Mathieu Bock-Côté, dissident ?

No 70 - été 2017

Analyse du discours

Mathieu Bock-Côté, dissident ?

Valérie Beauchamp

Avec Le nouveau régime, Mathieu Bock-Côté publiait cette année chez Boréal son cinquième livre. Regard sur un essai qui s’inscrit en droite ligne dans un courant populiste de droite porté par la glorification de l’identité nationale.

Dès la première phrase, la lectrice ou le lecteur est avisé·e : « Nous sommes aujourd’hui convaincus de connaître la vraie nature de la démocratie. » Mathieu Bock-Côté tentera donc de nous détromper. Fait cocasse, à la fin de l’introduction, nous apprenons que cet ouvrage est en fait un résumé des quatre livres précédents de l’auteur, qu’il commentera. Ainsi, nous avons Mathieu Bock-Côté qui exposera la vision de la démocratie… de Mathieu Bock-Côté. Lui, il sait, il nous guidera, il nous expliquera.

Dans cette publication, tout y passe : féminisme, militance trans*, diversité culturelle, courants politiques. Difficile, donc, d’en faire le tour. Cet article abordera la première partie du livre (« L’utopie diversitaire »), qui porte sur le multiculturalisme, et laissera à d’autres le soin de poursuivre la critique.

Un élément traverse toutefois l’intégralité de l’ouvrage : la méchante gauche qui cherche à tout détruire. Bock-Côté dénonce à toutes les pages cette « gauche » qui serait déconnectée du peuple, tout en nous livrant une analyse de ce que seraient les besoins et idées du peuple. Tout ça en s’insurgeant qu’on puisse le traiter de populiste pour délégitimer ses propos dans l’espace public.

Cette « gauche », jamais définie, est présentée comme un réel danger pour la démocratie. Mais à quelle gauche l’impétueux sociologue fait-il référence ? Aux mouvements sociaux progressistes ? À la gauche institutionnelle qui s’incarne dans Québec solidaire ? Aux milieux syndicaux ? Aux anarchistes ? Ou encore à certains artistes ? Nous ne le saurons pas. Le terme « gauche médiatico-universitaire » employé à un moment fait sourire. Nous apprenons ainsi que le système médiatique est au service des « mouvements sociaux les plus radicaux », rien de moins ! Quant à la mention d’universitaire, nous pouvons tenir pour acquis que cette gauche décadente trouve ses racines dans les sciences sociales… Dans tous les cas, cette drôle de notion, à peine esquisser, servira de définition de « la gauche ».

La religion multiculturaliste

Cette gauche, donc, se trouve ici contestée de par sa supposée croisade déconstructiviste de tout ce qui fonde l’identité nationale, si chèrement défendue par Bock-Côté. La stratégie de ce grand Satan : un appel à l’ouverture sur la diversité culturelle du territoire et une diabolisation de l’héritage historique et culturel québécois dont elle cherche à se défaire. Mathieu Bock-Côté se pose alors en nostalgique de cette culture et de cette histoire qui s’effacent. (Peut-être aussi nostalgique d’une époque où sa position de dominant n’était pas remise en question : il revient constamment sur l’acharnement qu’il perçoit contre « l’homme blanc, francophone, hétérosexuel et catholique » dans l’espace public.)

Cette gauche chercherait à détruire l’idée même d’identité qui émerge d’une histoire commune et d’une culture que l’on doit préserver – je paraphrase à peine. Et elle serait en voie de réussir à travers la « religion multiculturaliste ». Parce que le multiculturalisme, pour Mathieu Bock-Côté, est une « religion politique » qui trace la voie de la vertu et place l’Occident dans une position de coupable perpétuel appelé à reconnaître le mal qu’il porte dans son histoire. En ce sens, l’auteur s’indigne contre les luttes pour la reconnaissance, dans l’histoire de l’Occident, du colonialisme et du racisme structurel qui ont forgé les nations et les institutions que nous connaissons aujourd’hui.

Il est tout de même étrange que les invitations à prendre conscience des privilèges dont jouissent certaines personnes et à discuter de ceux-ci soient perpétuellement considérées comme une exhortation à se sentir coupable. L’objectif poursuivi est plutôt de se responsabiliser individuellement et collectivement face aux rapports de pouvoir qui structurent notre quotidienneté et qui affectent nos concitoyen·ne·s. Il s’agit justement d’une façon de dépasser cette histoire coloniale et raciste pour en construire une plus respectueuse des différentes cultures qui peuplent un territoire.

L’incompatibilité culturelle

Tout au long de son essai, Mathieu Bock-Côté s’insurge. De fait, le langage utilisé est celui de la guerre, une guerre culturelle où les deux protagonistes qui lutteraient supposément l’un contre l’autre sont, d’un côté, la majorité blanche catholique occidentale et, de l’autre, les personnes issues de l’immigration.

