Paradis fiscaux. Au-delà des belles intentions

No 70 - été 2017

Économie

Paradis fiscaux. Au-delà des belles intentions

Claude Vaillancourt

Rarement les élites financières auront été aussi ébranlées que par les scandales qui se sont succédé concernant les paradis fiscaux. Les Offshore Leaks, Swiss Leaks, Lux Leaks et Panama Papers ont agi comme autant de coups de marteau sur un clou qu’on enfonce. Devant des injustices aussi flagrantes et des inégalités sociales qui ne cessent de s’accentuer, les gouvernements ne pouvaient plus rester inactifs. Mais peut-on vraiment se fier à eux pour prendre les importantes mesures qui s’imposent ?

En période d’austérité budgétaire, le recours systématique aux paradis fiscaux de la part des puissants a soulevé une grande indignation parmi les populations. Manifestations, actions de désobéissance civile, spectacles et autres activités diverses ont été organisés dans différents pays, et ont culminé pendant une première semaine d’actions internationales contre les paradis fiscaux, coïncidant avec le premier anniversaire de la sortie des fameux documents de Panama, le 3 avril 2016.

Ces pressions deviennent d’autant plus pertinentes que l’on signale dans plusieurs pays de réelles intentions de s’attaquer au phénomène. L’une des avancées les plus spectaculaires est sans aucun doute le Foreing Account Tax Compliance Tax (FATCA), une initiative du gouvernement des États-Unis qui met en place un échange automatique de renseignements entre les banques étrangères et le fisc américain. Cet exemple sera suivi par de nombreux pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont le Canada, qui devrait appliquer une mesure similaire d’ici la fin de l’année 2018.

Ces mesures pourraient être efficaces pour combattre la fraude, protégée jusqu’ici par un secret bancaire particulièrement opaque. Pour qu’elles donnent des résultats significatifs, elles doivent dans notre cas s’associer à des investissements significatifs dans l’Agence du revenu du Canada (ARC), permettant d’entreprendre des enquêtes longues et complexes sur des fraudeurs et fraudeuses qui ont plus d’un tour dans leur sac. Le gouvernement Trudeau prévoit à ces fins près d’un milliard de dollars, ce qui, selon l’organisation Canadiens pour une fiscalité équitable, permettrait de récupérer 2milliards$.

Après les compressions majeures du gouvernement Harper, ces nouveaux investissements paraissent moins impressionnants qu’ils devraient l’être. Ils n’en restent pas moins importants et montrent à quel point le réseau des paradis fiscaux demeure une construction néfaste, tentaculaire et inextricable. Les coûts qu’ils impliquent pour nos sociétés demeureront très élevés si on ne s’attaque pas aussi à la racine du problème.

Contrer l’évitement fiscal

Si l’intention de s’en prendre à l’évasion fiscale semble bien réelle, il est tout aussi important, sinon plus, de mettre fin à l’évitement fiscal, c’est-à-dire de s’en prendre aux manœuvres légales, ou à la limite de la légalité, faites par les banques et les firmes comptables pour dérober des fortunes qui serviraient normalement à financer les services publics et les programmes sociaux. Selon Canadiens pour une fiscalité équitable, il s’agirait là des deux tiers des fuites fiscales. Sur cet aspect aussi, des mesures intéressantes sont annoncées.

Le combat contre les paradis fiscaux doit d’abord se faire à l’échelle internationale. L’OCDE est l’organisation qui mène la lutte et qui s’est intéressée à la question des prix de transfert, c’est-à-dire cette planification très tordue qui consiste à enregistrer les profits d’une entreprise dans un paradis fiscal, ce qui permet de ne pas payer d’impôt. L’OCDE soutient une excellente mesure : la déclaration pays par pays, ce qui devrait obliger les entreprises à payer les impôts là où elles réalisent leurs profits.

