Dossier : Municipales 2021 - (…)

Dossier : Municipales 2021. Une autre ville est possible

La participation démocratique au temps de la COVID

Pierre Avignon, Caroline Patsias

Si la démocratie municipale s’exerce en grande partie à l’occasion des élections, les interactions entre élu·e·s et avec les citoyen·ne·s sont au cœur de la vie démocratique en cours de mandat. Or, la COVID est venue bouleverser les mécanismes en place.

Le recours à l’état d’urgence par les gouvernements du Québec et d’ailleurs a été un des effets marquants de la crise sanitaire. Le premier ministre Legault, notamment, s’est ainsi arrogé un renforcement de ses pouvoirs, limitant par le fait même ceux de l’Assemblée nationale. À l’échelle municipale, la pandémie a quant à elle entrainé la fin de la présence citoyenne durant les périodes de questions pour la majorité des conseils de ville et d’arrondissement : c’est par écrit et à l’avance que les questions étaient formulées, alors que les réponses étaient données lors du conseil, qu’il soit retransmis ou non par visioconférence. Comment ces nouvelles modalités de l’exercice démocratique ont-elles transformé les pratiques municipales et l’expression de la parole citoyenne ? Plus généralement, que nous dit l’exercice de la démocratie en temps de pandémie sur le rôle de la démocratie locale ? Nous proposons d’abord une mise en contexte avant de présenter brièvement une étude de cas.

La repolitisation du municipal

Historiquement, les municipalités sont des instances administratives de corsetage de l’ordre social, exerçant un contrôle social plus qu’elles ne favorisent l’expression citoyenne. Leur dimension politique a donc longtemps été ténue. Cet apolitisme municipal se nourrit d’un rejet du conflit et d’une conception consensuelle du politique où la proximité favorise davantage un lien personnel entre le premier édile et les citoyen·ne·s qu’un attachement idéologique à un programme partisan.

Une dimension plus politique des municipalités peut cependant être défendue. D’abord, tout choix conduisant à la formulation d’une mesure publique peut évidemment être considéré comme politique. Ensuite, et surtout, la politisation peut être définie, plus que comme une appartenance partisane ou idéologique, comme un élargissement des préoccupations des citoyen·ne·s, qui en viennent à s’interroger sur de grands enjeux d’intérêt public. Les préoccupations citoyennes témoignent alors d’un souci de justice ou d’une représentation clivée des rapports sociaux (« nous » contre « eux »).

Notons qu’une discussion en termes politiques peut se dérouler en dehors des institutions1 et que, réciproquement, ces dernières peuvent contribuer à des processus de dépolitisation. En effet, certains discours au sein des institutions publiques, évoquant la « chaleur humaine », le « hasard » ou la « nature » pour interpréter les enjeux sociaux, peuvent tout à fait favoriser une évaporation du politique. Enfin, le rejet du conflit et des institutions publiques, expression d’un désaveu du système politique (à commencer par les partis), demeure compatible avec un engagement et une politisation des citoyen·ne·s. Ces dernier·ère·s peuvent s’engager dans une ONG ou une association avec une portée politique (des groupes ouvrant dans l’humanitaire, pour l’amélioration des relations intercommunautaires, ou encore contribuant à la vie dans leur quartier) tout en se méfiant des institutions de la démocratie représentative.

Les analyses québécoises récentes sur la politique municipale confirment que le palier local peut être le lieu d’une conversation politique. Cette politisation du municipal s’explique en partie par l’implantation de partis politiques plus pérennes et plus idéologiques (visible par exemple dans la percée de Projet Montréal dans la métropole ou encore dans la multiplication des partis comme Unissons Saguenay, Sherbrooke citoyen ou Transition Québec). Si ces partis n’échappent pas à la défiance contemporaine à l’endroit de la démocratie représentative, ils contribuent à approfondir les débats et à structurer la discussion à ce palier politique. La demande croissante de participation en dehors du simple moment électoral constitue une autre illustration de la politisation des citoyen·ne·s. Il devient de plus en plus difficile pour les élu·e·s de prendre une décision avec un fort impact sociétal sans avoir mené une consultation publique. Cette dernière permettant d’échanger des arguments, les citoyen·ne·s deviennent se familiarisent avec les processus politiques et les sujets abordés.

La pandémie, catalyseur de cultures politiques

Les rencontres mensuelles des conseils municipaux de villes ou d’arrondissements, qui réunissent élu·e·s, fonctionnaires et citoyen·ne·s, permettent d’observer directement la démocratie municipale à l’œuvre. La période de questions entre les élu·e·s témoigne de l’exercice de la représentation et de la reddition de compte. Ces échanges permettent aussi aux citoyen·ne·s d’interroger les élu·e·s sur tout sujet de la compétence du Conseil.

