Dossier : Bouger des montagnes. (…)

Recherches archéologiques

6000 ans d’occupation laurentienne !

Dossier : Bouger des montagnes. Les Laurentides engagées !

Sylvie Constantin

Longtemps, on a cru que les Laurentides avaient été peuplées à partir de l’arrivée des premiers colons, à la fin du 19e siècle. Des recherches archéologiques éclairent ce passé en faisant plutôt remonter la présence humaine à plus de 6000 ans.

En 1986, la municipalité régionale de comté d’Antoine-Labelle confiait à l’entreprise Ethnoscop le mandat de réaliser une étude du potentiel archéologique de la partie non municipalisée de son territoire. Ce mandat découlait d’une entente entre la MRC et le ministère des Affaires culturelles du Québec. Cette étude devait fournir aux administrateurs·trices de l’époque un outil de gestion de la ressource archéologique en effectuant un survol des données déjà colligées au cours des années antérieures, mais surtout en proposant un découpage du territoire en termes de probabilités de présence de sites d’occupation humaine ancienne.

Cette étude de potentiel sera suivie d’inventaires, puis de fouilles qui établissent avec certitude que l’occupation humaine remonte à 6000 ans. Des objets de toutes sortes émergent du sol ou sont tout simplement recueillis à même les rives de rivières et de lacs tels le Mitchinamicus, la Rouge, le Maison de Pierre, l’Adonis, le Nasigon ou le Notawassi. Ces artéfacts expriment la culture matérielle de ces peuples et fournissent la preuve d’une grande ingéniosité et d’adaptation à leur milieu environnemental. On y trouve des gouges, des bifaces, des pointes de projectile taillées dans de la matière lithique issue du territoire, mais aussi de provenance exotique comme ce chert [NDLR : pierre sédimentaire riche en silice] onondaga, qui aura voyagé du Sud ontarien et de l’État de New York actuel jusqu’aux Hautes-Laurentides. Et que dire de ces lames en cuivre natif qui ont fait l’objet d’échanges entre les communautés du Grand Lac Supérieur et ces nomades laurentiens ? Des tessons de poterie, des poinçons en os, des racloirs, des grattoirs en quartzite du Mistassini sont autant d’éléments qui situent ces occupations sur un continuum temporel qui va de l’archaïque jusqu’à la période des contacts européens. En effet, des perles de verre, des silex de fusil et des haches de traite d’origine française ou anglaise apparaissent également dans ce bagage matériel. C’est lors de fouilles plus récentes, en périphérie du Petit et du Grand Lac Nominingue que l’on a pu aussi mettre au jour de tels vestiges qui témoignent de leur présence (voir photo).

L’arrivée des Européen.ne.s

On peut facilement imaginer tout ce réseau commercial qui prédominait déjà dans le paysage des Laurentides à cette époque. À grands coups de pagaies, les rivières qui marquent notre territoire sont empruntées par ces peuples toujours en quête de nouveaux espaces de chasse, de pêche et de cueillette. Les Laurentides deviennent vite, à la période du contact avec les Européens, c’est-à-dire au début du 17e siècle, une florissante région où foisonne la ressource par excellence et tant recherchée par les Français : la fourrure, en particulier celle du castor.

Ces explorations permettent aux Français « coureurs des bois » et voyageurs de faire des rencontres et des alliances avec, entre autres, les Weskarinis (parfois orthographié Oueskarinis). Appartenant à la grande famille linguistique des Algonquiens, ce sont eux que l’on retrouve sur l’Outaouais, la Diable, la Rouge, la Lièvre et la Gatineau ainsi que sur l’ensemble de leurs bassins versants respectifs. Champlain lui-même les croisera lors de son passage sur l’Outaouais en 1613 et les nommera « peuple de la Petite Nation ».

Ainsi, sur plusieurs générations en Hautes-Laurentides, défile la descendance de ces mariages interculturels entre Autochtones et Canadiens français. Même après la Conquête et jusqu’à l’arrivée des premiers colons, à la moitié du 19e siècle, un certain nombre de Canadiens adoptent leur mode de vie et s’imprègnent de cette « culture-nature ».

Toutefois, les Laurentides demeurent un terrain de jeu hostile pour les nouveaux colons. Les terres ne sont pas propices à l’agriculture, mais plutôt à l’industrie forestière qui impose de plus en plus son monopole d’exploitation. Les entreprises délogeront subtilement et progressivement les différentes nations algonquines, dont les Anishinabes et les Atikamekws, qui occupent ces terres ancestrales. On assiste en effet à leur « effacement » à mesure que progressent les coupes à blanc. Ces petites communautés s’installent tant bien que mal aux abords des rives des lacs et rivières. Mais dès que les « entrepreneurs du bois » s’approprient ces terres ou que le mouvement de colonisation vers le nord progresse, elles se déplacent à nouveau, toujours plus à l’ouest, vers l’Abitibi-Témiscamingue, et également vers le centre du Québec, en Haute-Mauricie.