Plusieurs organisations qui s’intéressent à la fiscalité ne font cependant pas confiance à cette organisation. Ne s’agit-il pas d’un club de pays riches, forcément exclusif, et défenseur du néolibéralisme ? Cet organisme a fait preuve dans le passé d’une grande inefficacité à agir contre les paradis fiscaux, dont il a contribué au développement en offrant un modèle de convention fiscale à leur avantage. Il est plutôt souhaité de créer au sein des Nations unies un organisme international dont la vocation serait d’aborder la question de façon globale et de voir à l’élimination des paradis fiscaux.

Les gouvernements nationaux peuvent eux aussi faire avancer la cause. Tant celui du Canada que celui du Québec se sont engagés à prendre des mesures importantes qui pourraient grandement réduire l’évasion et l’évitement fiscaux. Dans les deux cas, un intéressant programme a été conçu. Mais on peut se demander quelle sera la volonté de les mettre en place. Pour éviter qu’ils sombrent dans une inertie à l’avantage des puissants, les pressions citoyennes doivent être fortes et capables de se maintenir.

Quelques premiers pas

Au Canada, la Chambre des communes a adopté une motion plutôt prudente et bien orientée proposée par le Nouveau Parti démocratique (NPD). Elle demande que le gouvernement du Canada resserre les règles pour les sociétés fictives, renégocie les conventions fiscales sur la non double imposition et mette fin aux ententes de pardon sans pénalité pour les individus soupçonnés d’évasion fiscale. Il reste à voir si ces propositions se transformeront en actions concrètes et en projets de loi.

Le gouvernement du Québec, lui, s’est montré plus audacieux. Dans un rapport de la Commission des finances publiques sur « le phénomène du recours aux paradis fiscaux à des fins d’évasion et d’évitement fiscaux », 38 propositions sont formulées afin de s’attaquer de front au problème. Des propositions si nombreuses peuvent difficilement rater leur cible, et si elles étaient toutes appliquées, le Québec aurait l’un des meilleurs plans de lutte contre les paradis fiscaux.

L’établissement d’une taxe sur le profit détourné (Google tax) permettrait d’aller chercher l’argent des entreprises spécialisées dans le commerce électronique. Celui-ci s’exerce sans frontières et échappe actuellement à la taxation, même s’il s’alimente de consommatrices et consommateurs bien ancrés chez nous. Le rapport propose d’étudier les possibilités pour le Québec de se soustraire aux conventions fiscales signées par le Canada, celles sur la non double imposition principalement, qui permettent de ramener l’argent des paradis fiscaux sans payer de l’impôt ici. Il recommande que le gouvernement et la Caisse de dépôt et placement coupent les liens avec les entreprises coupables de fraudes fiscales (mais cette notion de culpabilité est problématique alors que tant de montages financiers douteux demeurent légaux). Les lanceurs·euses d’alerte seraient récompensés plutôt que punis et les pressions seraient fortes sur le gouvernement canadien afin qu’il prenne des moyens plus efficaces pour combattre les fuites fiscales.

Une nécessaire mobilisation

Si nos gouvernements provincial et fédéral ont désormais dans leurs cartons des mesures intéressantes pour s’attaquer au problème des paradis fiscaux, ils se gardent aussi la possibilité de ne rien faire du tout. La motion du NPD pourrait ne pas avoir de suite, surtout si elle n’est pas accompagnée de pressions citoyennes. D’importants intérêts privés feront pression pour que le rapport de la Commission des finances publiques se retrouve sur une tablette, en compagnie d’autres excellents projets délaissés (le rapport Pronovost sur l’agriculture et le rapport Lanoue-Mousseau sur les enjeux énergétiques par exemple).

D’autant plus qu’une nouvelle menace apparaît. Avec sa promesse de réduire les impôts des entreprises à 15% aux États-Unis, Donald Trump relancera la concurrence fiscale entre les États à un niveau jamais atteint. Il ne faudrait certes pas que la façon de combattre les fuites fiscales soit de transformer la planète entière en paradis fiscal pour les entreprises. Il faudra donc être particulièrement attentif et prévoir d’importantes mobilisations pour que tout l’argent ne reste pas dans les mains de quelques privilégié·e·s, comme nous l’indiquent depuis plusieurs années d’inquiétantes statistiques.

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