Dossier : Repenser l’alimentation

Dossier : Repenser l’alimentation

Consommer coûte que coûte ?

Rémi Leroux

Né dans la baie de San Francisco il y a une dizaine d’années, le mouvement locavore encourage les consommateurs·trices à acheter des produits frais et de saison sur les marchés et auprès d’agriculteurs locaux. Mais au Québec, pays nordique où l’hiver dure plus longtemps que l’été, peut-on être locavore à plein temps ? Entretien avec Pascal Thériault, économiste, directeur des rela­tions communautaires pour la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement de l’Université McGill.

Propos recueillis par Rémi Leroux

À bâbord ! : Quels sont les principaux avantages du locavorisme ?

Pascal Thériault : Ils sont multiples. Il est tentant de penser qu’être locavore est un gage d’empreinte environnementale réduite. Mais c’est surtout sur le plan économique que le locavore fait la plus grande différence. Non seulement il s’oblige à manger des fruits et légumes de saison, et donc souvent moins cher, mais il contribue également à son propre développement régional. Chaque dollar que le locavore dépense pour se nourrir est un dollar qui demeure dans sa communauté et qui sera fort probablement réinves­ti localement par le producteur ou la productrice, que ce soit en achat d’engrais, de fertilisants, d’équipement ou encore en salaire.

ÀB ! : Être locavore au Québec, où la culture de légumes en hiver repré­sente un coût écologique certain, est-ce bien raisonnable ? Entre impor­ter des concombres du Mexique cultivés plein champ et acheter des concombres québécois cultivés sous serre… quel est le moins « nocif » pour l’environnement ?

P.T.  : Il est possible de débattre longtemps des pour et des contre des deux méthodes de production. Pour les serres chauffées à l’électricité, considérant nos méthodes de production au Québec, cela ne génère que très peu de pollution. Dans le cas du chauffage par biomasse, on parle même de récupération. Dans le cas du chauffage au mazout, qui représente la grande majorité des serres, nous entrons dans une zone grise. Il s’agit davan­tage de faire un choix entre le coût environnemental du chauffage pour produire localement versus le coût environnemental du transport pour importer.

ÀB ! : On parle souvent du manque de terres cultivables pour le maraî­chage en périphérie des villes ou encore de la crise des vocations dans le secteur agricole comme autant de freins au développement des circuits courts de consommation. Ces situations s’appliquent-elles au Québec ?

P.T. : Partiellement seulement. Il faut se rappeler que le Québec est un pays nordique et que ses producteurs·trices ne peuvent systématiquement produire de tout, toute l’année. S’ajoute à cela la pression du développement urbain qui est certes contrôlé par les réglementations en place, mais qui cause une pression sur le prix des terres agricoles. Cette pression peut encourager les petits exploitants agricoles à se concentrer sur des productions à plus forte marge bénéficiaire (par exemple la tomate qui est beaucoup plus rentable que le poivron) et donc limiter la diversité offerte. Il faut aussi tenir compte du fait que, selon des études de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, il faut compter 0,22 hectare de terres pour nourrir une personne. Ce chiffre est probablement plus élevé en Amérique du Nord considérant la part de notre alimentation plus importante en viande qui nécessite plus de terres. Si nous comptons environ 1,9 million de personnes dans l’agglomération de Montréal, cela implique que nous aurions besoin de 418 000 hectares soit 4 180 km2, alors que l’île de Montréal ne compte que 500 km2.

ÀB ! : Ces dernières années, des initiatives intéressantes ont cependant vu le jour dans certaines grandes agglomérations, par exemple la production agricole en milieu urbain sur les toits de bâtiments industriels. Est-ce une solution d’avenir ?

P.T.  : Oui, dans la mesure où les bâtiments sont capables de supporter la charge que cela représente. Un obstacle majeur est le coût d’implantation. Dans le cas de production en serre, ces coûts sont évidents. Dans le cas d’une production en substrat directement sur un toit, il faut prévoir des brise-vent de façon à limiter l’érosion du sol. Certains projets y ont cepen­dant trouvé leur compte. Dans le cas de vieux bâtiments industriels souvent moins isolés, une production en serre sur le toit va permettre une symbiose en isolant le bâtiment de la chaleur l’été et en récupérant la chaleur de ce bâtiment l’hiver. Ces serres ont cependant une limite impor­tante. Dans le cas de production en serre traditionnelle, les producteurs·trices ont la possibilité de grossir leur entreprise en agrandissant leurs serres tout en récupérant souvent une partie des installations de chauffage ou d’irrigation existantes. Dans le cas des serres sur les toits, la seule façon de prendre de l’expansion est de trouver un autre toit qui ne sera pas nécessairement à proximité, ce qui vient éliminer tout potentiel d’économies d’échelle.

ÀB ! : Puisqu’il est quasiment impossible d’être locavore à temps plein au Québec, y a-t-il un intérêt à être locavore à mi-temps ?

P.T. : Outre l’avantage économique déjà évoqué, un avantage un peu plus indirect, mais tout aussi important, est l’aspect éducationnel. En mangeant local, les gens font des choix mieux informés sur le système alimentaire et ont donc une meilleure appréciation des aliments qu’ils mangent. En se fiant uniquement à des sources externes, le consommateur en vient à perdre le lien avec l’aliment (lieu et méthode de production) donc le loca­vorisme, même à temps partiel, va préserver ce contact entre le consommateur et son aliment.

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