« Sortir l’Indien du bois... pour mieux sortir le bois ! »

On raconte qu’à Nominingue, au début du 20e siècle, à la Pointe-Manitou, une famille a été chassée pour permettre l’installation d’une résidence d’été pour les jésuites. Nos fouilles archéologiques, menées en 2017, confirment d’ailleurs une présence amérindienne qui remonte à plus de 400 ans.

En 1876, le gouvernement rassemble en une seule loi l’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages en cette province et l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages dans la loi sur les Indiens. Cette loi donne entre autres au surintendant général tous les pouvoirs d’intervenir auprès des Indiens. On peut d’ores et déjà noter une faille majeure dans le système juridique qui est alors adopté, et qui est encore aujourd’hui remis en question : pourquoi donner tant de pouvoir à un seul homme ?

De plus, la loi remplace les structures traditionnelles de gouvernance par l’élection de conseils de bande dont l’administration est laissée à la discrétion du ministère et de ses agents, c’est-à-dire les place sous la tutelle du fédéral. Le surintendant général, qu’on surnommait aussi l’« agent des bandes  » ou « agent de soutien aux Sauvages  », détient le pouvoir de statuer sur le territoire qui sera octroyé aux Amérindiens ; celui aussi de déterminer où et sur quelle superficie on leur attribuera ces terres qu’on appelle « réserves » en vertu de l’Acte de 1851 délimitant certaines étendues de terres pour l’usage des tribus de Sauvages dans le Bas-Canada. En vertu de ce pouvoir, de nombreuses populations, autrefois nomades dans les Laurentides, seront dorénavant obligées de se transformer en sédentaires. L’ensemble de leur mode de vie ancestral devait être remodelé, mis à l’écart et repensé dans une relocalisation où les références environnementales n’étaient plus tout à fait les mêmes. De plus, ces territoire restreints de chasse et de pêche les amènent à vivre dans des conditions de survie encore plus difficiles qu’auparavant.

On sait aussi que ce surintendant avait le droit de décider qui correspondait à la définition recouverte par le « statut d’Indien » et qui ne s’y conformait pas. Les femmes autochtones par exemple qui mariaient un colon perdaient systématiquement les privilèges qu’elles avaient en habitant dans les réserves ; il en allait de même pour les enfants nés de cette union. Ce genre de décision conduisait à la pure assimilation et à une acculturation totale, les dépossédant de leur identité et de leur origine. Cette loi fut jugée à plusieurs reprises discriminatoire tant par les institutions internationales que par les tribunaux canadiens (notamment les jugements de 2007 en Colombie-Britannique et de 2015 par la Cour supérieure du Québec). Ces isolements, ces séparations imposés provoquent fréquemment des fragilités d’ordre psychologique et une vulnérabilité liée à cette rupture des liens entre ces femmes et leur communautés respectives.

Laurentides métissées

Plusieurs de ces femmes et hommes autochtones, écartés de leurs réserves, engendreront une lignée métisse et « contribueront » à peupler les Laurentides. Les noms de Brisebois, Martin, Blais, Ménard, Bernard, Bruneau, Brun, Sainte-Marie, Chénier, Chichipe, et bien d’autres, sont la résultante de ces mariages « christianisés » : des familles bien installées dans notre municipalité régionale de comté actuelle.

Les conséquences désastreuses sur leur autonomie, leurs droits et libertés, leur qualité de vie, leur estime de soi font aujourd’hui encore l’objet de dénonciations et de revendications devant les tribunaux. Il en va de même pour certaines causes qui touchent les Métis.

Aujourd’hui, selon l’actuel découpage électoral, dans la région administrative de la MRC d’Antoine-Labelle, la seule réserve reconnue en terre laurentienne est Doncaster. Elle recouvre des terres attribuées à la communauté mohawk, consacrées pour l’instant exclusivement à la chasse et la pêche. Tioweroton, située à Sainte-Lucie-des-Laurentides, a été créée en 1853, en lien avec l’Acte de 1851. De plus, des associations métisses ont vu le jour à Rivière-Rouge, secteur Sainte-Véronique, à L’Ascension et à La Minerve.

Histoire et préhistoire à récrire

La préhistoire et l’histoire autochtones des Laurentides restent encore à être racontées. Il s’agit d’un maillon d’une chaîne peu documentée, pour le moment, sur plusieurs aspects, dont les interrelations entre ses différents occupants, échelonnées sur un long ruban temporel qui remonte à 6000 ans avant nous. Mais déjà, certains résultats des fouilles entreprises nous permettent de constater l’importance de leur occupation et de leur contribution à l’ouverture et au développement de ces territoires. La poursuite des recherches archéologiques nous permettra sûrement de mieux comprendre et surtout de mieux apprécier tout ce bagage dont nous héritons tant sur le plan culturel, sociopolitique qu’économique.

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