L’alcool, la concurrence et la SAQ

No 60 - été 2015

Économie

L’alcool, la concurrence et la SAQ

Philippe Hurteau

La privatisation de la SAQ est l’une de ces idées qui refont toujours surface. Il faut vendre la société d’État soit pour mieux rembourser la dette du Québec, soit pour permettre aux consommateurs et consommatrices de profiter de meilleurs prix sur le vin. Pourtant, une étude [1] récente que j’ai réalisée avec mon collègue Simon Tremblay-Pepin nous indique qu’il s’agirait là d’un choix politique tout aussi dommageable pour les finances publiques que pour les client·e·s de la SAQ.

Depuis une dizaine d’années, les dividendes que verse la SAQ à l’État ont connu une augmentation de 46,4 % et se situent aujourd’hui à un peu plus d’un milliard de dollars. Cette croissance fulgurante fut essentiellement causée par la pression du gouvernement Charest qui cherchait ainsi à compenser les baisses d’impôt et l’abolition de la taxe sur le capital. Aujourd’hui, qui dit privatiser la SAQ doit donc se demander comment l’État devrait combler un trou de 1 G$ dans son budget.

À ce sujet, deux voies semblent possibles : augmenter la pression fiscale sur les entreprises et les particuliers ou revoir à la baisse les services offerts à la population. Bien entendu, les partisan·e·s de la privatisation se gardent bien de commenter ces éventualités.

Vendre la SAQ pour rembourser la dette

En avril 2014, le rapport Godbout-Montmarquette sur l’état des finances publiques a mis de l’avant l’idée d’une privatisation partielle de la SAQ. Le principe est assez simple : on vend 10 % des actifs afin de rembourser la dette et ainsi économiser sur les intérêts payés par le gouvernement sur ses emprunts.

Évaluer cette option n’est évidemment pas simple. Il faut d’abord déterminer la valeur marchande de la SAQ, évaluer le taux des intérêts payés par le gouvernement et projeter sur une longue période l’évolution de ces taux ainsi que les profits de la SAQ. C’est pourquoi nous avons utilisé deux scénarios différents ainsi qu’une diversité de taux d’intérêt possibles (les détails se trouvent dans l’étude citée pour ceux et celles qui veulent en savoir plus).

Le premier scénario tend à sous-évaluer la valeur réelle de la SAQ (12,4 G$) tandis que le second la surévalue certainement quelque peu (30,7 G$). La réalité se trouve alors quelque part entre ces deux pôles et dans tous les cas étudiés, sur une période de vingt ans, la vente de 10 % de la SAQ ferait perdre davantage de revenus à l’État qu’elle ne lui permettrait de réaliser des économies. Au mieux, l’État perdrait 245 M$. Au pire, il pourrait perdre jusqu’à 2,3 G$.

Bref, il est à parier qu’une telle possibilité viendrait en fait fragiliser et non solidifier les finances de l’État en plus de donner l’impression que le gouvernement panique en procédant à la vente d’un de ses actifs les plus rentables.

Bilan de la privatisation en Alberta

Dans son dernier livre, Éric Duhaime vante les mérites d’un marché privé de la vente de l’alcool. Selon le volubile chroniqueur, la concurrence dans ce domaine ne peut se traduire qu’en baisse des prix et en augmentation des produits disponibles.

La réalité tend pourtant à démontrer le contraire. Depuis la privatisation, les prix du vin et des spiritueux en Alberta ont crû deux fois plus vite qu’au Québec. Aujourd’hui, selon une étude de prix que nous avons réalisée, il n’existe aucun écart significatif entre les prix en Alberta et au Québec. De plus, il y a en Alberta 16 037 produits disponibles contre 29 300 au Québec.

Le bilan de la privatisation albertaine n’a donc rien pour venir au secours des thèses voulant que la création d’un marché concurrentiel, à l’inverse du maintien d’un monopole public, soit à l’avantage des consommateurs et des consommatrices. Le marché privé albertain peut se décrire ainsi : un oligopole où ce sont les grands distributeurs alimentaires qui ont récupéré les parts de marché de la vente du vin et des spiritueux.

Au final, les Albertain·e·s paient plus cher tout en ayant accès à moins de produits. Le tout, dans des commerces où les employé·e·s, à l’exception des boutiques spécialisées, sont tout sauf des spécialistes du vin.

Il n’est pas question pour moi de faire l’apologie de la SAQ. Seulement, force est de constater que le monopole public parvient tout autant à satisfaire les besoins financiers de l’État tout en se comparant avantageusement au secteur privé en ce qui concerne les prix et l’offre des produits. Le tout en proposant des conditions de travail bien plus intéressantes à ses employé·e·s que ce que le secteur privé offre dans les secteurs comparables.


[1« Doit-on privatiser la SAQ ? », Institut de recherche et d’informations socio-économiques (iris), 8 avril 2015.

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