Des mots pour Léa

No 87 - mars 2021

Hommage

Des mots pour Léa

Le Collectif de la revue À bâbord !

Nous avons appris avec une grande tristesse le décès de Laurence-Léa Fontaine. La contribution de Léa à À bâbord ! est incontournable. Elle a été coordonnatrice de la revue pendant dix ans et tenait les chroniques « Travail » et « Figures marquantes ». Léa était aussi, à l’UQAM, une chercheure et une professeure de droit engagée. C’est une camarade grandement appréciée qui nous a quitté·e·s, autant pour l’efficacité de son travail que pour ses qualités humaines. Certain·e·s parmi nous ont tenu à lui rendre hommage.

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Léa a incarné brillamment un esprit qui a présidé à la fondation de l’UQAM et qui a caractérisé sa spécificité (là où tant de dirigeants auraient voulu et continuent de vouloir une université « comme les autres ») : esprit d’engagement, de justice sociale, de préoccupation pour les étudiant·e·s défavorisé·e·s, de conjonction de réflexion théorique et d’implication dans la communauté.

Elle a incarné tout aussi fortement l’esprit du Syndicat des professeurs de l’UQAM (SPUQ), porté dès sa fondation par Jean-Marc Piotte, dont elle était très proche : celui d’un syndicalisme de combat, fondé sur une critique radicale des inégalités, sur la défense constante (mais ô combien difficile) de l’idéal de l’autogestion, sur l’attachement farouche à la conception d’une université publique et émancipatrice, syndicalisme fièrement associé à la CSN et à la conception d’un deuxième front.

Cette lutte politique, à la défense des travailleurs et travailleuses, Léa l’a poursuivie, infatigablement, dans les pages d’À bâbord !, pendant plus de dix ans, commentant les luttes syndicales et les décisions juridiques avec une remarquable clarté pédagogique. Nul ésotérisme théorique, nul feu d’artifices de concepts et de 

citations savantes dans ces textes, mais un savoir au service des luttes collectives, cherchant à entrevoir par où la victoire pourrait enfin surgir.

À les revisiter, j’y retrouve son humour discret, se félicitant, au détour d’une phrase, que la Cour suprême ait enfin reconnu le droit constitutionnel à la négociation collective, vingt-cinq ans après avoir reconnu le droit d’association : « il aurait été idiot, écrit-elle, de reconnaître le droit de vivre sans celui de respirer ». J’y découvre surtout ce que j’ai sans doute toujours déjà deviné – car c’est sans doute ce qui fonde, précisément, la camaraderie militante – l’irréductible espoir d’émancipation, d’avancées juridiques, de révoltes victorieuses. En fait, à relire ces textes, où elle fait l’éloge des figures marquantes du passé, ou encore de l’inédite possibilité de grève sociale au Québec suite à l’arrêt Saskatchewan, je découvre en Léa un romantisme révolutionnaire, un romantisme sans phrases grandiloquentes, attentif aux détails, au prosaïsme des luttes quotidiennes, mais néanmoins un têtu romantisme de l’espoir. Et cet espoir placé dans nos luttes collectives, cet espoir d’émancipation, c’est assurément le souvenir que je garde de Léa.

Michel Lacroix

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À mon arrivée au sein de la revue, je me souviens encore de l’accueil discret et pourtant tout en ouverture de Léa envers les nouveaux et nouvelles membres. Bien que mon engagement à ses côtés ait été de courte durée, nous nous sommes rencontrées sur les territoires d’une humanité commune à partager, à inventer. Par son engagement, sa solidarité, son indignation et son goût pour la réflexion, Léa aura marqué plusieurs d’entre nous.

Au revoir Léa, xxx

Anne-Marie Le Saux

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J’ai côtoyé Léa pendant dix ans à À bâbord ! ; apprendre son décès a été un choc. Je garderai le souvenir d’une camarade souriante et rieuse, d’une coordonnatrice rassembleuse et d’une femme animée d’un profond sens de justice et passionnée par la défense des travailleuses et travailleurs dans leur combat pour des conditions de travail dignes. Repose en paix, chère Léa.

