Le combat de la Palestine à l’ONU

No 43 - février / mars 2012

International

Le combat de la Palestine à l’ONU

Un test du rééquilibrage du monde

Jooneed Khan

L’épreuve de force, modulée mais inéluctable, autour de la reconnaissance internationale de l’État de Palestine fournit l’un des plus sûrs indices du déclin de l’hégémonie occidentale et de la reconfiguration de l’ordre mondial en cours.

L’affrontement le plus spectaculaire a eu lieu le 31 octobre dernier quand, au milieu de vifs applaudissements, la Palestine a été admise comme membre à part entière de l’Unesco, l’agence de l’ONU pour l’éducation, la science et la culture. Par 107 voix (dont la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud) contre 14 (dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne et Israël), et 52 abstentions, la Palestine est devenue alors le 195e État membre de l’Unesco.

L’événement était entouré d’un bruyant psychodrame médiatisé : l’Unesco était aussitôt privée de 25 % de ses fonds (22 % venant des États-Unis, 3 % d’Israël). « Cela [entache] l’universalité  » de l’Unesco, mais «  [notre] travail est trop important pour être compromis   », a commenté sa directrice générale, Irina Bokova.

Frappant à chaud, Washington a en effet annoncé qu’il ne verserait pas à l’Unesco les 60 millions $ prévus pour novembre (75 % de sa contribution annuelle). Washington est obligé de sévir par une loi du Congrès, rappelaient consciencieusement les médias. Le Canada, quant à lui, « réexamine » sa contribution (10 millions $ par an) à l’Unesco, a dit le ministre des Affaires étrangères John Baird. Et le gouvernement Netanyahu, qui se passe bien de prétextes, relançait la cons­truction de colonies dans les Territoires occupés.

L’enjeu véritable  : la vigueur du diktat états-unien

L’adhésion de la Palestine à l’Unesco est entrée en vigueur le 23 novembre dernier. Le 13 décembre, en présence du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le drapeau de la Palestine était hissé pour la première fois au QG de l’Unesco à Paris.

Mais au-delà du destin du peuple palestinien, passé de 1,4 million à 11 millions de personnes en 64 années de dispersion forcée, l’enjeu véritable de cet impitoyable bras de fer, c’est la capacité des États-Unis d’imposer leur volonté à leurs alliés, clients et vassaux de l’Empire, et cela dans l’intérêt bien compris des intéressés.

La Palestine elle-même – qui jouit du statut d’observateur comme « Entité non étatique » à l’ONU depuis 1974 et qui a proclamé sa « Déclaration d’indépendance » en 1988 – y a obtempéré, et ce, jusqu’à septembre 2011 quand Mahmoud Abbas a annoncé à l’Assemblée générale que l’État de Palestine avait formellement demandé d’adhérer comme membre à part entière des Nations unies. Cette décision reflète la faillite totale des stratégies de «  plans de paix » et de « négociations  » que les États-Unis et l’Europe ont utilisées régulièrement depuis le Sommet de Madrid en 1991.

Plans torpillés, crédit épuisé, fantasme écourté

Ces négociations et autres « Feuilles de route » n’ont cependant pas empêché Israël de poursuivre l’expropriation des terres et des ressources palestiniennes, de démolir leurs maisons, de les enfermer et de les assiéger sans relâche, de bâtir toujours de nouvelles colonies – et d’assiéger Yasser Arafat dans ses bureaux de Ramallah, jusqu’à sa mort en novembre 2004. L’État juif a torpillé tous les plans de paix l’un après l’autre.

Il convient de rappeler que l’ « unique superpuissance », ayant triomphé en 1989 de la guerre froide, surfait déjà sur le Project for the New American Century (PNAC) que W. Bush et ses néo-cons ne rendront public que dix ans plus tard. Sous Clinton déjà, l’Afrique des Grands Lacs était refaite via le Rwanda et l’Ouganda interposés, la Yougoslavie était démembrée au grand dam de Boris Eltsine, l’OTAN était lancée dans la chasse aux Talibans en Afghanistan, et Bush, Blair et consorts occupaient l’Irak – marginalisant l’ONU, privant les Palestiniens d’un fort soutien, et rassurant à la fois Israël et les pétro-émirats du Golfe.

Or, la vision fantasmée du PNAC n’aura pas duré dix ans ! Les mensonges de Bush et Blair sur les «  armes de destruction massive  » de Saddam Hussein ont accouché d’un enlisement coûteux en Afghanistan, en Irak, voire au Pakistan.

Crise économique à l’Ouest, ailleurs, reprise en mains

En parallèle, l’économie occidentale battait de l’aile, l’Amérique latine se reprenait en mains, la Chine et l’Inde se réveillaient, le G7 ne pouvait plus gérer le système mondial sans recours au G20, et les peuples arabes se sont soulevés contre des dictatures vassales de l’Empire.

C’est ce rééquilibrage du monde que vient tester, et renforcer, la demande d’adhésion de la Palestine à l’ONU – qui est elle-même dans le collimateur puisque son architecture forgée par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ne reflète plus le nouveau rapport de force émergeant à l’échelle planétaire.

Les États-Unis, l’Union européenne, le Canada et le reste du monde anglo-saxon font des pieds et des mains pour empêcher le moment de vérité qui menace de les décrédibiliser et de les isoler encore davantage : un vote au Conseil de sécurité de l’ONU où Washington, et peut-être Londres et Paris aussi, seront obligés d’opposer leur veto à la candidature de la Palestine – qu’appuieront la Russie et la Chine. Les Palestiniennes et Palestiniens savent fort bien qu’il suffit d’un seul veto au Conseil de sécurité pour leur bloquer l’entrée à l’ONU. Mais forts de l’unité retrouvée entre le Fatah et le Hamas, et du réveil de la rue arabe qui veut soustraire l’Égypte et la Jordanie à l’emprise de l’axe USA-Israël-Arabie saoudite, ils semblent décidés à forcer le spectacle d’un veto états-unien à la vue du monde entier.

Le droit de poursuivre Israël devant la CPI

Car ils prévoient se tourner ensuite vers l’Assemblée générale où le veto n’existe pas et où ils ont déjà l’appui formel de 127 des 193 pays membres. Ces pays comptent en tout plus de cinq milliards d’habitants, représentant 75 % de la population mondiale – mais les 14 qui ont voté contre la Palestine à l’Unesco disent toujours représenter la «  communauté internationale  » !

Agissant toujours selon des lois votées par le Congrès, les États-Unis ont bloqué 200 millions $ destinés aux Palestiniens, ce qui paralyse notamment des projets d’alimentation et de santé. De son côté, en plus de relancer la colonisation, Israël a bloqué des transferts fiscaux dus à l’Autorité palestinienne. Les retrouvailles Fatah-Hamas ont encore ajouté à la furie de l’axe USA-Israël.

Grâce au vote positif de l’Assemblée générale, la Palestine sera admise à l’ONU à titre d’ « État observateur  », qui est aussi celui du Vatican. Elle sera alors admise automatiquement au sein de toutes les agences de l’ONU et sera habilitée à attaquer Israël devant la Cour pénale internationale pour les crimes du régime d’occupation ; on pense aussitôt au Rapport Goldstone sur le lynchage et la destruction de Gaza fin 2008-début 2009.

D’ici là, au risque de se marginaliser encore plus, l’ONU restera soumise aux pressions de pays comme l’Inde, le Brésil, le Japon, l’Allemagne, l’Afrique du Sud, le Pakistan, le Mexique, le Nigéria, l’Égypte et l’Argentine pour être admis au Conseil de sécurité.

Au nom de la démocratisation de l’ONU, le droit de veto restera fort contesté et il devra être modifié, accordé à tous les membres du Conseil de sécurité, ou carrément abandonné ! Les États-Unis et leurs alliés refuseront de céder. Ils risquent de suspendre leur participation à une ONU qu’ils ne pourront plus contrôler. Rappelons-nous les années Reagan quand les USA avaient accumulé des arriérés de près de 1 milliard $ à l’ONU pour contraindre l’organisation à servir leurs priorités et leurs intérêts. Ils doivent encore 1,3 milliard $ à l’ONU !

Les Palestiniens, le sionisme et la démocratie

Et d’ici là, les Palestiniens continueront de lutter pour tous les droits que leur reconnaissent les multiples résolutions de l’ONU, à commencer par la résolution 181 sur la partition sans consultation de 1947, sur Jérusalem aussi, et la 194 sur le droit de retour des réfugiés de 1948, et incluant les 242 et 338 sur le retour aux frontières de début juin 1967 en échange de la paix.

Le débat sur les risques qu’une adhésion de la Palestine à l’ONU ferait peser sur les droits inaliénables du peuple palestinien tient beaucoup à des désaccords tactiques entre camps adverses. Mais il est tout à fait pertinent en ce qui concerne les 1,2 million de Palestiniens et Palestiniennes vivant en Israël. La demande d’adhésion est postulée sur les frontières de début juin 1967, et semble les abandonner à leur sort. La question paraît simple, ses implications le sont moins et la réponse viendra avec le temps et après bien des méandres. En invoquant les frontières de début juin 1967, les Palestiniens disent à Israël que c’est l’unique chance d’arriver à la formule de deux États, donc d’un Israël pour les Juifs.

Mais le contentieux sur le droit de retour des 6 millions de réfugiées concernera les Palestiniens d’Israël, qui ne sont pas des citoyens à part entière, qui se disent les premières victimes de l’apartheid israélien, et qui mènent leur combat désormais au nom de la Déclaration universelle des droits des peuples autochtones.

Car le vrai problème, c’est l’insistance absolue du sionisme de maintenir Israël comme un État pour les Juifs, une exigence qui est incompatible avec toute prétention à la démocratie, comme le rappelait, lors d’un récent passage à Montréal, la députée palestinienne de la Knesset (le parlement israélien) Haneen Zoabi.

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