Hong Kong. Entre la Chine et l’Occident

No 81 - novembre 2019

International

Hong Kong. Entre la Chine et l’Occident

Alexis Boulianne

Les récentes orientations autoritaires et expansionnistes de Pékin expliquent la ténacité des militant·e·s autonomistes de Hong Kong qui continuent de manifester malgré le retrait du projet de loi sur l’extradition de suspects vers la Chine.

La mobilisation des militant·e·s indépendantistes et autonomistes de Hong Kong, opposé·e·s depuis le mois d’avril 2019 à un projet de loi qui aurait remis en cause l’indépendance judiciaire de la région : la Chine doit-elle, encore aujourd’hui, être considérée comme un État colonisé luttant pour son indépendance contre les visées impérialistes de l’Occident ? À ce titre, son emprise grandissante sur Hong Kong, un territoire historiquement chinois, semble totalement justifiée et devrait être soutenue.

C’est l’argument que plusieurs personnes se réclamant de gauche pourraient être tentées d’avancer, soit d’appuyer la Chine dans sa tentative de réunifier son territoire précolonial. Il peut finalement sembler impossible de soutenir les Hongkongais·es dans leur combat pour l’indépendance sans cautionner le néo-colonialisme de l’Occident.

Un portrait bien différent émerge toutefois d’une analyse plus approfondie.

La place de Hong Kong au centre d’une longue saga qui oppose la Chine aux Britanniques commence avec l’invasion de l’île de Hong Kong et de la péninsule de Kowloon lors des guerres de l’opium. Dès 1842, le Royaume-Uni met en place un régime colonial qui considérait ceux et celles né·e·s à Hong Kong comme des citoyen·ne·s de seconde zone, qui resteront majoritairement gouverné·e·s par l’élite probritannique jusqu’en 1997, année de la passation à la Chine. 

Cette passation est encadrée par un accord qui garantit une certaine autonomie politique et économique à la ville pendant 50 ans et la création d’une constitution (la Basic Law, ou loi fondamentale) propre à Hong Kong. Le tout opérant sous le fameux slogan « un État, deux systèmes » formulé par Deng Xiaoping.

Dès 2003 pourtant, de vastes manifestations font reculer un projet de loi qui aurait enclenché l’article 23 de la Basic Law, qui spécifie que le gouvernement de Hong Kong rendra illégaux, entre autres, les « actes de subversion » contre le gouvernement central chinois. Ce n’était que le premier soubresaut d’une longue bataille entre le camp pro-Pékin et le camp prodémocratie.

En 2014, le Congrès chinois publie un projet de réforme qui aurait permis à Hong Kong d’accéder au suffrage universel pour élire ses dirigeant·e·s sous condition que les candidat·e·s au poste de chef de l’exécutif reçoivent l’aval du gouvernement chinois, empêchant ainsi des opposant·e·s politiques d’y participer.

Cette réforme a soulevé la colère des habitant·e·s de la ville, car perçue comme un cadeau empoisonné et au mieux comme une demi-mesure. Elle a provoqué une des plus grandes mobilisations de l’histoire de l’île, connue aujourd’hui sous le nom de Mouvement des parapluies jaunes. Le projet de réforme a été abandonné en 2015 après l’occupation réussie de certaines parties de la ville pendant plusieurs semaines par les manifestant·e·s.

Nouvelle opposition

C’est donc dans ce contexte – et dans celui de la condamnation en appel, au mois d’avril 2019, de certains leaders du mouvement – que les masses ont encore une fois pris la rue, le 12 juin, contre le Parti communiste chinois, regroupant selon les organisateurs plus d’un million de personnes (pour une population de 8 millions d’habitants) opposées à un projet de loi permettant l’extradition de suspects vers la Chine continentale. Lors de cette mobilisation, plusieurs dizaines de manifestant·e·s ont été arrêté·e·s et qualifié·e·s d’émeutiers·ères.

Le projet de loi sur l’extradition de suspects aurait permis à la Chine de ramener sur son sol des dissident·e·s de tout acabit, même non chinois, qui feraient l’objet d’un mandat d’arrestation en Chine.

Le 4 septembre, après 14 semaines de manifestations hebdomadaires, la cheffe de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam, a officiellement retiré le projet de loi en question. Malgré ce gain, les manifestant·e·s continuent de prendre la rue et d’affronter régulièrement la police antiémeute, dont les actions sont de plus en plus violentes et impulsives. Pourquoi s’entêtent-ils ?

C’est que les cinq demandes présentées après le 12 juin par les manifestant·e·s incluent non seulement le retrait du projet de loi sur l’extradition de fugitifs, mais aussi la libération des manifestant·e·s arrêté·e·s, le retrait public de l’accusation d’émeute, l’obtention du suffrage universel (qui n’est toujours pas acquis, la chambre législative n’étant élue qu’à 50 % par la population) et une enquête publique sur les agissements de la police antiémeute.

