Le progrès fragile de la scolarisation primaire dans le monde

Dossier : Ouvrir l’école

Dossier : Ouvrir l’école

Le progrès fragile de la scolarisation primaire dans le monde

Un portrait statistique

Élisabeth Doyon

Plusieurs organismes internationaux ont entrepris de promouvoir l’éducation universelle : offrir à tous les enfants une scolarisation de base. Le progrès de l’institution scolaire primaire est indéniable, mais depuis une décennie celui-ci stagne et on craint que les avancées faites de longue haleine ne soient vite effacées dès lors qu’une crise économique ou un conflit militaire survient. Pis encore, le progrès de l’école et le progrès des compétences de base ne sont pas analogues : plusieurs vont à l’école, mais n’y apprennent que trop peu.

Au Québec, la Loi sur l’instruction publique oblige tous les parents à éduquer leurs enfants par, entre autres, leur scolarisation à l’école primaire. Plusieurs pays partagent un cadre législatif semblable, parmi notamment les membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), alors que d’autres n’ont pas cette obligation et d’autres encore considèrent la fréquentation scolaire comme un privilège. Comparer ces systèmes équivaut à comparer des pommes et des oranges. Rappelons d’ailleurs que les données ne sont pas neutres. Cette vision mondialisée du projet scolaire déployée par une gestion axée sur les résultats suscite des critiques de la part du milieu de l’éducation qui se plaint du traitement étroitement statistique de l’œuvre intellectuelle et culturelle qu’est l’éducation primaire. Malgré l’agenda néolibéral de compétition entre les États qu’elles sous-tendent, les données de l’Institut de statistique de l’UNESCO (ISU) et de l’OCDE sont tout de même les plus complètes pour tracer un portrait global de l’école primaire dans le monde.

En somme, les données qui sont présentées tout au long du présent dossier montrent que l’accès à l’éducation primaire a progressé depuis deux décennies, mais que ces progrès sont fragiles et ne sont pas uniformes. Les filles restent encore désavantagées, mais aussi les enfants en milieu rural ou dans les zones de conflits. La nouvelle administration scolaire transforme aussi les pratiques et les modes de financement dans une logique de capital humain. Enfin, cette manière souhaitant mettre les milieux et les nations en compétition entre elles sur le plan de l’éducation transforme la façon dont les politiques s’élaborent. N’oublions pas également qu’il y a toujours des réalités complexes derrière ces chiffres simplifiés. Par exemple, même à Montréal – un paradis de l’accès à l’école primaire – des enfants ne vont pas à l’école parce que sur le plan administratif, ces enfants n’existent pas. L’existence de Cité sans frontière, un organisme qui travaille à instruire les enfants sans papiers, témoigne de cette réalité cachée derrière les statistiques exemplaires du Canada [1].

Portrait global de l’accès à l’école primaire

Selon l’ISU, un enfant sur cinq dans le monde n’est pas scolarisé, ce qui équivaut à 263 millions d’enfants en âge de fréquenter l’école primaire ou secondaire qui ne la fréquentent pas [2]. Depuis 10 ans, la situation stagne : 9 % des enfants en âge d’aller à l’école primaire (de 6 à 11 ans environ) ne le font pas, soit 63 millions d’enfants au total. Évidemment, c’est dans la répartition géographique et socio-économique que l’on peut voir une grande disparité. C’est en Afrique subsaharienne que l’on trouve une majorité de ces enfants non scolarisés. Dans cette région, 23 % des enfants n’ont jamais été scolarisés ou ont quitté l’école primaire sans compléter le cursus. De plus, le nombre de ces enfants est en augmentation : l’Afrique subsaharienne, d’une part, a de hauts taux de natalité et, d’autre part, de bas taux de scolarité. La croissance du personnel enseignant ne répond pas à celle de la jeunesse. L’augmentation du nombre d’enfants non scolarisé dans cette région explique la stagnation globale des progrès puisque, en comparaison, l’accès à l’école primaire a augmenté en Asie. En effet, le sud et l’ouest de l’Asie sont passés de 39 millions d’enfants non scolarisés en 1990 à 13 millions en 2010. Les données montrent aussi que c’est la richesse qui est le facteur le plus important pour avoir accès à l’école : plus l’enfant est pauvre et issu d’un milieu rural, plus l’accès lui sera impossible.
Prenons l’exemple d’un pays dont les taux de déscolarisation sont stables depuis une décennie. Au Niger, 34 % des enfants pauvres sont scolarisés alors que 81 % des enfants riches le sont. Une tendance semblable favorise l’enfant en ville : 45 % des enfants ruraux sont scolarisés alors que 83 % des enfants urbains le sont. Les pays les plus riches ont un taux de scolarisation qui s’approche de 100 % à cause, notamment, de l’obligation juridique de la fréquentation scolaire.

