La mal-mesure de la diplomation au collégial

No 84 - été 2020

La mal-mesure de la diplomation au collégial

Pierre Avignon, Pierre Doray, Stéphane Moulin

« Non, le revenu familial d’un élève n’est pas un facteur déterminant de sa réussite au cégep. Ni le fait qu’il vienne d’une école secondaire défavorisée. Ni qu’il soit issu de l’immigration, au contraire », peut-on lire dans l’édition du 2 septembre de La Presse. Les conclusions de la nouvelle étude dirigée par Richard Guay, issu du milieu collégial privé et financée par l’Association des collèges privés, étonnent.

Ni les données d’enquête de Statistique Canada, ni les études sociologiques n’appuient ces résultats. De fait, par le propre aveu des auteurs, leur étude ne prend pas en compte ni l’origine sociale des élèves, ni l’ethnicité…

Abordant les limites de leur étude à la toute dernière page 112 de leur rapport, les auteurs notent en effet timidement qu’ils n’ont pas pu mobiliser des mesures directes ni de l’ethnicité ni du statut socioéconomique des élèves. Alors sur quoi se basent-ils ? L’ethnicité a été mesurée indirectement par des informations sur les langues maternelles et d’usage et le statut de citoyenneté de même que le statut socioéconomique qui a été mesuré par le revenu moyen de l’aire de recensement de son lieu de résidence principal. De surcroît, les auteurs ne prennent pas en compte non plus le niveau de diplôme des parents.

Il est certes intéressant de voir les auteurs tirer le meilleur parti des données administratives du Ministère de l’Éducation. Cependant le Ministère ne collecte pas d’information sur l’origine sociale des élèves ou leur origine ethnique. Comment dès lors affirmer que l’effet de ces variables n’est pas déterminant quand de surcroit les études qui se fondent sur des données d’enquête montrent le contraire ?

En effet, les études sociologiques convergent pour rappeler que de tous les facteurs explicatifs de la réussite scolaire, c’est en premier lieu le diplôme des parents et en second lieu, le genre et l’origine ethnique, qui ont l’effet le plus significatif tant sur les risques de décrochage que sur les chances de diplomation. Ainsi une étude récente de Statistique Canada a montré que si les élèves qui fréquentent des écoles secondaires privées sont plus susceptibles d’avoir un diplôme universitaire que leurs homologues du secteur public, c’est d’une part parce que leurs parents ont des plus hauts niveaux de scolarité et d’autre part parce qu’ils sont plus susceptibles d’avoir des camarades de classe dont les parents ont fait des études universitaires [1]

Pour démontrer que la sélection opérée à l’entrée du collégial n’accentue pas l’inégalité sociale des chances, il aurait fallu a minima disposer de mesures directes de l’origine sociale des élèves. L’accès à l’enseignement collégial est, depuis leur création, soumis à un processus de sélection qui repose largement sur les notes, ce qui explique en grande partie les écarts de résultats scolaires entre établissements scolaires. En plus sur le plan de l’orientation, les élèves utilisent différentes ressources (conseillers d’orientation, palmarès,…) qui guident leurs choix. En d’autres mots, les modes effectifs de sélection des cégeps et des collèges contribuent à la distribution scolaire et sociale des élèves entre les établissements.

Après plus d’une centaine de pages d’estimations statistiques, on peut alors se rendre compte que les conclusions que l’on tire de cette étude tiennent plus de l’opinion que de la science.


[1Frenette, M., & Chan, P. C. W. (2015), Academic Outcomes of Public and Private High School Students : What Lies behind the Differences ?, Statistics Canada.

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