Dossier : Les nouveaux habits (…)

Dossier : Les nouveaux habits de l’impérialisme

L’extractivisme comme stratégie de conquête

Jean-Pierre Houde

L’impérialisme, tout comme le colonialisme, est un système de domination politique, militaire, économique et culturelle, domination qui s’étend sur des peuples et des territoires éloignés. Les puissances qui exercent cette domination obtiennent des avantages économiques, politiques et militaires de cette situation de sujétion. L’empire, avec le temps, a délaissé l’usage des chaînes de l’esclavage, mais a conservé les mêmes structures et façons de dominer.

L’empire éloigne l’humain de son propre corps et de la nature, efface le passé, manufacture l’histoire, enlève aux peuples leurs moyens de subsistance et leurs repères pour ensuite les contraindre à adopter une culture artificielle et homogénéisée. À l’origine, les différentes cultures se développent en lien avec les conditions environnementales, leurs éléments représentatifs étant une extension de la mémoire des peuples qui ont réussi à s’y adapter. C’est la signature d’un territoire. La colonisation a imposé une culture étrangère aux territoires et aux peuples, une culture homogène pour être en mesure de régner sur des environnements différents, aux cultures diversifiées. La culture impérialiste, perpétuant celle du colonialisme, ne tient pas compte des spécificités propres aux cultures organiques directement reliées au territoire. Elle concentre ses éléments, utilisant des outils de conquête, comme son système monétaire et marchand, vers ce qui offre une satisfaction immédiate, en oblitérant les conséquences à long terme. La financiarisation de l’économie, la militarisation et le contrôle des médias sont parmi ses outils de prédilection.

Impérialisme et extractivisme

La technologie performante du système impérialiste s’avère néanmoins inefficace, parce qu’elle épuise l’environnement. Ce sont ses monopoles, ceux imposés par ses guerres dans le sang ou par les blocus économiques, qui lui permettent d’accaparer les ressources à son avantage pour développer ensuite une technologie hypnotique. Cette technoscience stupéfie pour ensuite piéger ceux et celles qui l’adoptent et en deviennent dépendants. La culture moderne homogénéisée est celle d’une vie artificielle dont l’empire détient les clés.

L’extractivisme pratiqué par l’industrie minière, pétrolière, agricole, forestière, est l’arme de prédilection du pouvoir de l’empire et est la suite logique de la dépossession des peuples autochtones et paysans. Il chasse ces peuples de leurs terres pour installer des exploitations qui ne tiennent pas compte de la nature et de sa capacité à en digérer les poisons et les déchets. On cherche à installer les villes loin des zones où se déroulent les génocides des peuples et des êtres vivants pour que l’ignorance et la dépendance des populations servent de levier pour l’acceptation sociale de leurs politiques apparemment humanistes. L’empire met en place un écran virtuel omniprésent à travers les médias qui disperse et confond l’attention des peuples dans le but de manufacturer leur consentement.

Utilisant des moyens artificiels pour accélérer les actions, l’extractivisme surexploite les pays-ressources à travers des corporations-multinationales qui s’ingèrent dans leur politique interne afin d’assurer leurs investissements à coup de manipulation du prix des matières premières, de sanctions économiques, de financement de l’armement et de propagande médiatique. Le gigantisme des opérations et les exigences des marchés mondialisés obligent des méthodes de production qui évacuent les aspects environnementaux et la dignité des peuples : plus de production à moindre coût, le plus rapidement possible, pour l’exploitation illimitée des ressources naturelles.

L’empire divise pour régner, sépare les êtres de la nature, sème la méfiance et le conflit, trompe par la promesse d’une meilleure vie, offre des cadeaux empoisonnés qui affectent la santé des peuples et de la nature. Les symptômes sont présentés comme des maladies déconnectées des causes réelles de l’abus de l’exploitation extractive des corps et de la nature. Par exemple, on dira que la fonte de glaciers ou l’assèchement de cours d’eau sont dus aux changements climatiques, plutôt qu’à la consommation d’une immense quantité d’eau par les entreprises extractives.

