La « dérive droitière » de Sarkozy

No 38 - février / mars 2011

Immigration et sécurité en France

La « dérive droitière » de Sarkozy

David Desmier

Durcissement des lois sur l’immigration, expulsions massives des étrangers en situation irrégulière, discours musclés contre l’insécurité, le président français s’approprie depuis quelques mois les thèmes phares de l’extrême droite, quitte à déclencher l’ire des associations des droits de l’homme et d’une partie de la communauté internationale. À dix-huit mois de la prochaine élection présidentielle, Nicolas Sarkozy entend réitérer son « exploit » de 2007 : être réélu en siphonnant une partie des voix du Front national, le principal parti d’extrême droite. Un pari fort risqué pour celui dont la popularité est en chute libre et qui doit affronter un mouvement de grogne au sein même de sa majorité.

Nicolas Sarkozy a choisi la ville de Grenoble, théâtre de violents affrontements au début de l’été entre jeunes des « quartiers sensibles » et policiers, pour annoncer un renforcement de sa politique de sécurité et d’immigration. Celui qui promettait lorsqu’il était ministre de l’Intérieur de débarrasser les cités des « racailles » a retrouvé ses accents sécuritaires le 30 juillet dernier lors d’un discours enflammé ponctué de phrases coup-de-poing. Le président français prédit ni plus ni moins « une guerre nationale contre les voyous et les trafiquants ». Adoptant un ton résolument martial, Sarkozy annonce tous azimuts la fin de la gratuité des soins de santé pour les personnes en situation irrégulière, l’installation de 60 000 caméras de vidéosurveillance dans les villes et une loi rendant pénalement responsables les parents de délinquants mineurs.

« Nous subissons les conséquences de l’échec de cinquante années d’immigration non régulée », martèle Nicolas Sarkozy à son auditoire. Le ton est donné. Deux mesures lui tiennent particulièrement à cœur. D’une part la déchéance de la nationalité française pour tout citoyen d’origine étrangère portant délibérément atteinte à la vie d’un membre des forces de l’ordre. D’autre part, le président exige, en réponse aux violences impliquant des « gens du voyage » en juillet, l’évacuation des campements illégaux de Roms [1], ces « zones de non-droit qu’on ne peut tolérer », avec reconduite à la frontière des sans-papiers. « Il s’agit que nous soyons le plus efficace possible  ! » prévient-il. Ce sera chose faite une semaine plus tard avec la publication d’une circulaire du ministère de l’Intérieur imposant aux préfets d’engager une « démarche systématique de démantèlement des camps illicites, en priorité ceux des Roms ». Il n’en faut pas davantage pour déclencher en pleine période estivale une vaste polémique dépassant les frontières de l’Hexagone.

« La patrie des droits de l’homme » blâmée

La Ligue française des droits de l’homme dénonce un discours « nauséabond », rappelant que le chef de l’État « a décidé d’agiter les vieux refrains des années 1930 destinés à attiser la haine contre les étrangers ». De son côté, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) s’interroge  : « Qu’entend le président de la République par “origine étrangère” ? Souhaite-t-il ainsi introduire une différence de droits entre nos concitoyens ? » Chef du parti socialiste, Martine Aubry qualifie de « dérive antirépublicaine » les déclarations de Sarkozy. La patronne du principal parti d’opposition l’accuse de rejoindre les thèses de l’extrême droite en établissant un lien de cause à effet entre immigration et délinquance.

Les députés européens montent à leur tour au créneau en pointant du doigt la fameuse circulaire du ministère de l’Intérieur. Selon eux, elle contreviendrait à la libre circulation des personnes et aux principes de non-discrimination établis par la Convention européenne des droits de l’homme. Se déclarant «  vivement préoccupé », le Parlement européen adopte le 9 septembre une résolution dans laquelle il exhorte la France à « suspendre sur le champ toutes les expulsions de Roms  ». La semaine suivante, Viviane Reding, commissaire européenne à la justice, fait part de son intention d’engager une procédure d’infraction à l’encontre de la France se déclarant « personnellement choquée » par l’expulsion de personnes d’un État membre « uniquement parce qu’elles appartiennent à une minorité ethnique ». Même tonalité du côté de l’ONU. Le comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) condamne les reconduites à la frontière des Roms y voyant une « recrudescence notable du racisme et de la xénophobie ».

« Français ou voyou, il faut choisir »

Estimant ne trahir aucune des obligations internationales de la France, Nicolas Sarkozy et son gouvernement protestent contre cette avalanche de critiques tout en essayant de rassurer leurs partenaires européens. « La France respecte scrupuleusement la législation européenne ainsi que ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme », proteste le ministère français des Affaires étrangères à la fin du mois d’août. « La France agit dans le strict respect du droit européen », assure le président français lors du sommet européen du 16 septembre, tout en reconnaissant que la fameuse circulaire émise par le ministère de l’Intérieur pouvait « être mal interprétée ». Dans un souci d’apaisement, celle-ci est d’ailleurs modifiée ; toute référence aux Roms est écartée.

