Santé communautaire : un exercice de démocratie directe

No 88 - été 2021

Santé communautaire : un exercice de démocratie directe

Audrey-Ann Bissonnette-Clermont, Eve-Lyne Clusiault, Caroline Dufour, Béatrice Landry-Belleau

La crise sanitaire actuelle remet en évidence les problèmes existant depuis des décennies dans le réseau de la santé. La solution passe par le développement des services communautaires et de premières lignes.

En 1971, avec l’adoption de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, le Québec exprimait la volonté de développer son système de santé publique par la création des Centres locaux de services communautaires (CLSC). Ceux-ci existent toujours aujourd’hui, mais leur raison d’être a été lourdement ébranlée par de nombreuses réformes et par l’apparition d’un modèle compétitif favorisant la primauté des médecins, celui des Groupes de médecine familiale (GMF).

Il ne s’agit pas ici de faire une comparaison exhaustive de ces deux entités, mais plutôt de réfléchir aux besoins des services de premières lignes. D’abord, ces services devraient être dirigés par des équipes multidisciplinaires impliquant les membres des différentes communautés concernées et non pas uniquement par des médecins. Ensuite, les priorités et les ressources devraient être guidées par les besoins des populations desservies et non par le profit. Finalement, les services devraient être accessibles sur l’ensemble du territoire de façon équitable plutôt que concentrés en milieu urbain ou offerts à la discrétion des propriétaires de services qui tendent à favoriser les milieux privilégiés. C’est ce qu’on cherchait à contrer avec la création des CLSC et c’est de ce modèle que s’inspire la proposition qui suit.

Prévenir ou guérir ?

Pour comprendre les choix d’orientation et de développement d’un système de santé, il faut s’intéresser à l’approche générale qui y est préconisée. Un système basé sur une approche biomédicale curative aura tendance à segmenter la société en groupes d’âge, en problématiques qui seront traitées de manière plus ou moins indépendante les unes des autres. C’est une approche centrée sur le médecin, car on considère que c’est l’acte médical qui est censé guérir la société de ses maux. Conséquemment, ce type d’approche génère un système hospitalo-centriste très peu axé sur la prévention, c’est-à-dire où très peu de gestes sont posés visant à éviter que les problèmes de santé ne se manifestent en premier lieu. L’adage populaire stipule qu’il « vaut mieux prévenir que guérir ». Or, dans le système actuel, on guérit beaucoup plus qu’on ne prévient et cela nous coûte extrêmement cher.

À contrario, un système basé sur une approche de santé communautaire, soit une approche biopsychosociale de prévention et de promotion de la santé, optera pour un décloisonnement des besoins de la population, selon une organisation décentralisée et multidisciplinaire. Cela n’implique pas d’éliminer le centre hospitalier. Les gens auront toujours besoin de soins d’urgence, de médecine interne, d’opérations et d’imagerie médicale. L’idée est de mettre fin à l’hypercentralisation des services et de consacrer beaucoup plus de ressources à la prévention des crises et des maladies. Par la proximité et l’accessibilité des services, un tel système serait en mesure d’agir sur les problématiques de santé en amont, avant qu’elles n’arrivent à une phase symptomatique aiguë.

Il s’agit d’une approche globale qui prend en considération tous les déterminants de santé de la personne, incluant son organisation sociale, son statut socio-économique, son milieu de vie et ses relations avec les autres. Les inégalités sociales de santé sont ainsi mises en lumière et s’articulent clairement avec les classes sociales et les oppressions systémiques telles que la pauvreté, le racisme, l’âgisme, le sexisme ou le capacitisme. En effet, ces injustices devraient être traitées comme des priorités de santé publique, car elles ont un impact sur l’ensemble des déterminants sociaux de la santé de celles et ceux qui les subissent. Ce que l’approche communautaire de la santé revendique, c’est une révolution politique, sociale et économique, afin que nous puissions construire une société qui nous garde en santé.

