relations de travail plus égalitaires et à une répartition plus équitable des ressources disponibles.

Grâce à leur syndicalisation, des travailleuses et travailleurs ont pu obtenir le droit de siéger au conseil d’administration de leur organisme, profiter de la création de comités paritaires sur différents sujets ou obtenir la reconnaissance de leur ancienneté et de leur droit de rappel de projet en projet. Les augmentations salariales, la mise en place d’assurances et de REER collectifs et des congés familiaux ont aussi été des avantages obtenus après la négociation d’une convention collective. Les gains de la syndicalisation en matière de conditions de travail peuvent donc être assez tangibles et relativement rapides, selon le contexte et l’organisme.

Les groupes syndiqués étant toujours minoritaires dans le communautaire, le rapport de force face aux bailleurs de fonds, surtout publics, est limité. En revanche, par leur combativité et leur mobilisation, des syndicats ont pu contribuer à sauver des organismes. Ils ont remporté certaines luttes face au gouvernement, notamment dans le contexte pandémique actuel, et ont mis de l’avant des solutions concrètes. Des exemples qui portent à croire que des gains importants seraient envisageables avec des rangs plus garnis.

Contribution à l’organisation syndicale

Dans le monde syndical, la contribution des travailleuses et travailleurs du milieu communautaire syndiqué·es est importante. Celles et ceux qui rejoignent les organisations syndicales ne se sentent pas dépaysé·es très longtemps. Ils et elles ont de toute évidence beaucoup en commun avec leur nouveau milieu : organisations avec des origines historiques semblables, valeurs d’autonomie et de justice sociale, promotion de l’empowerment et de la défense des droits des personnes. On remarque même que, malgré une présence restreinte, plusieurs personnes en provenance du communautaire prennent une place importante dans les organisations syndicales, et ce assez rapidement, que ce soit comme salarié·es ou comme représentant·es politiques.

Les centrales syndicales profitent alors d’une diversité de miliant·es avec beaucoup d’expérience, habitué·es aux débats, avec une vision large du changement social et ayant souvent de bonnes capacités d’organisation et de mobilisation. Ce qui améliore l’étendue des réflexions sur une foule d’enjeux sociaux : droits des communautés culturelles et LGBTQ, féminisme, lutte contre la pauvreté… Bref, des apports majeurs, une bonne expertise pour des organisations qui n’ont pas uniquement pour objectif d’améliorer les conditions de vie de leurs membres, mais de la société en général.

Meilleure intégration

La syndicalisation permettrait de rendre plus efficaces les mouvements de grève dans les organismes communautaires comme ceux des dernières années. Les outils politiques, techniques et financiers qu’un syndicat autonome affilié à une centrale syndicale peut apporter ne sont pas négligeables et contribuent grandement à l’établissement d’un meilleur rapport de force.

L’exemple de la lutte récente des travailleuses des centres de la petite enfance, qui ont su gagner en respect et en conditions de travail grâce à leur solidarité et à leur combativité, devrait inspirer le milieu communautaire. Le réseau des CPE ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui si les travailleuses n’avaient pas fait le choix de se syndiquer massivement. L’établissement d’un tel rapport de force par une meilleure intégration du milieu communautaire dans le mouvement syndical ne pourrait qu’être bénéfique.

Le mouvement syndical peut être intimidant vu de l’extérieur, encore plus pour de petites organisations. Mais il peut surtout devenir un appui incontournable pour les travailleuses et travailleurs qui désirent se faire respecter et reprendre du pouvoir, même dans les organismes communautaires. Malgré certaines difficultés apparentes, c’est l’ensemble de la société qui bénéficierait d’une meilleure intégration des travailleuses et travailleurs du milieu communautaire aux organisations syndicales. Une alliance qui se veut plutôt naturelle, certes, mais qui demande peut-être encore un peu d’apprivoisement mutuel pour qu’elle puisse être pleinement scellée. 

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