Dossier : Bouger des montagnes. (…)

Dossier : Bouger des montagnes. Les Laurentides engagées !

Les organismes communautaires, laboratoires d’un nouveau pouvoir

Benoit Larocque, Farah Wikarski

Depuis 15 ans, à l’instar des autres régions du Québec, les Laurentides vivent une désintégration des services publics. Dans ce contexte, le Regroupement des organismes communautaires des Laurentides (ROCL), interlocuteur désigné des organismes communautaires en santé et services sociaux, défend ardemment un rattrapage du financement des organismes et œuvre à la solidarité régionale.

Le changement du rôle de l’État, induit par la montée de la pensée néolibérale, s’observe au quotidien dans les organismes communautaires des Laurentides. Pour le ROCL, qui représente 145 organismes communautaires de la région, principalement en santé et services sociaux et dont le financement de la mission provient du ministère de la Santé et des Services sociaux, les transformations qui surviennent dans le réseau de la santé depuis bientôt 15 ans sont profondément révoltantes.

Au début des années 2000, les Laurentides comptaient 32 établissements en santé et services sociaux et autant de conseils d’administration. En 2004, Philippe Couillard, alors ministre de la Santé dans le gouvernement Charest, a proposé une réforme prévoyant la fusion de suffisamment d’instances pour faire passer le nombre de conseils d’administration de 32 à 13. Lieux de participation démocratique, ces conseils d’administration permettaient l’élection de personnes de tous horizons qui étaient connectées à la réalité des diverses populations de la région. Ce système, bien que perfectible, avait pour avantage de favoriser l’enracinement des décisions à l’échelle du territoire, de coller aux réalités locales et de soutenir un modèle de représentation qui valorise la démocratie. Plus récemment, l’actuel ministre Gaétan Barrette a réussi à fusionner à nouveau les 13 conseils d’administration restants en un seul. Extrêmement centralisatrice, la réforme Barrette a éliminé du même coup tout processus électoral, octroyant au ministre le pouvoir entier de nommer l’ensemble des membres composant les CA des nouvelles mégastructures régionales.

Ce nouveau contexte force inévitablement le ROCL et les organismes communautaires à prendre position dans cette entreprenante dislocation du caractère démocratique du système.

Le déversoir d’un système asphyxié

Cette désintégration du caractère démocratique des instances gouvernementales en région n’est malheureusement pas circonscrite au seul système de santé. Pensons aux coupes en éducation, aux besoins en logements sociaux ou en transport collectif, à la perte de services sur les territoires éloignés des grands centres. L’équation est simple : moins de démocratie est synonyme de moins de services.

À titre d’exemple, évoquons Mont-Laurier, agglomération la plus importante du territoire Antoine-Labelle, où il n’y a plus de radiologiste, où les cliniques d’Alzheimer, de diabète et de vaccination-voyage sont fermées et où il n’y a plus de service pour soutenir les enfants qui ont des difficultés de langage. Les personnes qui requièrent ces services doivent obligatoirement se déplacer, et parfois faire des centaines de kilomètres pour obtenir des réponses à leurs besoins. Ces déplacements demandent évidemment du temps et de l’argent. Selon l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), ce sont 4,2 milliards qui ont été coupés dans les services publics du Québec depuis l’accession au pouvoir du gouvernement de Philippe Couillard. Or, quand la population n’a plus accès aux services dans le réseau, elle se tourne invariablement vers le communautaire, créant un afflux important de demandes pour lesquelles les organismes, déjà sous-financés, ne sont pas nécessairement outillés pour répondre.

C’est ainsi que certains organismes en santé mentale de la région ont vu leur nombre de participant·e·s doubler depuis à peine deux ans. Les équipes de travail doivent alors opérer des choix déchirants pour maintenir une certaine santé organisationnelle et pour relever les défis quotidiens dans un contexte où un rattrapage de 17,5 M$ est requis pour les organismes financés à la mission en santé et services sociaux.