Le sémillant commentateur ne s’embourbe d’ailleurs pas dans les nuances et y va plutôt d’une charge frontale décomplexée sur l’islam et les musulman·e·s, toutes origines et toutes pratiques religieuses confondues. La définition qu’il donne de l’identité nationale occidentale ne laisse aucun doute sur cette posture : « [...] des identités culturelles qui se fondent sur une histoire commune, qui ont des droits, notamment celui de se préserver contre la diversité culturelle, le multiculturalisme et l’immigration musulmane imposée par la gauche. » L’auteur se revendique donc de son héritage chrétien et pose l’hypothèse d’une incompatibilité entre l’Occident et les populations musulmanes, citant au passage Samuel Huntington sur le Choc des civilisations (1996). Il va jusqu’à nous mettre en garde contre « [...] la portée catastrophique d’une déchristianisation non seulement spirituelle mais aussi intellectuelle de la civilisation européenne [...] » !

Nous retrouvons donc dans cet ouvrage la logique de bouc-émissaire où les immigrant·e·s détruisent le tissu social, privant le « peuple » de repères identitaires dans lesquels s’ancrer. Avec une telle prémisse, Mathieu Bock-Côté trouve quand même le moyen de décrier le fait qu’on le taxe d’avoir une conception essentialiste des cultures. Or, il aura beau se distancier du terme, son analyse se base sur le postulat qu’il existerait une « diversité irréductible du genre humain » qui engendre des incompatibilités intrinsèques entre l’Occident blanc chrétien et l’islam. Lorsqu’il pose un antagonisme insurmontable entre deux cultures, M. Bock-Côté perpétue une vision essentialiste des identités, et ne peut le nier. Nous nous trouvons devant une posture où le terme Culture remplace celui de Nature, donc une identité immuable, une essence dont il n’est pas possible de se défaire pour s’adapter à d’autres contextes culturels.

Un dissident auto-proclamé

Si Mathieu Bock-Côté est en guerre, c’est aussi parce qu’on serait en guerre contre lui. Ses critiques salvatrices sont systématiquement évacuées de l’espace public par la « gauche » qui domine le débat et elles sont qualifiées de réactionnaires par les « militants du multiculturalisme ». À le lire, la « gauche » définirait les termes de ce qui peut être dit dans l’espace public, se résumant ainsi : « Les seules passions admises [dans l’espace public] seront celles qui poussent à la destruction de la société occidentale pensée comme héritage. »

Bock-Côté serait, dans sa propre conception, un dissident du régime dominant puisqu’il s’oppose à ce saccage. Il se revendique d’un conservatisme social qui veut préserver la grandeur de la nation et l’amour de la patrie. Il a sa place auprès de personnes comme Raymond Aron, Julien Freund, Alain Finkielkraut et Éric Zemmour, à qui il consacre un chapitre entier sous le thème de l’« admirable dissidence ».

Cela peut faire sourire. Or, cette rhétorique, dans une période trouble d’accélération de la mondialisation, est dangereuse. Ce livre pointe vers plusieurs effets du néolibéralisme, notamment sur l’idée d’autodéfinition de soi sans ancrage social. L’auteur réagit à cette injonction néolibérale de se construire soi-même pour être performant par un appel à la tradition, à l’enracinement dans une histoire et une culture héritée d’un passé glorifié. Le nationalisme identitaire y est vu comme un rempart à cette mondialisation néolibérale.

Le livre sur ma table de travail dans les cafés a suscité plusieurs réactions, dont de nombreuses résolument favorables aux écrits de Mathieu Bock-Côté. Sa défense de l’« héritage » québécois est particulièrement appréciée et les personnes qui ont pris la peine de me parler ont toutes souligné que l’identité québécoise était en péril, à cause de l’immigration en général et des « musulmans qui ne veulent pas s’intégrer » en particulier, un commentaire récurrent dans ces discussions impromptues.

Il y a un réel sentiment de dépossession identitaire chez une frange de la population. Comment répondre à cette angoisse existentielle d’une façon constructive, sans se réfugier dans le passé et verser dans le repli identitaire ? Car aucune solution réelle n’est présentée dans cet ouvrage, hormis le fait de dénoncer le multiculturalisme dans l’espace public pour conserver le privilège de la majorité blanche francophone québécoise. Le néolibéralisme comme idéologie du sujet provoque effectivement une perte de repère en raison de l’injonction à se construire soi-même. Par contre, les moyens proposés par Bock-Côté pour lutter contre ces effets néfastes sur le tissu social sont diamétralement en contradiction avec ce que propose réellement la gauche.

Nous aussi, nous déplorons le triste état de la démocratie, mais nous ne cherchons pas de boucs émissaires. Notre appel à la solidarité pour tous et toutes, que l’auteur perçoit comme un affront à l’identité nationale et à sa position d’homme blanc, hétérosexuel et chrétien, n’est pas une destruction totale du tissu social, mais bien la seule façon de le reconstruire sur des bases égalitaires.

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