Taux des enfants déscolarisés en âge de fréquenter l’école primaire (2017)

Le financement des écoles

Taux des enfants non scolarisés dans les pays en voies de développement

Comment se présentent le financement et les dépenses des écoles primaires dans le monde ? Car, entendons-nous, beaucoup des enjeux d’accès et de qualité reposent sur l’attribution ou non de ressources au système scolaire. Ce point est central, voire tentaculaire. Au cours des dernières années, d’importantes mutations ont touché le système de financement de l’école (publique et privée) « sous l’effet d’une concurrence accrue et de l’introduction de nouvelles logiques inspirées des mécanismes du marchéRevue internationale d’éducation de Sèvre, no. 65, 2014, p.35-44.]]. » C’est ce néolibéralisme qui a investi l’école avec ses logiques de performance et surtout, l’idée du capital humain selon laquelle l’éducation est le principal apport à la croissance économique. Cette logique devrait, en principe, se répercuter par des investissements tous azimuts en éducation.
Or, elle s’accompagne plutôt d’un discours sur l’efficience qui cherche à produire toujours plus avec toujours moins. Ainsi, les dernières années ont vu la prolifération de modèles de financement ou de rémunération axée sur les résultats. Une enseignante aux États-Unis, par exemple, a un intérêt financier à la réussite de ses élèves puisque son salaire en sera affecté. Quant au financement public, selon le partenariat mondial pour l’éducation, la part du financement de l’éducation de base est en baisse constante [3]. Or, cette baisse s’explique, entre autres, par une forme d’inflation des diplômes qui gonfle le financement des institutions supérieures et fait ainsi fondre la part allouée à l’enseignement primaire. Pour les pays en développement dont les données sont disponibles, les dépenses publiques en éducation sont en moyenne passées de 16,7 % à 17,3 %. Certains pays vont allouer plus de 20 % de leur PIB à l’éducation (comme le Bénin ou le Niger) alors que d’autres allouent moins de 10 % du PIB (Bhoutan, Burkina Faso). En Guinée, à Madagascar et au Tchad, ces dépenses sont restées inférieures à 3 % du PIB – une proportion inquiétante [4]. Aussi, ce discours du capital humain atteint aussi les parents : « Les familles poussent leurs enfants à entrer dans ce qu’elles perçoivent comme les voies d’excellence et sont prêtes pour cela à d’importants sacrifices financiers [5]. »

L’accès à l’école selon le genre


Les données quant à l’accès à l’école selon le genre sont parmi les plus surveillées, car l’augmentation de la présence des filles sur les bancs de l’école primaire est un mandat de l’UNESCO. En effet, malgré les objectifs internationaux, une inégalité dans l’accès perdure : les données de l’ISU de 2016 révèlent que pour chaque tranche de 100 garçons qui n’ont pas accès à l’éducation primaire, 128 filles n’y ont pas accès. En moyenne, 8,9 % des enfants ne vont pas à l’école primaire, 10 % des filles et 7,9 % des garçons. De toute évidence, cette disparité n’est pas également répartie à travers le globe puisqu’elle est intrinsèquement liée à des pratiques culturelles dites « régionales et locales ». Par exemple, l’Afrique subsaharienne compte plus de la moitié des filles n’ayant pas accès à l’enseignement primaire. Le mariage des jeunes filles, le retrait des filles enceintes et le manque de débouchés professionnels ne sont que quelques cas de figure qui expliquent ces statistiques. Or, chaque obstacle à l’encontre de l’accès des filles à l’école est une lutte politique, un combat contre une tradition. Il est déplorable de constater une stagnation des progrès de l’accès des filles à l’école primaire depuis une décennie, et ce, après l’impressionnante progression des années 2000.
La disparité de l’accès selon le genre est aussi liée avec le niveau de richesse du pays. Une moyenne de 20,3 % des enfants en âge de fréquenter l’école ne la fréquente pas dans les pays pauvres, soit 17,9 % de garçons et 22,9 % de filles. Dans les pays riches, la proportion des enfants ne fréquentant pas l’école primaire, évidemment, est bien plus petite. À l’inverse des pays plus pauvres, dans les pays plus riches, ce sont les garçons qui sont légèrement plus nombreux à ne pas fréquenter l’école primaire (3,8 % des garçons et 3,1 % des filles) [6].


Taux de non-scolarisation dans le monde en 2015

 

L’accès en fonction des compétences


Taux du Seuil de compétence minimale selon l’UNESCO

 

 

Les enfants qui vont à l’école, est-ce qu’ils apprennent ? Puisque nous relatons plusieurs fois par année les statistiques terrifiantes sur l’analphabétisme au Québec (allant parfois jusqu’à 50 % de la population !) la question est bonne à poser puisque l’accès frôle ici le 100 %, si l’on se fie aux chiffres de l’ISU. En effet, l’institut brosse un portrait plutôt gris des compétences de lecture, d’écriture et de calcul qui résultent de nos scolarités primaires. L’UNESCO crée ses propres indicateurs, dont celui du seuil de compétence minimale. Selon cet indicateur, il y a davantage d’enfants qui vont à l’école que d’enfants qui apprennent à bien lire. L’ISU estime que « plus de 617 millions d’enfants et d’adolescents n’atteignent pas les [seuils minimaux de compétences] en lecture ». Ces données ne concernent pas qu’une littératie rudimentaire, mais bien une littératie avancée ayant de hautes compétences d’interprétation. Même portrait pour les mathématiques : les systèmes d’éducation y sont donc rudement jugés puisque, selon ces statistiques, environ 60 % des enfants scolarisés n’atteignent pas les seuils minimaux établis par l’UNESCO [7].

Portfolio


[1Cité sans frontières, « Communiqué de presse : Des milliers d’enfants exclus de l’école au Québec : ça suffit ! ». Disponible en ligne.

[2UNESCO, Fact Sheet no.48. Disponible en ligne.

[3Partenariat mondial pour l’éducation, « Rapport 2014-2015 sur l’éducation ». Disponible en ligne.

[4Partenariat mondial pour l’éducation, « Financement national et extérieur ». Disponible en ligne.

[5Thierry Chevailier, op. cit.

[6UNESCO, « Réduire la pauvreté dans le monde à travers l’enseignement primaire et secondaire universel ». Disponible en ligne.

[7UNESCO, « Fiche d’information no. 46 », Disponible en ligne.

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