Définancement de la police. Amincir la mince ligne bleue

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Dossier : La police, à quoi ça sert ?

Définancement de la police. Amincir la mince ligne bleue

Alexandre Popovic

Printemps 2020 : le meurtre crapuleux de George Floyd à Minneapolis crée un momentum. Des foules en colère prennent la rue partout en Amérique du Nord, incluant Montréal, où des manifestations #BlackLivesMatter (#BLM) débordent largement le prévisible bassin militant. Ces manifestations deviennent les premiers gros rassemblements publics de la pandémie. Pendant un temps, les questions du racisme anti-Noir·e·s et des abus policiers réussissent à voler la vedette au satané coronavirus dans l’actualité. La question n’est désormais plus de déterminer si l’institution policière est minée par de sérieux problèmes, mais plutôt de savoir quelle réponse y apporter. C’est dans ce contexte que le thème du définancement de la police réussit à s’imposer dans le débat public.

Arrive l’automne. Ian Lafrenière, ex-porte-parole du SPVM devenu député caquiste, accède au conseil des ministres. Quelques semaines plus tard, la mort de Sheffield Matthews, un homme noir en crise abattu par le SPVM fin octobre, est traitée comme un fait divers par les médias. Un fait divers qui ne méritait pas un texte de la part de nos formateurs d’opinion. Il n’y a eu aucune mobilisation autour du procès de Christian Gilbert, un flic blanc du SPVM accusé d’homicide involontaire pour avoir tué Bony Jean-Pierre, un homme noir, à Montréal-Nord, en 2016 [1]. D’ailleurs, la couverture médiatique du procès a essentiellement permis de relayer un discours policier. Et pour couronner le tout, le parti de centre gauche qui gouverne Montréal a augmenté le budget du SPVM de 14,6 millions de dollars. Le momentum de juin était décidément loin derrière nous.

Le définancement et ses vicissitudes

Règle générale, les politicien·ne·s évitent de se mettre à dos la police. Les élu·e·s municipaux qui ont pris position en faveur du définancement de la police se sont faits très rares au Canada. Et lorsqu’ils l’ont fait, on était bien loin de la revendication formulée par plusieurs activistes #BLM à l’effet de réduire de moitié les budgets policiers : les quelques motions qui ont été soumises lors de certaines séances du conseil de ville évoquaient plutôt une compression de 10 %… Aux États-Unis, le camp républicain a instrumentalisé l’idée du définancement de la police pour affaiblir l’adversaire démocrate. Pour Joe Biden, le définancement est carrément devenu une accusation dont il a dû se défendre tout au long de sa campagne.

#DefundThePolice est d’abord et avant tout un slogan avant d’être un programme clair. L’idée elle-même ne fait pas consensus parmi les critiques de la police. Les plus radicaux voient dans le définancement une étape vers l’abolition pure et simple de la police. D’autres estiment qu’il s’agit plutôt de rediriger une partie des budgets de la police pour les réallouer aux services sociaux. Quant aux plus modérés, qui misent sur les caméras corporelles pour rendre la force constabulaire plus transparente, ils ne sont pas sans savoir qu’une telle mesure aura pour effet d’augmenter les fonds consacrés… à la police.

Que l’on croie la police réformable ou pas, un fait demeure : les gens sont encore nombreux à compter sur les hommes et femmes en uniforme pour assurer leur sécurité, comme en témoignent les 13,5 millions d’appels reçus au 911 au Canada en 2018-2019. Les élu·e·s savent que la police continue de jouir d’importants appuis dans l’opinion publique, comme le confirme le baromètre des professions de Léger Marketing qui, année après année, place la force constabulaire dans le top 10… bien en avant des politicien·ne·s. À Minneapolis, des élu·e·s qui avaient voté en faveur de la dissolution de la police en juin ont vite fait marche arrière devant la levée de boucliers suscitée par leur prise de position. Les homicides, il faut le dire, ont bondi de 50 % en 2020 [2] dans cette ville du Midwest…

La peur du crime, c’est le pain et le beurre des flics. Plus les coups de feu se font entendre, plus la pression se fait forte pour que la police accroisse sa visibilité devant mesdames et messieurs Tout-le-monde. Invoquant « une certaine recrudescence de la criminalité ces derniers mois », la mairesse Valérie Plante fait valoir « qu’il serait irresponsable de couper dans les budgets du SPVM en ce moment [3] ».

La nécessité et la possibilité de définancer

Pourtant, il faudra bien le faire un jour ou l’autre. Parce que le manque à gagner sur le plan des recettes fiscales causé par la pandémie amènera probablement les pouvoirs publics à promouvoir des mesures d’austérité. Et parce que le SPVM, à l’instar de bien d’autres corps policiers, est grossièrement sur financé : 665 millions de dollars par année, la masse salariale représentant la quasi-totalité du budget.

La police coûte les yeux de la tête : 15 milliards de dollars par année à la grandeur du Canada. Et son rendement laisse à désirer. On n’a qu’à penser aux taux de résolution de crime, qui font rarement les manchettes. Si tel était le cas, les contribuables réaliseraient qu’ils sont loin d’en avoir pour leur argent.

Cette idée voulant que la police représente une « mince ligne bleue » empêchant la civilisation de basculer vers la guerre civile permanente est une fumisterie qui exagère le rôle pacificateur des flics, camouflant le fait que ce sont souvent eux qui déclenchent la violence. En fait, nombre de flics carburent à l’adrénaline et se voient davantage comme des combattant·e·s du crime plutôt que des « agent·e·s de la paix ». Lorsque la Fraternité lance des moyens de pression, les culottes d’armée ne sont-elles pas plus populaires que les bonnes vieilles paires de jeans ?

Nous ne vivons pas dans une société où il existe une tradition de vendetta ; nos différends, nous les réglons pour la plupart pacifiquement. Y a-t-il vraiment quelqu’un par ici qui s’imagine sérieusement que nous allons devenir des « Mad Max » dès l’instant où la police se fera plus rare dans nos rues ? La civilisation pourra survivre au définancement de la police. Vous et moi aussi. 


[1Au début de février, le policier ayant tué Bony Jean-Pierre a finalement été acquitté des charges qui pesaient contre lui (NDLR).

[2Holly Bailey, “Minneapolis violence surges as police officers leave department in droves”, Washington Post, 13 novembre 2020.

[3Courriel du Bureau de la correspondance de la mairesse de Montréal, 10 décembre 2020.

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