Dossier : L’utopie a-t-elle un (…)

L’Uqàm

Vie et mort d’une utopie

Dossier : L’utopie a-t-elle un avenir ?

Jacques Pelletier

Inaugurée à la toute fin des années 1960, l’UQAM incarne sans doute la dernière réalisation originale et inventive de la Révolution tranquille. Elle donne un prolongement au niveau universitaire à la grande révolution de l’éducation entreprise à la suite de la création du ministère de l’Éducation en 1964, qui s’est d’abord traduite par la mise sur pied des polyvalentes au niveau secondaire, puis des cégeps au niveau collégial. Elle offre un débouché aux nouvelles cohortes étudiantes qui déferlent alors vers ce nouveau lieu qui les accueille dans un cadre différent de celui offert par les universités traditionnelles.

La nouvelle université surgit en effet dans le sillage immédiat de l’effervescence qui s’est emparée des campus tant aux États-Unis qu’en Europe dans la deuxième moitié des années 1960. Effervescence politique liée pour une part à la protestation internationale contre la guerre du Vietnam, mais qui obéit aussi à des motifs plus proprement culturels et institutionnels. Le mouvement de protestation comporte ainsi une critique radicale de la société et du maillon stratégique que constitue l’Université en tant que lieu de reproduction de la classe dominante.

La montée : un modèle fondé sur l’autogestion et la cogestion

L’UQAM est le produit direct de cette conjonction de facteurs propres au Québec et d’éléments qui se déploient sur le plan international. Elle vise à assurer un large accès aux nouvelles générations d’étudiants et elle leur propose un modèle de gestion de type collégial et démocratique, pris en charge par ses principaux acteurs que sont les professeurs et eux-mêmes, réunis dans des comités de programme à composition paritaire.

Elle est fondée sur des principes et des pratiques d’autogestion et de cogestion. Cogestion dans les comités de programme appelés, dans cette perspective nouvelle, des « modules », eux-mêmes regroupés dans des « familles », autre invention terminologique à portée politique, qui deviendront plus tard, au terme d’un long processus de glissements progressifs, les facultés que nous connaissons aujourd’hui. Cette cogestion s’applique aussi à la Commission des Études, structure tripartite dans laquelle les étudiants sont largement représentés et, dans une mesure moindre, au Conseil d’administration où leur présence est moins significative. L’autogestion, pour sa part, s’applique dans le domaine de la régie de la carrière professorale déterminée pour l’essentiel par les assemblées départementales.
Ces principes et les modes d’organisation dans lesquels ils se concrétisent vont assurer à l’UQAM un dynamisme, une créativité et une spécificité qui la distingueront durant une quinzaine d’années des autres modèles universitaires prévalant tant à Montréal qu’à l’étranger, à l’exception des quelques rares établissements avec lesquels elle présente des affinités, notamment Vincennes et Berkeley.

Le déclin : professionnalisation et normalisation

Ce modèle, révolutionnaire à l’origine et durant ses premières années d’existence, va commencer à s’effriter au tournant des années 1980. Il se transforme pour une part à travers la professionnalisation de ses professeurs, provoquée par l’apparition de nouveaux dispositifs qui en modifient le profil de carrière  : création de chaires de recherche, différenciation salariale en fonction du marché, distinction hiérarchique en catégories de chercheurs et d’enseignants, avec survalorisation du chercheur sous la figure de l’expert qui remplace celle de l’intellectuel généraliste.

Il change également à la suite du remplacement progressif des principes d’autogestion et de cogestion par ceux plus classiques et hiérarchiques de l’administration publique. Les comités de programme succèdent aux « modules » et à leurs conseils, les « familles » s’effacent au profit d’abord des secteurs, qui conservent encore une touche d’originalité, et enfin des facultés dont les doyens, c’est le dernier élément de cette vaste entreprise de normalisation, deviennent des cadres, exclus de l’unité d’accréditation syndicale. C’est ce que le Syndicat des professeurs (SPUQ) avait accepté lors du règlement de la grève menée à l’hiver 2009. Son assemblée générale, lors d’une réunion récente, est revenue sur cette position et a réaffirmé sa volonté de garder les doyens dans ses rangs. L’issue de cette lutte, déportée sur le plan juridique, demeure toutefois incertaine et il est bien possible qu’elle s’avère un baroud d’honneur, qui retardera l’échéance davantage qu’il ne la mettra en échec.

Au terme de cette longue et progressive érosion, une université qui se voulait à sa création différente, voire révolutionnaire, se retrouve identique aux autres pour l’essentiel, platement conformiste, ne gardant plus qu’une vague et ineffable distinction que dans la rhétorique creuse et convenue de ceux qui ont opéré souterrainement cette sournoise liquidation d’une utopie qui devra maintenant trouver ailleurs son lieu d’inscription et d’accomplissement. L’UQAM, comme le Capri de la fameuse chanson, c’est désormais le lieu désertifié d’une passion morte qu’on a beaucoup de mal à imaginer comme un phénix pouvant renaître de ses cendres.

Thèmes de recherche Education et enseignement, Histoire
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