La Chine perçue comme une menace

La Chine d’aujourd’hui n’est plus celle de Deng Xiaoping. Son modèle économique hybride et son ouverture d’alors penchent de nos jours plus du côté d’un capitalisme d’État voilé de rouge que de tout autre modèle économique. Ses fortes tendances totalitaires s’expriment désormais au grand jour, alors que ses camps de « rééducation » assimilent par la force certaines minorités religieuses et ethniques du pays et qu’on ne compte plus le nombre d’opposant·e·s politiques emprisonné·e·s, en exil ou disparu·e·s.

Les outils technologiques déployés par l’État pour le contrôle des masses dépassent l’entendement : un vaste système de reconnaissance faciale et corporelle permet d’identifier en quelques secondes l’emplacement de la plupart des citoyen·ne·s chinois·es, où qu’ils et elles soient. L’État met également en place un matricule individuel attribué à chacun de manière à scruter et coter toute personne sous l’égide d’un crédit social englobant tous les aspects de la vie avec l’aide des plus grandes entreprises du pays. Le Parti communiste chinois souhaite étendre ce système de crédit social à l’ensemble des Chinois et des Chinoises dès l’année prochaine.

Les tentacules de l’appareil de répression chinois ne se limitent plus à ses frontières, mais s’étendent désormais aux pays limitrophes qui sont forcés de coopérer pour conserver leur bonne relation (économique) avec la Chine et opèrent eux aussi des mesures répressives contre les Ouïghours fuyant le Xinjiang. Avec la Belt and Road Initiative, son projet d’infrastructure de transport eurasiatique, la Chine vise à étendre son influence économique et politique de l’Asie centrale à l’Afrique en passant par l’Europe. 

Chez nous, des Hongkongais ont d’ailleurs été exclus du défilé de la Fierté de Montréal d’août 2019 en raison de «  tentative potentielle de sabotage du défilé par les procommunistes ». Plus tôt cette année, un diplomate chinois a tenté de faire annuler la conférence d’un dissident ouïghour à l’Université Concordia.

C’est devant ces nouvelles orientations du Parti communiste qu’on s’ébahit de voir encore des militant·e·s anticolonialistes afficher leur soutien pour la Chine, elle-même devenue un État qu’on pourrait considérer comme néocolonial.

Bien conscient·e·s de ce visage totalitaire et expansionniste désormais assumé par le Parti, les Hongkongais·es feront tout en leur pouvoir pour éviter de voir leur ville perdre sa valeur fondatrice déjà fragile : l’État de droit. Les droits pourtant octroyés par l’État chinois lors de la passation en 1997 ne semblent pas être respectés par Pékin sur son territoire et les militants hongkongais considèrent qu’ils ne le seront pas davantage à Hong Kong lors de la prise de contrôle par la Chine, prévue pour 2047.

L’ennemi de mon ennemi

Toute opposition à la Chine ne doit toutefois pas être perçue comme un cautionnement du capitalisme : les Hongkongais dénoncent justement leurs conditions de vie lors des manifestations, eux qui vivent dans une des villes les plus chères du monde. « Je paie 1200$ par mois pour une cellule, vous pensez vraiment que j’ai peur d’aller en prison ? » pouvait-on lire sur un mur bordant une autoroute cet été, une phrase qui symbolise l’état d’âme de cette jeune génération dont la qualité de vie est compromise par les prix vertigineux de l’immobilier.

Le capitalisme débridé qui s’est installé à Hong Kong profite bien aux plus riches, qui possèdent presque tous un passeport autre que leur document hongkongais et qui peuvent ainsi facilement émigrer si l’influence du Parti communiste chinois devient trop pesante sur leur ville. Il profite aussi aux investisseurs étrangers, qui utilisent la ville comme porte d’entrée pour le reste de l’Asie. Il profite enfin au gouvernement de Hong Kong, qui récolte les gains de la spéculation immobilière. Toutes ces injustices, les manifestant·e·s hongkongais·es les dénoncent lors de leurs prises de parole. 

La situation tendue à Hong Kong a aussi été instrumentalisée par le président des États-Unis, Donald Trump, qui insiste pour faire un lien entre le traitement des manifestant·e·s par la police et la négociation d’un important accord de commerce avec la Chine. C’est en réponse à l’intérêt soudain des États-Unis pour leur cause que certain·e·s manifestant·e·s se sont mis à agiter le drapeau américain et à demander à l’oncle Sam d’intervenir dans le conflit qui les oppose à Pékin. Une stratégie risquée qui semble donner raison au Parti, qui accuse les Américains de fomenter les manifestations à Hong Kong depuis 2014.

Au final, les manifestant·e·s hongkongais·es n’ont que très peu d’alliés, pas même au sein de leur propre gouvernement. À la lumière des tendances autoritaires de la Chine et des visées des Américains, le mouvement pour l’autonomie de Hong Kong mérite qu’on reconnaisse le droit à l’autodétermination de ses habitant·e·s et qu’on critique les dérives violentes de la Chine envers des personnes qui ne font que demander une vie libre et digne.

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