La pathologie managériale

No 67 - déc. 2016 / janv. 2017

Cégeps

La pathologie managériale

Pour une fois, il n’est pas question d’abolir les cégeps. Dans un récent document de consultation, la ministre responsable de l’Enseignement supérieur, Hélène David, propose « seulement » de créer de nouvelles structures et de revoir la réglementation régissant les établissements collégiaux.

Les professeur·e·s de cégep risquent encore de se faire accuser de « résistance au changement », comme les Wallons dans le dossier du libre-échange Europe-Canada en octobre dernier. Quelques (grosses) inquiétudes légitimes subsistent.

Restructurite Aiguë

Avant 1993, un Conseil des collèges du Québec régulait l’offre des programmes et s’assurait de la cohésion du réseau collégial. À la suite de son abolition, la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC) a vu le jour, avec pour objectif d’introduire des mécanismes d’assurance qualité dans les cégeps. Il s’agit de normes visant à assurer que les cégeps se dotent eux-mêmes de mécanismes d’évaluation de leurs pratiques. La légitimité de la Commission était de plus en plus mise à mal, non seulement par les professeur·e·s qui boycottaient sa visite dans plusieurs cégeps, mais aussi par quelques administrations clairvoyantes. Aujourd’hui, un nouveau Conseil des collèges viendrait remplacer la CEEC ; ce n’est pas pour autant que nous pourrons fêter la fin de l’assurance qualité. Au contraire, le Conseil des collèges tel que proposé par le gouvernement « permettrait l’intégration de la mission de la CEEC [1]  ».

Or derrière l’assurance qualité – qui dévoie complètement cette notion de qualité –, c’est l’internationalisation de l’éducation qui se profile. Le parallèle avec le libre-échange n’est donc pas fortuit : la tendance en éducation est à la comparaison des diplômes et des formations, considérés comme des marchandises. Cette comparaison induit une homogénéisation forte de la durée et des types de formations ainsi qu’une concurrence entre institutions d’enseignement supérieur afin de vendre leur « produit », et ce, à l’échelle internationale. Un indice de cela ? La composition du conseil des sages : il nous faudra trouver trois « expert·e·s internationaux » pour venir évaluer nos programmes, alors que les acteurs et les actrices œuvrant directement dans le milieu, par exemple à la Commission des études – instance la plus haute au niveau pédagogique –, ou émanant des syndicats, ne pourront siéger au Conseil. Sur le modèle des conseils d’administration, le projet propose des personness « neutres », c’est-à-dire détachées de toute affiliation, non redevables à une collectivité. C’est donc bien d’évaluation externe qu’il s’agira, plutôt que d’un lieu de concertation entre acteurs impliqués et représentants de leur milieu et de leur profession. On préfère ainsi des organismes structurés pour réaliser des audits plutôt que des organes décisionnels propres aux acteurs internes. L’avantage : d’un côté, un arrimage fort à « l’environnement changeant » plutôt qu’une « résistance au changement » et de l’autre, un ensemble de conseils qu’une ministre peut… ignorer à sa guise, puisqu’il ne s’agit que d’un organe consultatif.

Plus d’autonomie pour plus de concurrence

Si la création du Conseil des collèges semble donc continuer dans la même veine que la CEEC, les transformations du Règlement régissant les études collégiales (RREC) sont encore plus inquiétantes, parce qu’à la fois floues et potentiellement radicales.

L’un des objectifs formulés dans le document de consultation, « donner plus de flexibilité et de souplesse aux collèges », montre que malgré la création d’un nouveau Conseil des collèges, il ne s’agit pas de revenir à une cohésion nationale des programmes, mais bien d’augmenter la capacité d’autonomie des cégeps, tout en les mettant en concurrence les uns avec les autres. Ainsi, un cégep pourra mieux s’arrimer au marché du travail de sa région et offrir des formations destinées aux entreprises locales. Ce qui peut apparaître comme un tremplin pour les étudiant·e·s peut se transformer en cul-de-sac : une formation trop adaptée à l’univers du travail implique moins de polyvalence, moins de culture générale et de compétences transférables pour l’étudiant·e, alors qu’aujourd’hui les emplois se succèdent au cours d’une vie et les entreprises délocalisent et se restructurent plus vite que leur ombre.

La flexibilité et la souplesse visent aussi à accroître le nombre d’étudiant·e·s ayant accès aux études collégiales. À l’entrée, la révision des conditions d’admission pourrait signifier ouvrir encore plus grandes les portes à des étudiant·e·s sans diplôme d’études secondaires. Ces passerelles ne leur rendront pas service : les statistiques démontrent qu’ils connaissent des taux d’échec beaucoup plus élevés que la moyenne. Pourquoi ne pas prendre le temps de finir ses études secondaires avant de continuer ? À la sortie, l’évocation d’un diplôme d’études collégiales (DEC) par cumul d’attestations d’études collégiales, des formations purement techniques, fait frémir ; il s’agit d’une idée inspirée du rapport Demers portant sur l’offre de formation collégiale et déposé en juin 2014. Un DEC pourrait être décerné sans qu’aucun cours de la formation générale n’ait été suivi par l’étudiant·e. De plus, la cohérence interne d’un programme technique ne se retrouve pas dans la poursuite de trois AEC. Ainsi, prolongeant ce qui est bien entamé au secondaire, l’important sera de donner plus de diplômes, mais des diplômes qui ne voudront plus rien dire – en tout cas pas que le diplômé détient une formation générale solide et une formation spécifique de qualité.

Consultation à la libérale

Le reste du document distribué par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur est plus que laconique : il ne fait qu’énumérer les articles du RREC qui pourraient être revus. En gros, la quasi-totalité des règles : la forme du diplôme, qui le décerne, le calendrier scolaire, les conditions d’admission au cégep, les compétences, etc. Or, changer un règlement est beaucoup moins contraignant sur le plan démocratique, puisque le gouvernement n’est pas obligé de faire des consultations comme lorsqu’il modifie une loi. Le nouveau règlement entre en vigueur automatiquement 45 jours après la publication de bans.

Tout cela survient avec une rapidité d’exécution à laquelle ce gouvernement nous a habitués : agir le plus vite possible pour tenter de prendre de vitesse toute résistance. Les suivants ramasseront les pots cassés de réformes réfléchies à la va-vite ou déstructurantes comme dans le cas de la santé. L’annonce de la consultation a eu lieu le 2 septembre 2016, les mémoires des différents acteurs du milieu étaient attendus aussi tôt que le 3 octobre. À la suite de pressions, les délais ont été prolongés et la consultation s’est tenue du 31 octobre au 11 novembre. C’est toujours cela de gagné. Cependant, les gouvernements des dernières années nous ont accoutumés à des mascarades en guise de consultations servant uniquement
de tentatives de légitimation à des décisions prises d’avance. Il reste à voir si les positions des professeur·e·s de cégep pourront servir de contrepoison aux pharmacopées du Far West que la ministre cherche à inoculer au système d’éducation


[1Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, « Projet de création du Conseil des collèges du Québec. Document de consultation », gouvernement du Québec, 2016, p. 9. En ligne : www.education.gouv.qc.ca

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