Nicolas Sarkozy demeure néanmoins inflexible quant aux mesures annoncées à Grenoble. « Sachez qu’on (les) appliquera dans (leur) intégralité », fait-il savoir lors d’un déplacement dans une gendarmerie. « Il faut faire reculer la délinquance. On ne cèdera pas d’un centimètre », renchérit-il. Et son ancien ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, d’y aller de son slogan  : « Français ou voyou, il faut choisir ». Ainsi, la déchéance de la nationalité des Français naturalisés depuis moins de dix ans et condamnés pour meurtre d’un policier ou d’un gendarme est votée fin septembre. Le 2 novembre, l’Assemblée nationale met fin à la gratuité des soins de santé pour les sans-papiers et les bulldozers poursuivent la destruction des campements illicites des Roms sous les yeux de leurs occupants impuissants.

La présidentielle de 2012 en ligne de mire

Le durcissement de la politique sécuritaire et migratoire de Nicolas Sarkozy s’inscrirait-il dans une stratégie préélectorale ? Il n’en fait aucun doute pour le Parti socialiste : le président est à nouveau en campagne en prévision de l’élection de 2012. Persuadé d’avoir remporté la présidentielle de 2007 grâce à un discours ferme sur l’immigration et la sécurité, Sarkozy s’empare à nouveau de ces thèmes pour remobiliser les électeurs qui lui ont tant fait défaut lors des élections régionales de mars dernier. Avec 27 % des suffrages, loin des 41 % obtenus lors des législatives d’il y a trois ans, la droite parlementaire n’a conservé qu’une seule région en France métropolitaine au profit de l’opposition de gauche. À deux ans de l’élection présidentielle, ce score historiquement bas a été perçu par le chef de l’État comme un coup de semonce. Dans la dernière ligne droite de son quinquennat, Nicolas Sarkozy entend non seulement consolider sa base électorale traditionnelle, mais également reconquérir une partie des sympathisants d’extrême droite qui lui avait permis de prendre le pouvoir. Un quart des électeurs du Front national s’étaient alors ralliés à lui, laissant le parti de Jean-Marie Le Pen exsangue.

Une arme à deux tranchants

Toutefois, en axant son discours sur les thèses proches de l’extrême droite, le président français prend un double risque. D’une part celui de mécontenter la frange modérée de son électorat, souvent désabusée par ses propos virulents et les mesures adoptées par son gouvernement en matière d’immigration. D’autre part celui de renforcer le Front national dont il légitime d’une certaine façon les théories. Si le Parti socialiste y voit « un flirt avec l’extrême droite », le Front national dénonce un plagiat de ses propres idées. En passe de succéder à son père à la tête du parti, Marine Le Pen estime que le chef de l’État valide leurs propres thèses en établissant clairement le lien entre immigration et délinquance. Elle rappelle notamment que la déchéance de la nationalité pour les criminels est une de leurs propositions « depuis trente ans ». La probable future chef du Front national – et à ce titre candidate à la prochaine élection présidentielle – assure qu’à force d’effets d’annonce, Sarkozy n’est plus crédible auprès des Français. Réconfortée par des sondages lui prédisant 14 % des voix au premier tour de l’élection de 2012, Marine Le Pen est persuadée que son parti tirera un avantage électoral de la surenchère sécuritaire du chef de l’État.

Si en 2007 Nicolas Sarkozy pouvait se targuer d’incarner la nouveauté et la rupture, il lui sera ardu de jouer le même refrain après cinq ans au pouvoir. Confronté à un chômage en progression – 600 000 demandeurs d’emploi depuis son élection –, à la hausse de la délinquance et à une impopularité record [2], le président français devra à la fois compter avec une opposition socialiste renforcée, et bien décidée à endosser le rôle du renouveau politique, et avec une formation d’extrê­me droite qu’il a lui-même contribuée à revigorer.

Débarrassé des ministres en désaccord avec sa politique sécuritaire lors d’un remaniement gouvernemental en novembre, Nicolas Sarkozy a choisi d’orienter la fin de son mandat vers des « thèmes de droite », comme l’insécurité et l’immi­gration, quitte à effacer la frontière entre le Front national et la droite classique. Une stratégie qu’il espère payante en 2012. Mais les Français seront-ils une nouvelle fois dupes ? Rien n’est moins sûr.


[1« Gens du voyage » originaires des pays de l’Europe de l’Est et notamment de Roumanie. Difficilement chiffrable, on estime entre 500 000 et 1 300 000 le nombre de Roms installés en France et entre 7 et 9 millions dans l’Union européenne, selon l’European Roma Rights Center.

[2Le président français recueille 32 % d’opinions favorables selon un sondage IFOP effectué du 10 au 19 novembre 2010.

Thèmes de recherche Immigration, refuge et racisme, Europe
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