Les inégalités : une tendance mondiale

No 43 - février / mars 2012

Économie

Les inégalités : une tendance mondiale

Philippe Hurteau

Les inégalités sociales s’accentuent. S’il y a là matière à se scandaliser, il n’y a malheureusement pas matière à être surpris. Des études récentes ont bien documenté le phénomène au Québec et au Canada [1], mais qu’en est-il des autres pays dits « développés » ? Une étude publiée par l’OCDE [2] en décembre dernier s’attarde justement sur cette question et, disons-le, la réponse n’est pas des plus réjouissantes. Les pays membres de l’organisation, malgré trente ans de croissance économique soutenue, ont en effet vu l’écart entre les riches et les pauvres augmenter.

Ainsi, les personnes appartenant aux 10 % les plus riches peuvent compter, en moyenne, sur des revenus 9 fois supérieurs aux revenus de ceux et celles des 10 % les plus pauvres. Même les pays traditionnellement plus égalitaires comme l’Allemagne, le Dane­mark et la Suède ont vu une expansion de la pauvreté de leur population. Le Japon, la Corée et le Royaume-Uni connaissent aujourd’hui un écart de 10 pour 1 entre les revenus de leurs citoyens au sommet et à la base de la pyramide sociale ; tandis que ce rapport s’élève maintenant à 14 pour 1 en Israël, en Turquie et aux États-Unis. Finalement, l’OCDE constate que le Mexique et le Chili ont des écarts de revenus qui dépassent désormais le 25 pour 1.

Selon les mots mêmes de son secrétaire général, cet élargissement des écarts de revenus entre riches et pauvres remet sérieusement en question la thèse selon laquelle une croissance économique soutenue dans le temps se transpose en amélioration de la qualité de vie pour tous et toutes. Les politiques néolibérales des dernières années – qui, systématiquement, mettent l’accent sur la création de la richesse et non sur sa distribution – montrent alors leur vrai visage, soit celui de la lente construction d’un monde toujours plus inégalitaire.

Bien entendu, l’OCDE se garde bien de remettre en question le modèle de développement qu’elle privilégie depuis des années. Certains éléments contenus dans l’étude méritent tout de même d’être mentionnés. La cause principale de l’aggravation des conditions d’inégalités se rapporte au développement d’une iniquité structurelle dans la rémunération et les salaires. L’explication est assez simple : depuis trente ans, essentiellement en raison des revenus tirés de l’économie financière, les gains de marché des 10 % les plus riches se sont littéralement détachés de l’évolution des gains du reste de la population. Aux États-Unis, par exemple, le 1 % des plus riches a réussi à accaparer 17 % de la richesse globale du pays en 2007, contre « seulement » 8 % en 1979.

Parmi les raisons avancées par l’OCDE pour expliquer la croissance des inégalités, quatre en disent long sur le développement de nos économies depuis la fin des années 1970. D’abord, les différentes réformes qui ont mené à déréguler les marchés de l’emploi ont certes permis de faire travailler plusieurs individus, mais souvent au prix d’une augmentation des emplois sous-payés. Qui dit augmentation des emplois à bas salaire, dit accroissement des inégalités issues directement de la répartition des revenus dans le marché. L’OCDE en ajoute en pointant du doigt la création massive d’emplois à temps partiel ou précaires comme facteur exerçant une pression inégalitaire sur la distribution des revenus. Au cœur même du monde du travail, les inégalités sont portées par des changements structuraux qui font en sorte que le fait de travailler est de moins en moins synonyme d’un bon revenu d’emploi.

Bien entendu, cette mutation du marché de l’emploi ne s’opère pas d’elle-même, mais reflète de plus profonds bouleversements de l’économie capitaliste. La part toujours croissante de l’économie financière dans la répartition des ressources fait en sorte d’accentuer la distorsion entre les revenus provenant de la spéculation et ceux provenant du travail. Comme le fait remarquer l’OCDE, la distribution inégalitaire des revenus issus de l’économie financière a augmenté plus rapidement que les revenus liés à l’économie « réelle » dans les deux tiers des pays membres de l’organisation internationale.

Finalement, l’OCDE nous rappelle que les modifications apportées aux régimes fiscaux des pays membres participent également à l’augmentation des inégalités. En écartant, depuis les années 1990, l’objectif de redistribution de la richesse porté par la fiscalité, les différents gouvernements des pays concernés ont systématiquement fait diminuer l’accessibilité aux services, resserré les critères d’éligibilité aux programmes et coupé dans les transferts visant à compenser les effets inégalitaires du marché.

Bref, l’obsession de la création de la richesse mène à l’augmentation des inégalités au sein même des pays les plus riches. Le marché de l’emploi parvient de moins en moins à répartir les revenus de manière convaincante et juste, et les gouvernements semblent avoir résolument abandonné leur rôle dans la lutte à la pauvreté.


[1Eve-Lyne Couturier et Bertrand Schepper, Qui s’enrichit, qui s’appauvrit – 1976-2006, Montréal, IRIS, 2010 et Armin Yalnizyan, The rich and the rest of us, Ottawa, CCPA, 2007

[2Toujours plus d’inégalité : Pourquoi les écarts de revenus se creusent, Paris, OCDE, 2011.

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