Préparer la bataille

No 58 - février / mars 2015

Austérité

Préparer la bataille

Diane Lamoureux

Depuis son arrivée au pouvoir en avril dernier, le gouvernement du PLQ dirigé par Philippe Couillard s’est lancé dans une entreprise sans précédent de réorganisation néolibérale de l’appareil d’État : réforme des régimes de retraite municipaux, réorganisations majeures dans le domaine de la santé, transformations de structure dans le domaine de l’éducation, cure minceur pour ne pas dire disette pour une série de programmes culturels, sociaux ou éducatifs. Sans parler de l’offensive en règle contre les syndiqué·e·s du secteur public.

Face à cette attaque sans précédent, la riposte s’organise, mais dans un ordre qui reste encore assez dispersé. Les em­ployé·e·s municipaux insistent sur le droit de négocier et sur la défense de leurs acquis, les policiers n’hésitant pas, au passage, à « voler » le carré rouge qu’ils avaient si violemment combattu en 2012. La Coalition main rouge (opposée à la tarification des services publics) a appelé à une grande manifestation contre le « massacre à la tronçonneuse » libéral le jour de l’Halloween. Les grandes centrales syndicales nous ont par ailleurs invité·e·s à refuser l’austérité lors de la manifestation du 29 novembre dernier. Quant au secteur public, l’unité d’action risque fort d’être malmenée par le maraudage qui accompagnera les changements de structure en santé, services sociaux et éducation.

Deux manifestations, la première le 31 octobre et la seconde le 29 novembre 2014, ont été d’une grande ampleur, malgré le silence des médias sur le nombre de participant·e·s : de 25 000 à 30 000 personnes à Montréal pour la première ; plus de 100 000 personnes à Montréal et 40 000 à Québec pour la seconde. Mais il faudra probablement plus et surtout mieux pour faire reculer le gouvernement. Pas étonnant que certain·e·s préparent le printemps 2015, alors que l’idée de grève sociale, évoquée lors du printemps érable, refait surface.

Définir le terrain

Le quatuor de docteurs, soutenu par le trio d’économistes, n’hésite pas à recourir à la novlangue en prétendant qu’il s’agit de rigueur plutôt que d’austérité, comme à une autre époque leur ex-collègue avait préféré le terme de boycott à celui de grève. Il est important d’imposer dans la discussion publique que ce que le gouvernement libéral pratique actuellement, c’est bien de l’austérité ; on comprend que, devant les désastres causés ailleurs par des politiques similaires, il cherche à employer un autre terme. Mais si nous voulons gagner la bataille de l’opinion, il est important de maintenir le terme « austérité ». D’autant plus que cette expression est associée aux politiques néolibérales qui ont du plomb dans l’aile depuis le printemps 2012 au Québec.

Il importe également de définir nous-mêmes les termes et les enjeux des luttes à venir. Une grande partie de la force du gouvernement tient au fait que, pour l’instant du moins, le momentum politique lui appartient. Le terrain de mobilisation le plus solide pour rallier le plus grand nombre de personnes demeure la défense des droits sociaux et des services publics de qualité : il faut définir notre propre terrain de lutte et ne pas se contenter de réagir aux initiatives gouvernementales.

Les droits sociaux ne sont pas un luxe qu’on peut se payer uniquement en cas de prospérité économique. Ils sont au contraire une nécessité pour toute société qui pense que la solidarité et la coopération ont meilleur goût que la méfiance et la compétition. Depuis deux décennies, les gouvernements qui se sont succédé tant à Québec qu’à Ottawa n’ont eu de cesse de réduire les impôts des plus riches et des entreprises, sous prétexte de stimuler l’investissement, alors que cela n’a suscité que plus de spéculation et de dépenses somptuaires. Quant aux services publics de qualité et accessibles, ils sont bien plus que des entreprises publiques ou des ressources communautaires : ils nous permettent de nous définir comme société et de donner corps aux valeurs d’inclusion, d’égalité, de liberté et de solidarité, de donner forme à notre vivre ensemble collectif.

Se donner les moyens de nos ambitions

Il faut aussi être réalistes quant aux enjeux. Nous sommes en plein dans cette « revanche des élites », dont parlait Christopher Lasch pour décrire la propension des élites sociales et des gouvernements néolibéraux à faire payer les pauvres pour les pots cassés et le train de vie des riches. Si on appauvrit l’école publique, combien choisiront de se tourner plutôt vers l’école privée ? Si on désor­ganise le système public de santé, ne prépare-t-on pas la privatisation des soins ? Si on demande au communautaire de prendre la relève dans la dispensation des services, comment pourra-t-il en plus structurer des groupes marginalisés et lutter pour les droits ?

Pour contrer l’offensive néolibérale actuelle, il sera donc nécessaire de faire preuve de cohésion, d’audace dans les moyens d’action et d’imagination pour recomposer le tissu social que nos gouvernements n’ont de cesse de lacérer. L’offensive néolibérale est générale ; nos alternatives devront être à la hauteur.

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