Pour que vieillir soit gai

Dossier : Vieillir

Dossier : Vieillir

Pour que vieillir soit gai

Francis Lagacé

La Fondation Émergence, sous la présidence de Laurent McCutcheon (1942-2019), lance en 2009 une formation intitulée « Pour que vieillir soit gai », destinée à faire comprendre les réalités des personnes LGBT [1] aux intervenant·e·s des milieux de vie où se trouvent les personnes aînées : maisons de retraite, CHSLD, résidences privées, etc. Comme le disait lui-même Laurent McCutcheon : « Je me suis battu pour sortir du placard et permettre que les autres puissent le faire. Je ne vais pas y retourner en vieillissant. »

Bien que ce programme fort bien conçu existe depuis 2009, il n’a pas toujours été financé et actif. Les politicien·ne·s sont prompts à adopter des principes vertueux ; ils et elles le sont moins à les mettre en œuvre et à leur accorder le financement nécessaire. C’est surtout à partir de 2017 que la fondation a eu les moyens de le développer grâce à une subvention du Secrétariat aux aînés, relevant du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Heureusement, une nouvelle subvention sur deux ans vient d’être accordée afin de desservir l’ensemble du Québec.

La formation dure une heure et demie, mais elle est adaptable selon les besoins du milieu. La présentation des réalités LGBT chez les aîné·e·s est accompagnée du témoignage d’une personne aînée appartenant à la communauté LGBT. Les personnes participantes peuvent poser des questions à la suite de la présentation. On remet un guide d’information et l’on incite l’organisme à adhérer à la Charte de la bientraitance. L’excellent guide a pu être réalisé en 2018. Il est très complet et présente de manière claire, lisible et accessible les réalités des personnes LGBT ainsi que l’historique du mouvement. Il permet en outre de sensibiliser à la terminologie et aux différents sigles employés pour traiter de la diversité sexuelle.

Aîné·e·s et LGBT : double contrainte

De manière graduelle et pédagogique, le guide démystifie les préjugés à l’égard de la diversité sexuelle, par exemple les stéréotypes de la femme camionneur ou de l’homme efféminé, et suggère de bonnes pratiques à l’égard des personnes aîné·e·s. Ainsi, en utilisant un langage inclusif, on pourra parler d’avoir une personne dans sa vie et non un mari ou une épouse.

Au tabou de l’homosexualité s’ajoute le tabou de la sexualité chez les personnes âgées. Je me rappelle en tant qu’enseignant universitaire avoir utilisé les services du GRIS [2] et avoir reçu le commentaire suivant d’une jeune étudiante en sciences de l’éducation : « Merci, Monsieur, de nous avoir permis de rencontrer des personnes gaies et lesbiennes. Vous savez, moi je viens de Laval et, chez nous, il n’y en a pas de personnes homosexuelles.  » Mutatis mutandis on peut entendre le même genre de propos sur les aîné·e·s LGBT : « ça n’existe pas » ou « les vieux n’ont pas de vie sexuelle ». C’est bien évidemment une grossière erreur et la sexualité ne se limite pas à ce qui se passe dans la chambre à coucher puisqu’elle inclut des questions affectives.

On serait d’ailleurs bien avisé de rendre disponibles dans les milieux de vie pour personnes aîné·e·s des films comme L’érotisme et le vieil âge de Fernand Dansereau, Anatomie de Patrick Bossé et Gérontophilie de Bruce LaBruce. Bien que les deux premiers parlent de la sexualité hétérosexuelle, ils brisent tous le tabou de la sexualité chez les personnes âgées et en font valoir toute la beauté, surtout le film très esthétique et en même temps très direct de Patrick Bossé ainsi que celui de Bruce LaBruce, qui montre l’amour entre un jeune homme et un vieillard [3].

Une charte de bienséance

Pour en revenir à la formation de la Fondation Émergence, on incite les milieux de vie qui en ont bénéficié à adopter la Charte de la bientraitance envers les personnes aînées lesbiennes, gaies, bisexuelles et trans qui contient 11 principes, dont « respecter le choix d’une personne aînée de divulguer ou non son orientation sexuelle ou sa transidentité », « inclure la lutte contre l’homophobie et la transphobie dans les programmes de formation destinés aux personnes œuvrant auprès des personnes aînées » et « s’abstenir de présumer de l’orientation sexuelle d’une personne et respecter son expression ou son identité de genre [4] ». À partir de juin 2018, la fondation a pu compiler les résultats d’une évaluation soumise aux personnes ayant suivi la formation.

On constate que le taux de satisfaction est très élevé : 88,7 % disent que la formation leur a permis de mieux cerner les réalités des personnes LGBT ; 83,9 % se sentent mieux outillés pour accompagner les personnes aînées LGBT ; 96,7 % recommanderaient la formation aux autres intervenant·e·s du milieu. Les éléments qui sont considérés comme les points forts de la formation sont le témoignage, la démystification des préjugés et les bonnes pratiques.

On ne peut que souhaiter la généralisation de cette formation. Le Québec a beau avoir une bonne réputation à l’égard de la diversité sexuelle, il n’y a qu’à voir la réaction de la plupart des hôteliers-hôtelières lorsque j’arrive avec mon conjoint et qui me demandent si je ne préférerais pas des lits jumeaux plutôt qu’un grand lit pour savoir que tout n’est pas réglé.


[1On appelle LGBT les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou trans. On peut y ajouter les personnes intersexes, queer ou bispirituelles. Certains organismes adoptent le sigle LGBTQ et d’autres le sigle LGBT+ pour être plus inclusif. Ces notions sont bien expliquées dans le guide Assurer la bientraitance des personnes aînées, lesbiennes, gaies, bisexuelles et trans fourni par la Fondation Émergence lors des formations.

[2Le GRIS est le Groupe de recherche et d’intervention sociale (homosexualité). Il fait des interventions dans les écoles secondaires depuis les années 1990. Ses interventions permettent aux classes de rencontrer deux personnes des communautés LGBT et de leur poser toutes les questions voulues sans tabou. Le groupe s’est d’abord fait connaître au Québec, puis a élargit son offre à toute la francophonie. J’ai souvent demandé ses services pour sensibiliser les groupes de futur·e·s enseignant·e·s aux réalités LGBT.

[3On pourra lire à ce sujet le billet que j’ai écrit sur le magnifique court métrage de Patrick Bossé et celui sur Gérontophilie.

[4On peut consulter la Charte de la bientraitance envers les personnes aînées lesbiennes, gaies, bisexuelles et trans sur le site de la Fondation Émergence dans l’onglet « Nos outils ».

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