L’extractivisme détruit et déstructure les communautés locales en introduisant de nouvelles habitudes et modes de consommation, créant de nouvelles dépendances et exacerbant la pauvreté. Il génère une mentalité de profit et oblige les habitant·e·s d’un territoire à se subordonner aux intérêts d’une élite minoritaire en lien avec les acteurs du marché international, alors qu’ils ne reçoivent que les miettes. Les communautés qui souhaitent survivre n’ont pas le choix d’incorporer brutalement cette logique extractive.

Les peuples et les espèces qui se trouvent sur les lieux convoités par les industries sont méprisés et doivent continuellement fuir devant les impérialistes qui volent leurs territoires, sur lesquels ne voient que du gibier et des ressources. La chasse est loin d’être juste. Face aux armes et aux technologies, la bataille est perdue d’avance pour les peuples qui n’ont pas encore succombé aux attraits promus par le système impérialiste.

Pourtant, ces espèces dans la nature sont les plus efficaces. La faune et la flore produisent l’oxygène, la nourriture, l’énergie, les médecines, ils protègent de la désertification. La biodiversité aide à comprendre l’évolution des êtres vivants et sa préservation contribue à l’équilibre de la planète. Sans elle, l’humain ne pourra survivre, ni les générations futures. L’empire ne trouve pas assez productives les espèces naturelles, pas assez payantes pour attendre que la nature et les êtres produisent : il faut les y forcer, les contraindre à subir des modifications qui les rendront plus performantes.

Les outils de l’empire ont dénaturalisé les espèces animales et végétales, dépossédé les premiers peuples et ceux qui continuent d’être en étroite relation avec un territoire. L’impérialisme est une culture parasite qui draine tout des ressources d’un territoire pour en surdévelopper un autre. Ses œuvres grandioses et spectaculaires cachent la misère sur laquelle leurs constructions sont érigées. Comment expliquer que l’on continue d’être séduit par sa technologie et ses réalisations ?

Résistances des femmes

L’expansion et la multiplication des activités extractives ont donné naissance à une résistance qui débute souvent au niveau local et se base sur la perception du risque et des impacts de ces activités sur l’environnement et sa biodiversité et sur les communautés. La résistance naît en tant que réponse à de profondes préoccupations liées à la vie quotidienne et qui sont en relation avec les impacts sociaux et ceux affectant la santé de la population. Les femmes jouent alors un rôle central à travers leur implication directe ou encore par le sens qu’elles attribuent à la mobilisation.

Nombreux sont les territoires où les femmes paysannes et autochtones font face aux formes traditionnelles et nouvelles de l’extractivisme. Elles résistent à la mercantilisation et la surexploitation de la nature. Leurs expériences mettent en valeur le protagoniste féminin dans des scénarios où règne une immense asymétrie entre les acteurs impliqués et elles affrontent des milieux particulièrement agressifs.

Certaines organisations de femmes en Amérique latine mettent non seulement en évidence la relation entre nature et genre, mais de plus, elles conçoivent l’extractivisme dans un cadre plus complexe d’oppression, comme celui des relations patriarcales. La Terre est l’aspect fondateur en tant que la Mère de la vie qui est la nourricière sur laquelle l’humanité exerce de l’oppression, tout comme la domination patriarcale sur les femmes, le féminin et les autres genres.

À travers les conflits générés par l’extractivisme surgissent des rébellions face au pouvoir dans ses multiples manifestations, pour la défense de la qualité de vie et du droit de décider qui conduisent les communautés à adopter des pratiques écologistes et féministes.

Le retour vers une vie en lien avec le territoire et des cultures intrinsèques à la nature est-il possible après la destruction et la dépossession imposées par le système impérialiste et son corollaire extractif ? Il est grand temps que la nature et le féminin reprennent la place qui leur revient. Cela se fera probablement de manière brutale. Comme une maladie soudaine frappe celui ou celle qui abuse de son corps, la planète va réagir avec une fièvre cataclysmique pour venir à bout de l’infection qui l’afflige.

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