Marc-Olivier Vallée

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« Pour allier beauté et lumière sans perdre de distance

Pour être avec toi sans perdre l’ange de la nostalgie

Pour découvrir que la vie passe sans rien nous demander

Et considérer que tout est beau et ne coûte rien »

Mercedes Sosa (Victor Heredia), Razón de vivir

Bon repos, camarade.

Philippe de Grosbois 

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Léa a toujours su amalgamer, avec une grande facilité, le plaisir et le travail. Une condition primordiale pour militer dans une revue comme À bâbord !, mais qu’elle remplissait avec une aisance toute particulière. Pour la revue et dans chacune de ses implications, elle faisait preuve d’une immense générosité, qui la caractérisait à mon avis plus que tout. Cette générosité était à la fois pour elle une éthique, une nécessité et un puissant appel.

Très cultivée, et tellement amoureuse de la vie, elle n’a pas été payée en retour, et a dû subir les assauts d’épreuves à répétition. Mais elle trouvait en elle un grand courage pour se battre contre l’adversité. Sa capacité de résistance, que j’admirais tant, a cependant a été confrontée à l’épreuve suprême d’une santé défaillante.

Il nous reste de Léa ses articles, dans À bâbord ! entre autres, ceux d’une intellectuelle exceptionnellement engagée, à la pensée toujours préoccupée par la justice sociale ; et pour celles et ceux qui ont eu la chance de la fréquenter, il reste aussi des souvenirs impérissables en grande quantité.

Claude Vaillancourt 

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3 scènes de vie avec Léa

Scène I

Monter les escaliers menant à son appartement au troisième étage, dans Villeray, rencontrer le chat, Léa et la petite gang venue mettre le nouveau numéro d’À babord ! dans les enveloppes et les timbrer. Une fois bien installé·e·s, imaginez les conversations qu’on y menait, en répétant les mêmes gestes automatiques ; cette revue, il faut pas juste l’écrire, la monter, il faut aussi la rendre à ceuzes qui la lisent. Quelques bières, quelques bons verres pour nous aider. Et Léa qui veille.

Scène 2

Une réunion du Collectif d’À babord !, avec quinze ou vingt personnes présentes. Toutes de gauche, avec leurs orientations stratégiques parfois très différentes, devant s’entendre tire pousse. Léa qui s’installe pour présider et mener l’ordre du jour à bien, accord historique à chaque fois. Sans s’en rendre compte, on passait au travers, la parole circulait, avec aisance et sans masques.

Scène 3

Assemblée générale à Belle-Anse, devant l’île Bonaventure et le Rocher Percé. Léa se préparait secrètement en pensée, et tout en distribuant la parole aux membres de collectif, à la plongée sous-marine à laquelle elle s’adonnerait bientôt : jouer avec les phoques qui lui mordraient les orteils. Et le soir, elle nous raconterait l’amour qu’elle éprouvait pour ses mérous et autres poissons.

Je l’aimais.

Gérald McKenzie

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C’est toi qui m’as accueillie chez toi pour ma première réunion d’À bâbord !, pour la fameuse « lichette » lors de laquelle on collait des timbres et on envoyait les revues à nos abonné·e·s. J’ai un souvenir vif de ton accueil, de ta générosité.

Durant les années où je t’ai côtoyée, j’ai toujours senti que tu étais plus fière d’être militante que d’être prof. Peut-être que je me trompais, mais je sentais que tu étais très, très fière de ton engagement militant, de pouvoir nous apporter un coup de main, de solidariser tes privilèges.

Je t’adresse ces mots au « tu », parce que ça ne m’est jamais venu à l’esprit de te vouvoyer, malgré le grand respect que je te devais et que j’avais à ton égard. Tu dégageais une profonde humilité, une grande bienveillance, une sollicitude, un esprit de camaraderie qui continue de m’inspirer aujourd’hui.

J’ai des souvenirs très doux quand je pense à toi. Je te garderai toujours dans ma mémoire. Merci de m’avoir accompagnée toutes ces années, de m’avoir beaucoup appris.

Au revoir, Léa.

Karine Rosso

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