La présente réflexion s’appuie sur l’observation de deux arrondissements montréalais, soit Hochelaga-Mercier-Maisonneuve et Outremont [1]. Dans le cas d’Hochelaga-Mercier-Maisonneuve, en période de pandémie, la démocratie municipale a été restreinte par une limitation des débats en conseil, en raison de l’absence des citoyen·ne·s. Toutefois, elle a aussi été caractérisée par une forte mobilisation citoyenne et par une conversation politique marquée par un souci de justice, de solidarité et de coopération. Par exemple, les citoyen·ne·s ont élargi leurs préoccupations sur la crise du logement pour tenir compte du contexte particulier de la COVID, se montrant soucieux·ses de la prise en charge des personnes sans-abris par l’arrondissement. Le soutien au milieu communautaire mis en place dans l’arrondissement a aussi suscité l’adhésion des citoyen·ne·s. Ces préoccupations n’effacent pas les thématiques habituelles de l’arrondissement, mais en sont une reformulation.

À Outremont, la pandémie a plutôt accru les divisions et la méfiance qui caractérisent les relations entre l’équipe en place et les participant·e·s au conseil, lesquel·le·s contestent les politiques publiques du maire. Ainsi, plusieurs citoyen·ne·s se sont opposé·e·s au choix des groupes communautaires sélectionnés par l’arrondissement pour bénéficier des aides financières liées à la COVID. La majorité des questions soulevées en conseil, plutôt que d’interroger les stratégies de soutien, ont porté sur le suivi des critères de sélection. Les politiques et les débats entourant la COVID ont donc renforcé la suspicion qui teintait déjà les relations entre les citoyen·ne·s et leurs représentant·e·s avant la pandémie.

Deux éléments majeurs se dégagent de ce bref résumé de notre étude de cas [2]. D’une part, les arrondissements restent le premier palier politique pour les citoyen·ne·s, le plus accessible, celui vers lequel ils et elles se tournent en priorité en cas de difficultés. D’autre part, si la pandémie a étriqué la démocratie municipale, elle n’a pas transformé radicalement celle-ci. Elle a plutôt agi comme un catalyseur des tendances, mettant en évidence les cultures politiques propres à chaque conseil, lesquelles ne se sont pas évaporées durant la pandémie.

Nos observations soulignent le rôle primordial des municipalités et des arrondissements dans la gestion de la crise. C’est en leur sein qu’a été mise en œuvre une importante partie des régulations nécessaires et que le transfert des fonds de soutien a été effectué. Ce rôle répond aussi aux attentes des citoyen·ne·s, qui témoignent d’un désir de proximité avec leurs élu·e·s. Par ailleurs, l’exercice de la démocratie en temps de pandémie est caractérisé par le maintien d’une conversation politique : les citoyen·ne·s continuent de poser des questions et ont le souci de préserver cette participation, comme l’illustrent les interrogations sur la suspension des consultations en période de pandémie, ou encore le souhait de voir certains processus décisionnels gelés en l’absence des consultations publiques habituelles. En outre, comme c’était déjà le cas avant la pandémie, l’apolitisme – entendu non comme absence de valeurs ou d’idées politiques, mais comme volonté de consensus et de limitation du conflit – est remis en cause. Dans les deux conseils, les citoyen·ne·s ont exprimé leur satisfaction ou leur insatisfaction face aux politiques menées, ont mis de l’avant leurs priorités et ont demandé des clarifications – bref, ils et elles ont pris part aux débats.

L’analyse révèle également des divergences notables entre les deux arrondissements étudiés, soulignant des degrés différents de politisation. La pandémie agit davantage comme un catalyseur des contextes que comme un agent de transformation des cultures municipales. Les cultures politiques de chaque conseil pèsent sur le fonctionnement de la démocratie locale et ne sont pas solubles dans l’état de crise sanitaire. La culture politique des arrondissements ne dépend donc pas uniquement d’un parti politique, mais s’inscrit dans un sentier de dépendance antérieure. Bien que les deux arrondissements soient dirigés par le même parti, l’atmosphère au sein de chaque instance et les relations avec les citoyen·ne·s sont différentes.

Quoiqu’embryonnaire, l’analyse confirme la politisation des municipalités, qui se manifeste notamment dans la participation citoyenne, tout en rappelant que l’idéologie n’est qu’un élément de la culture politique, laquelle est aussi façonnée par les interactions et les processus de décision au sein d’un conseil municipal. 


[1La sociologue Nina Eliasoph, dans son livre Avoiding Politics (Cambridge University Press, 1998), cite ainsi l’exemple d’une association dont les membres revendiquent leur apolitisme et évitent toute discussion politique et tout lien avec une organisation politique. Pourtant, lorsqu’un des membres de l’association se voit offrir une bière, il la refuse au nom d’un soutien aux employé·e·s en grève de la brasserie.

[2Pour les besoins de cette réflexion, les données sont bien sûr restreintes à l’observation des conseils ayant eu lieu durant la période de pandémie, à savoir entre avril 2020 et février 2021 (étude de cas complète à paraître).

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