Pourquoi promouvoir les femmes dans les médias ?

No 81 - novembre 2019

Féminisme

Pourquoi promouvoir les femmes dans les médias ?

Maïka Sondarjee

Dans les principaux médias canadiens et québécois, sept individus cités comme experts sur dix sont des hommes. Quand on ouvre la radio, la télévision ou le journal, c’est donc deux fois plus d’hommes que de femmes qui sont représenté·e·s comme possédant du savoir.

Dans une courte étude des grands quotidiens québécois, la journaliste Véronique Lauzon a découvert que parmi les 1500 personnes citées comprises dans l’échantillon, seulement de 22% à 27% étaient des femmes. Cette inégalité de genre est principalement due au fait que l’expertise est largement considérée comme étant l’apanage des hommes : dans l’imaginaire collectif, un expert est un homme blanc qui porte la cravate, qui a une voix posée et un ton raisonnable.

Démanteler le mythe de l’expert masculin

Dans une démocratie libérale, il est important d’avoir une représentation fidèle et équitable de la population dans les débats publics. L’objectif d’atteindre la parité de genre dans la représentation médiatique dépasse toutefois la simple représentativité statistique.

Il s’agit d’abord et avant tout d’une question fondamentale. Il a été prouvé que la participation des femmes dans les médias a le potentiel d’orienter différemment les débats publics. Une analyse de l’organisme sans but lucratif Informed Opinions sur les sujets traités par des hommes et des femmes ayant écrit des lettres d’opinion dans les médias canadiens révèle que les femmes abordent des enjeux sociaux différents des hommes, avec une approche généralement plus humaine et tenant compte des différentes formes d’oppression. Les femmes vont notamment traiter davantage de sujets tels que les violences sexuelles et la protection de l’enfance, mais aussi de l’accès à la nourriture et à l’eau potable pour les communautés défavorisées, de la diversité ou de la démence chez les personnes âgées.

Les voix des femmes sur la place publique sont donc substantiellement différentes de celles des hommes puisque leurs expériences et leurs vécus leur donnent une perspective différente sur le monde. Cette singularité est importante dans les débats publics, car ceux-ci orientent les politiques publiques et les décisions des organisations privées et gouvernementales. À long terme, incorporer davantage la voix de toutes les femmes dans ces débats a le potentiel de modifier fondamentalement les sociétés québécoise et canadienne.

Ensuite, il y a un fort aspect symbolique à l’inclusion des femmes dans les médias. L’industrie médiatique, incluant l’industrie culturelle et du marketing, a depuis longtemps favorisé l’image de l’expert masculin, bien élevé, au statut socioéconomique élevé et qui adopte un ton professoral. Pas étonnant alors que, selon une recherche de l’auteure Marika Morris, les hommes surclassent les femmes comme experts dans pratiquement toutes les catégories de travail au Canada.

Une représentativité plus grande de la société dans les médias, non seulement des femmes mais aussi des personnes racisées, aurait le potentiel de changer notre perception de l’expertise. À l’heure actuelle, cette perception masculine incite les journalistes à appeler davantage d’hommes pour répondre à leurs questions et pousse les hommes (comme les femmes) à recommander d’autres hommes lorsqu’ils doivent suggérer un expert.

Une construction sociale

Or, cette perception n’est pas innée mais acquise par la socialisation, et une grande partie de celle-ci vient des médias. Le public est bombardé par des images d’hommes scientifiques, rationnels, cisgenre, blanc et hétérosexuel. Au-delà des médias traditionnels, les femmes sont également moins souvent représentées comme expertes ou comme scientifiques dans les films et les téléséries populaires. Selon une étude de 2011 du Geena Davis Institute on Gender in Media, seulement 21% des personnages scientifiques, ingénieurs ou mathématiciens dans les films grand public étaient des femmes. Si les jeunes filles voyaient des femmes qui leur ressemblent à la télévision ou entendaient des voix féminines à la radio, cela pourrait influencer leur choix de carrière et leur confiance en leur capacité d’avoir une opinion ou une analyse qui mérite de l’attention.

Dans les faits, même lorsqu’elles ont réalisé un doctorat et qu’elles enseignent à l’université, les femmes ont tendance à répondre moins souvent par l’affirmative à des demandes d’entrevues, recommandant plutôt un collègue masculin ; tandis que les hommes acceptent plus volontiers des demandes d’entrevues qui concernent moins directement leur expertise. Cela est dû à la représentation de l’expertise en société.

Changer la représentation des femmes dans les médias et dans les débats publics a donc le potentiel d’en changer la nature et a un pouvoir symbolique énorme.

Taux de représentation des hommes dans les médias comme experts selon différentes catégories

66% des universitaires cités sont des hommes

55% des intervenant·e·s du milieu de la santé

76% des politicien·ne·s

66% des personnes citées comme sources dans le monde des médias

70% des représentant·e·s non élu·e·s du gouvernement

66% dans les milieux dits « créatifs »

52% des travailleurs·euses d’ONG

88% du personnel policier

78% des intervenant·e·s associé·e·s à des entreprises privées

73% des avocat·e·s et autres professions juridiques

Thèmes de recherche Féminisme, Médias et journalisme
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