De la charité à la solidarité

Pour ce faire, il nous faudra sortir de la logique d’assistanat et de charité pour entrer dans une dynamique d’organisation communautaire et de solidarité. On dit qu’il y a santé communautaire quand les membres d’une collectivité réfléchissent en commun à leurs problèmes de santé, expriment leurs priorités et participent activement à la mise en place et au déroulement des activités les plus aptes à répondre à leurs besoins. Une réelle participation à toutes les étapes de mise en place d’un service de santé permet de faire en sorte que le service soit pertinent et bien orienté.

Cela permet aussi de réaliser des activités d’éducation populaire et de s’exercer à la pratique de la démocratie. Des mécanismes internes sont nécessaires pour assurer une prise de parole égalitaire et inclusive au sein du groupe. Il ne s’agit pas uniquement d’être présent, encore faut-il pouvoir exprimer sa réalité, sa vérité et son point de vue sur les choses. C’est précisément dans cet effort de démocratie directe que l’on déconstruit les rapports de pouvoir et que l’on crée de la cohésion sociale. La santé devient un espace d’organisation collective pouvant contribuer à la transformation sociale.

Photo : Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles. Les autrices de cet article plaident pour un retour à des services de proximité et ancrés dans la communauté, à l’image de ce qu’ont été les CLSC à l’époque de leur implantation. Comme bien souvent dans l’histoire des services sociaux et de santé au Québec, la création de ce service étatique avait été inspirée par le milieu communautaire, notamment la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, qui est considérée par plusieurs comme l’ancêtre du réseau des CLSC.

Favoriser l’autonomie des soignantes

En tant qu’infirmières, nous devons faire face à des politiques néolibérales qui visent surtout à privatiser le système de santé. Nous sommes d’avis que ce type de décision politique ne permet pas de prendre soin ni des soignantes ni des besoins de la population. Si nous portons notre regard à l’international, nous pouvons constater un certain effondrement des services publics dans la plupart des États occidentaux. Cette tendance, qui ne semble pas vouloir ralentir, est extrêmement inquiétante pour l’ensemble de la population québécoise et tout particulièrement pour les plus vulnérables d’entre nous.

Le sous-financement chronique de services de première ligne a des conséquences réelles et palpables sur la surcharge du reste des services de santé. Sans une première ligne forte et sans un réel effort de prévention et de promotion de la santé visant l’amélioration des conditions de vie de la population, il n’est pas possible d’avoir un système de santé viable, efficace et efficient. Il est urgent de mettre en place, dès maintenant, des structures qui soient capables de répondre à nos besoins.

Pour appliquer l’approche de la santé communautaire, nous avons besoin de structures adéquates. La mise en place de structures de santé autogérées par des équipes multidisciplinaires représente une solution concrète aux enjeux que nous vivons. Ces espaces ont le potentiel d’assurer des conditions de travail dignes et sécuritaires pour celles qui soignent la société. Ils permettraient également de mettre en place les conditions optimales pour déployer le savoir des infirmières en santé communautaire. Il serait possible de démontrer l’efficacité et l’efficience de ce type d’approche. Une telle structure libérerait la parole des soignantes, afin que leur expertise puisse exister davantage dans l’espace public.

Une structure autonome autogérée de santé, c’est aussi un pôle d’organisation communautaire qui est libre de contester, de dénoncer et de proposer. Cela devient un acteur vivant dans l’espace public, pouvant faire pression sur les politiques et participer à la construction de la résilience de nos communautés.

Des exemples inspirants existent, comme la coopérative de solidarité de santé SABSA à Québec, le réseau des dispensaires autogérés en Grèce, ou encore le centre de santé autogéré et populaire Village2 en Isère, en France. Nous sommes d’avis qu’avec un système basé sur une approche de santé communautaire, une première ligne forte et une présence de multiples petits centres de santé multidisciplinaire partout sur le territoire, nous aurions pu minimiser de beaucoup les impacts de la pandémie sur nos communautés.

Pour aller plus loin

Pour en connaître davantage sur les CLSC et les GMF, nous vous recommandons la lecture des différentes publications d’Anne Plourde :

  • « CLSC ou GMF ? Comparaison des deux modèles et impact du transfert de ressources », IRIS, mai 2017. En ligne : iris-recherche.qc.ca/publications/CLSC-GMF
  • Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé, Écosociété, 2021, 288 p.

 

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