S’enraciner, durablement

Ces coups de vent néolibéraux ébranlent le ROCL et ses membres. Nous ressentons intensément le besoin de nous ancrer dans nos valeurs humanistes pour résister au déracinement. Nous tentons de décoloniser nos cerveaux de certaines croyances sur l’état supposément dramatique de nos finances publiques. Des journées de réflexion, des communiqués et points de presse, des formations, des rencontres et des actions de mobilisation permettent de mieux saisir certains enjeux et de créer un sentiment d’appartenance à un mouvement alternatif, de structurer un contre-discours et des propositions. Voici un exemple d’action récente : dans des lettres adressées au Bureau du protecteur du citoyen et au Commissaire régional aux plaintes et à la qualité des services, plusieurs organismes membres du ROCL ont mis en lumière l’ampleur des pertes et des ruptures de services pour la population des Laurentides.

Lors de ces rencontres, nous tentons de retrouver le sens premier de notre existence en tant qu’organismes communautaires : être là pour répondre aux besoins des personnes directement concernées par nos missions, et non pour combler les besoins d’un système qui explose de toute part.

Des oasis dans le désert

« There is no such thing as society » disait Margaret Thatcher à la tête du Royaume-Uni dans les années 1980. Cette pensée résume bien l’état d’esprit de la droite néolibérale au pouvoir un peu partout en Occident actuellement. Le gouvernement Couillard, qui ne ménage aucun effort pour privatiser des services publics se positionne clairement dans le même axe que Thatcher. Or, l’expérience vécue dans les organismes communautaires tend à démontrer que ce postulat individualiste élude quelque chose de fondamental : les personnes qui y gravitent cherchent à se connecter à une dimension sociale et incontournable de leur vie. Dans un tel environnement hostile, les organismes communautaires qui fonctionnent à échelle humaine sont autant de lieux pour étancher sa soif d’appartenance et pour exister, tout simplement.

Les organismes des Laurentides résistent de leur mieux à la désertification entraînée par les politiques actuelles en offrant des espaces de vie qui permettent aux gens de sortir de l’isolement, de développer un sentiment d’appartenance à une collectivité et de prendre sa place quelque part.

Agir comme sentinelle sociale

L’expression vient d’Henri Lamoureux, socioéthicien, qui a beaucoup réfléchi à l’action communautaire. L’image de la sentinelle exprime le rôle particulier des organismes communautaires dans la société. Depuis nos organismes ancrés dans les réalités locales, il nous est possible d’observer de près les besoins et les réalités des gens qui les fréquentent. De cette position, qui permet de constater avec acuité les conditions de vie des personnes, vient la responsabilité de communiquer ce que nous voyons, voire d’alerter l’opinion publique et les divers paliers de gouvernements pour faire en sorte que des lois et règlements favorisant une plus grande justice sociale soient adoptés. C’est dans cet esprit que le ROCL a documenté les impacts des coupes récentes sur les personnes qui fréquentent les organismes et agit au mieux pour alerter la population et les décideurs·euses de la région sur les méfaits de la réforme Barrette dans les dernières années.

En pratique, les conséquences de cette réforme prennent la forme d’interruptions de suivis médicaux, d’accroissement des exigences pour accéder aux services de santé et services sociaux, l’arrêt de la prise en charge de nouveaux malades dans les services psychosociaux des CLSC, la réduction du personnel dans ces derniers, l’allongement des délais d’attente, notamment pour les évaluations pédopsychiatriques, le remplacement de l’accueil psychosocial en personne par la ligne téléphonique 811. Tous ces exemples mettent en relief la fragilisation de l’accès à des services publics gratuits et de qualité pour toute la population.

Devant cet État qui coupe et détruit les acquis sociaux, il faut se nourrir de nouvelles voies, construire de nouveaux chemins des possibles. Collectivement, continuons d’explorer toutes les facettes de notre pouvoir d’agir.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème