Dossier : Changer le monde - Où (…)

Islamophobie et antiracisme

L’urgence d’agir avec éthique

Dossier - Changer le monde : où allons-nous ?

Bochra Manaï

Il est impossible d’entrevoir un monde meilleur sans mettre fin aux modes de ségrégation découlant du racisme et de l’islamophobie. En dépit d’un discours officiel qui cherche à diminuer le problème, ou à faire comme s’il n’existait plus, cette question demeure essentielle à l’heure où les partis d’extrême droite gagnent en popularité et où l’exclusion prend de nouvelles formes, parfois moins visibles mais toujours pernicieuses.

Dans l’espace public et médiatique québécois, peu de légitimité est accordée aux voix antiracistes, qui proposent de créer des espaces d’entre-soi (ou safe spaces), de défier le racisme institutionnel, de voir la violence policière comme une traduction des inégalités raciales ciblant plus particulièrement les femmes autochtones, les jeunes Noirs de Montréal ou les jeunes musulmans visés par le prisme de la lutte à la radicalisation.

Les luttes antiracistes et anti-islamophobie peuvent être disqualifiées, car pour de nombreuses et nombreux citoyens niant le racisme, le fait d’en parler serait une façon de diviser la société et le fait d’évoquer l’islamophobie islamiserait la société.

Cette capacité à dénigrer la québécité des individus affectés par le racisme et l’islamophobie se fait d’autant plus qu’elle les ramène, dans le second cas, à un ailleurs lointain et oriental, leur nie leur citoyenneté et leur capacité d’action. En somme, c’est bien plus le déni du racisme qui met certain·e·s citoyen·ne·s au ban de la société que le fait d’en parler. Évoquer le racisme, le décrire avec minutie dans les plus banales interactions de notre vie en société permet au contraire de dénouer et de défaire le repli social, qui peut devenir une solution pour les citoyen·ne·s touché·e·s.

D’aucuns se demandent encore si l’islamophobie existe et s’il faut utiliser ce terme. Lorsque les discriminations, directes et indirectes, visent les femmes portant le foulard ou les jeunes hommes qui pratiquent visiblement leur religion, il est essentiel de qualifier ce traitement envers une catégorie de citoyen·ne·s comme l’illustration d’un « nouveau racisme ». Pour autant, si l’obsession actuelle, notamment médiatique et politique, semble s’acharner sur les musulman·e·s à coups de controverses portant sur le niqab, le burkini ou sur le halal, il est important de regarder l’ensemble des populations touchées par ces conditions du racisme.

L’islamophobie, comme toutes les autres formes de discrimination, de hiérarchisation sociale et de conditions inégalitaires, devrait naturellement se lier aux mouvements antiracistes historiques. C’est pourtant l’appartenance religieuse qui est discréditée par les organisations d’un mouvement antiraciste, qui se définit par ailleurs comme progressiste ou de gauche. Ces considérations concernant le Québec trouvent écho en France ou dans d’autres sociétés pluralistes où les musulman·e·s sont des minorités.

Entre militance divisée et actions solidaires

Face à l’évidence d’une islamophobie comme discrimination présente dans les discours et dans les actions, les militant·e·s éprouvent des difficultés, notamment de communication, et une certaine concurrence.

Les dissensions qui parcourent les rangs des militant·e·s contre l’islamophobie sont grandes, mais elles ne sont que le reflet de la différence intrinsèque entre leurs idées et leurs idéologies politiques. L’impossibilité de recourir à une voix unique ou à un seul discours pour parler d’islamophobie montre une hétérogénéité des idées. En somme, qu’ils ou elles travaillent à la valorisation des jeunes musulmans, à l’implication politique des citoyens québécois de confession musulmane ou s’attellent à la diffusion médiatique de contre-discours, ces personnes et leurs interventions forment un mouvement peu uni dont les différences oscillent entre recherche d’authenticité et d’autorité. En effet, dans les milieux communautaires ou universitaires, ces différences œuvrent à l’inimitié et freinent la nécessaire action commune.

Ces conflictualités, décrites comme internes et externes au mouvement antiraciste, traduisent de néfastes jeux de légitimité et d’illégitimité. Donc, considérer la lutte à l’islamophobie comme urgente dans le grand mouvement de l’antiracisme devrait permettre de dépasser ces luttes d’autorité et d’authenticité. À l’heure où le Québec, comme nombre de sociétés, se saisit de la question identitaire dans des termes populistes et sécuritaires, les enjeux du racisme et de l’islamophobie font émerger des alliances, parfois éphémères, qui s’accordent parallèlement sur les objectifs : de la dénonciation à la sensibilisation des institutions, etc. Or, l’éthique commune entre la lutte à l’islamophobie et à l’antiracisme devrait se concentrer sur le vécu des citoyen·ne·s ordinaires qui connaissent la disqualification au quotidien.

Au Québec, les actions tentant de lier les enjeux d’islamophobie et de racisme se multiplient. Elles semblent faire place de plus aux solidarités entre les discriminé·e·s et elles inscrivent cet enjeu urgent qu’est la lutte à l’islamophobie dans une matrice plus grande, qu’il est plus que nécessaire de regarder. Des espaces communautaires aux milieux universitaires en passant par les espaces institutionnels, un vent nouveau semble souffler sur le besoin de travailler aux liens de solidarité face aux enjeux du racisme systémique.

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