Dossier : Nouvelles résistances,

Syndicalisme stratégique

Nouvelles perspectives d’agitation contre l’austérité

Dossier : Nouvelles résistances, nouvelles voies d’émancipation

Laure Blais, Élie Dion

Vraiment, qu’y a-t-il de nouveau dans les formes de mobilisation qui se déploient depuis 2014 ? À partir de Montréal, nous exposerons quelques aventures de réseautage et les espoirs déçus qui s’en sont suivis. Tout en présentant une cartographie éclectique de ce qui bouge, a bougé ou bougera, nous insisterons sur le syndicalisme stratégique, lequel nous paraît un peu nouveau. Nous parlerons surtout du point de vue de l’enseignement supérieur.

Dans une perspective radicale (anticapitaliste), le Comité d’action solidaire contre l’austérité (CASA) a cherché, depuis l’hiver 2014, à mousser la résistance. Constitué de militant·e·s de divers groupes de défense des droits jouissant de leurs propres réseaux de membres, ce Comité a donné le ton de ce qui allait suivre. Celui-ci s’articulait autour d’assemblées publiques – lesquelles permettent à la fois une analyse de la situation et des groupes mobilisés –, d’appels à des manifestations et de réseautage qui se voulait pancanadien. Il semble que le Comité sera finalement dissous dans les groupes qui en formaient la base. Assurément, les travailleurs·euses immigrant·e·s, les chômeuses·eurs, les écolos, les artistes engagé·e·s et les syndicalistes désaffilié·e·s de l’IWW (Industrial Workers of the World) continueront de se connaître, de se reconnaître et de faire appel les unes aux autres, ne serait-ce que pour se transmettre de l’information.

De l’endettement étudiant jusqu’à la mort, le travail structure nos existences. C’est de cette évidence, trop souvent oubliée, que découle le syndicalisme stratégique. L’analyse qui suit vaut aussi pour les associations étudiantes, lesquelles partagent avec les syndicats de travailleurs·euses l’esprit de la formule Rand (l’adhésion « automatique » et le paiement d’une cotisation), les moyens financiers, le membership captif et le semblant de légitimité des assemblées générales.

Contrer le ronron syndical

Nous sommes nombreux ; nos réseaux, nos partages d’expérience s’enracinent dans quelques décennies de luttes. Nous nous connaissons, souvent depuis les premières mobilisations étudiantes. Des années plus tard, il arrive que nous nous recroisions dans les réunions syndicales et populaires ou dans les grands rassemblements (les forums sociaux, par exemple), à titre d’élu·e·s ou de délégué·e·s, représentant·e·s officiel·le·s de nos organisations respectives. Y allons-nous obligés ou nos convictions ont-elles changé ? Sommes-nous encore portés par l’idée de « la » révolution ? Nous sommes le mouvement, mais nous le travestissons de nos mandats officiels, lesquels participent du ronron lénifiant de la dissolution de nos forces. Nos jobs et nos bonnes positions n’illusionnent personne. Si nos luttes tombent à plat, n’est-ce pas en raison de nos faire accroire accumulés ?

Le syndicalisme stratégique fait le pari inverse. Il prétend à la possibilité d’utiliser les forces des organisations syndicales et associatives pour alimenter un contre-pouvoir, à l’intérieur, et pointant en direction de la société. Les militant·e·s esseulés dans leur propre structure se retrouvent par le biais d’assemblées publiques. C’est le cas d’Offensive syndicale (OS). Ses affinitaires partagent leur réalité, leurs analyses, mettent en commun leur radicalisme. Pourtant, OS s’est avérée impuissante. Débordée par un calendrier de négociation (le Front commun), en vacances, sans direction stratégique, finalement dénuée de stratégie offensive, la tentative sera finalement morte au feuilleton. Entre-temps, nous nous sommes connu·e·s et reconnu·e·s. Le printemps dira si nous sommes partout et si nous avons réussi, dans chaque organisation, à infiltrer les structures à partir de la base.

C’est aussi le pari qu’a fait le mouvement Printemps 2015 : qu’à partir des possibilités plus spontanées du mouvement étudiant, l’agitation contamine les autres milieux. En se donnant pour objectif de rassembler étudiant·e·s, travailleurs·euses et sans-emploi autour de comités d’organisation intersectoriels, sectoriels et locaux, l’organisation des luttes contre l’austérité et les hydrocarbures pouvait être orchestrée sous une bannière commune à l’extérieur des structures organisationnelles traditionnelles. L’initiative visait aussi à assurer le relais d’actions politiques dans des réseaux jusqu’ici imperméables à une ouverture intersyndicale dépassant le concertationnisme des têtes dirigeantes.

Après cinq mois d’activité, il faut constater l’incapacité du mouvement à soutenir une implication régulière des travailleurs·euses, imputable entre autres au temps d’implication politique laissé disponible par le travail salarié. Bien qu’il ait participé à la construction de nouvelles solidarités, Printemps 2015 demeure un mouvement organisé essentiellement par le milieu étudiant. Il a réussi, non sans certaines transformations, à coaliser différentes luttes (écologiques, sociales, syndicales) et à permettre une coordination du milieu étudiant avec d’autres secteurs de la société au sein de structures flexibles et horizontales de type affinitaire. En se donnant pour projet la construction d’un mouvement de masse contre l’austérité et les hydrocarbures dans une fenêtre temporelle déterminée, Printemps 2015 rencontre un engouement populaire et trouve aujourd’hui encore un nombre considérable de membres actifs dans plusieurs comités principalement régionaux ou locaux dans le milieu de l’enseignement supérieur. Ce mode d’organisation a jusqu’ici été capable d’influer les orientations du mouvement étudiant. L’effet d’un tel syndicalisme stratégique sur les mouvements écologique, syndical et communautaire reste toutefois incertain.

L’échec d’une réelle plateforme d’organisation intersectorielle n’indique pas l’épuisement de ce mode d’organisation. Le regroupement Profs contre la hausse (PCLH), ayant vu le jour au cœur de la grève étudiante de 2012, s’est remis en fonction au début de l’année 2015. Actifs dans leur syndicat local, les membres de PCLH s’organisent à l’intérieur de comités visant à mettre sur pied diverses initiatives communes. PCLH partage avec Printemps 2015 l’horizon et l’urgence des luttes à mener qu’ils inscrivent comme participation active aux actions syndicales, étudiantes ou citoyennes.

Pendant que nos forces se consument en réaction défensive contre les attaques judiciaires et les attaques à la réputation politique, nous peinons réellement à réinventer nos offensives et nos coalitions. Nous avons encore à trouver le moyen de transmettre les savoir-faire qui s’acquièrent alors que chaque nouvelle rentrée scolaire apporte son lot de nouvelles et nouveaux militant·e·s. Nous avons surtout à édifier les bases matérielles de nos mouvements, alors que la simple survie devient de plus en plus pénible, fatigante et onéreuse. Nous devons finalement parvenir à déjouer les nouvelles formes de pouvoir, tentaculaires, spectaculaires, récupératrices et façonnées de novlangue. Somme toute, il semble que le véritable défi de nos convictions, celui d’inventer de nouvelles formes d’organisation, d’action et de vie ne peut être relevé que par une véritable préparation de nos secteurs d’activité, au fil des tentatives réussies et échouées.

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