Sexe, race & colonies. La domination des corps du XVè siècle à nos jours

No 79 - avril / mai 2019

Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Dominic Thomas, Christelle Taraud (dir.)

Sexe, race & colonies. La domination des corps du XVè siècle à nos jours

Eve-Marie Lacasse

Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Dominic Thomas, Christelle Taraud (dir.), Sexe, race & colonies. La domination des corps du XVè siècle à nos jours, Paris, La Découverte, 2018, 544 pages.

Monumental autant dans le nombre d’artéfacts visuels et photographiques reproduits que dans son nombre de mots, cet ouvrage ne laisse pas indifférent.

Les auteur·e·s racontent les colonisations effectuées par les empires européens, en mettant de l’avant les divers dispositifs sexuels utilisés dans ces croisades. On y retrouve donc panoplies de photos des différentes époques coloniales : des reproductions de peintures, de cartes postales, de caricatures, de publicités, d’affiches et autres. Cette impressionnante documentation visuelle a été reproduite sans filtre afin de nous dresser une histoire en images réelles de l’histoire de la « domination des corps du XVe siècle à nos jours ».

L’ouvrage est également riche en analyses et recherches sociohistoriques. Les auteur·e·s souhaitent nous faire prendre conscience que tous les dispositifs sexuels violents et coercitifs utilisés à l’époque des colonies sont encore à l’œuvre aujourd’hui dans notre conception de « l’Autre », qui n’est autre que l’ancien colonisé.

La polémique autour de cet ouvrage ne provient pas de cette ambition, mais bien plutôt du choix que les auteur·e·s ont fait d’y inclure autant d’artéfacts visuels, certains franchement violents et déplaisants. Certain·e·s qualifient ce choix éditorial de voyeurisme, d’autres de reproduction de la domination des corps, alors que d’autres crient à l’opération marketing ou jugent que cela sert le propos. L’ouvrage a aussi été classé comme « beau livre » pour une certaine élite. Le livre coûte au-dessus de 80 $ au Canada, ce n’est effectivement pas une aubaine.

Les auteur·e·s répondent à ces diverses critiques. Afin de réussir à enrayer véritablement ces rapports de domination sexuelle, raciste, sexiste et classiste encore à l’œuvre aujourd’hui, il ne faut pas se mettre la tête dans le sable et oser voir l’histoire telle qu’elle est. Montrer tous ces éléments visuels doit donc faire partie du processus de prise de conscience et de luttes, selon eux.

Je n’ai pas réussi à me faire une idée par rapport à cette polémique. Plusieurs images m’ont fait grincer des dents et m’ont laissé incrédule, certes. Mais je crois aussi que nous ne devons pas nous voiler la face et affronter la réalité pour pouvoir changer les choses. L’exposition Subalternes, conçue par Nigra Luventa pour « rendre audibles et visibles les voix, les réalités, les expériences d’une jeunesse noire consciente et connectée » et qui se tient au Centre de diffusion et d’expérimentation de l’UQAM, comporte aussi une démarche de ce type. On rencontre bien peu de figures de résistances face à ces dispositifs sexuels employés par le colonisateur alors qu’il y en a eu. C’est pourquoi l’ouvrage est un parfait complément à l’événement organisé par Nigra Luventa.

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