Juguler les « sweat shops »

No 25 - été 2008

Gagner sa vie sans la perdre

Juguler les « sweat shops »

par Jean-Marc Piotte

Jean-Marc Piotte

Beaucoup de gens voudraient que les entreprises publiques et privées deviennent socialement et écologiquement responsables, mais se sentent généralement impuissants face à des organisations qui les dominent. Des initiatives sont pourtant possibles comme le démontre la Coalition québécoise contre les ateliers de misère (CQCAM), table de concertation du Centre international de solidarité ouvrière (CISO), qui, s’inspirant de ce qui se fait ailleurs, notamment à l’Ethical Trading Group (ETAG), table de concertation de l’ONG canadienne Maquilla Solidarity Network (MSN), développe, depuis 2003, des campagnes en faveur de politiques d’achat responsable (PAR).

La Coalition québécoise contre les ateliers de misère (CQCAM) regroupe une trentaine d’organisations communautaires, syndicales et étudiantes, dont le Syndicat des employées et des employés de bureau (SEPB-Québec, FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), le Conseil central du Montréal métropolitain (CSN), Amnistie internationale – section canadienne francophone et la Coalition étudiante Trans-Actions responsables (CÉTAR). Toutes ces organisations se battent pour que les entreprises et les institutions publiques se dotent de politiques d’achat responsable (PAR), incluant un code de conduite qui assure le respect, au Québec, de la loi sur les normes du travail et de toutes les lois relatives au travail et, au plan international, des droits fondamentaux du travail définis par l’Organisation internationale du travail (OIT) et par la Déclaration universelle des droits de l’Homme de l’Organisation des nations unies (ONU). Les normes minimales à respecter sont : le libre choix de l’emploi et l’abolition du travail forcé, la liberté d’association et le droit à la négociation, l’abolition effective du travail des enfants, la non-discrimination en matière d’emploi, des conditions de travail décentes, des heures de travail non excessives et un salaire permettant de couvrir les besoins fondamentaux des familles. À ces normes sociales, la CQCAM cherche à ajouter des normes environnementales minimales, même s’il n’existe aucune entente internationale sur la définition de ces normes.

Grâce notamment à la CÉTAR, qui regroupe des représentantes étudiantes de diverses universités au Québec, certaines universités, dont celle de Sherbrooke, ont adopté des politiques de développement durable qui incluent l’adoption de politiques d’achat responsable. La Commission scolaire de Montréal est aussi entrée dans ce processus et cherche à appliquer sa politique d’achat responsable dans son approvisionnement de matériel d’éducation physique et de sport. Des villes, dont Montréal, ont incorporé à leur politique d’approvisionnement certains critères de développement durable, mais trop souvent, la mise en application de ces normes fait malheureusement défaut.

Lors d’un développement d’une politique d’achat responsable (PAR), la première étape consiste évidemment à adopter un code de conduite qui stipule des normes minimales environnementales et de droits du travail à respecter. Cette étape demande de la volonté et du temps de la part des organisations et des individus qui s’investissent dans cette cause. Plus l’organisation est grande, comme celle d’une ville, plus des efforts doivent être consacrés à la prise en charge de cette politique par tous les groupes et toutes les personnes qui constituent l’organisation ou qui ont des relations avec celle-ci. Une étape subséquente consiste à informer tous les fournisseurs et sous-traitants, avec lesquels l’organisation entretient des relations d’affaires, qu’ils doivent se soumettre à la politique d’achat responsable et, notamment, divulguer la liste de leurs propres fournisseurs et sous-traitants afin d’être transparents. Il faut par la suite vérifier que la PAR est effectivement respectée par une vérification externe à l’entreprise, idéalement faite par une organisation multipartite, les vérifications internes n’étant souvent guère crédibles. Finalement, il importe que les travailleurs de ces entreprises puissent avoir accès à un processus de recours pour porter plainte lorsque les normes de la PAR ne sont pas respectées.

Un syndicat intéressé par une PAR peut, dans la mesure où lui-même achète des produits, se doter d’une PAR et voir à la mettre en application, processus dans lequel est entré le SEPB-Québec. Il peut ensuite œuvrer à faire adopter une PAR dans la convention collective. Il peut enfin, sur une base locale ou régionale, s’unir avec d’autres organisations pour défendre, auprès des organismes publics et privés, l’adoption de politiques d’achat écologiquement et socialement responsables. La CQCAM a produit un excellent petit guide de mise en place d’une PAR qu’on peut se procurer au CISO (www.ciso.qc.ca). Il organise les 16 et 17 octobre 2008 un colloque ouvert à tous ceux qui s’intéressent aux démarches de responsabilité sociale des organisations.

L’adoption et la mise en place d’une PAR exigent du temps. Beaucoup de temps. Mais peut-on s’étonner qu’un développement social et écologique durable – qui implique, il faut bien le reconnaître, la subordination dans les achats du critère sacro-saint de qualité/prix à celui du respect des travailleurs et de l’environnement – ne puisse s’implanter du jour au lendemain ? Il demande de la constance et de l’opiniâtreté, ce que démontrent des militants de la CQCAM.

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