La collision des récits. Le journalisme face à la désinformation

No 92 - été 2022

Philippe de Grosbois

La collision des récits. Le journalisme face à la désinformation

Claude Vaillancourt

Philippe de Grosbois, La collision des récits. Le journalisme face à la désinformation, Écosociété, 2022, 200 pages.

Dans La collision des récits : le journalisme face à la désinformation, notre camarade Philippe de Grosbois s’intéresse à un sujet attirant beaucoup d’attention : le phénomène des fausses nouvelles, des vérités parallèles qui se transmettent sur Internet et qui connaissent de nos jours une vigueur exceptionnelle. Nous en observons sans cesse les effets toxiques dans les débats publics. L’auteur se donne le défi d’aborder cette question non plus sous l’angle officiel — ces gens qui propagent les fausses nouvelles sont mal informés et, devant leur ignorance, il faut rétablir la vérité —, mais en entreprenant une mise en cause beaucoup plus large de notre système médiatique.

Selon l’auteur, la forte circulation de la désinformation résulte aussi d’un manque de confiance marqué envers le journalisme et les grandes institutions. Alors qu’il devrait en découler un sérieux examen de conscience, la tendance est plutôt de réfuter une à une les fausses nouvelles, avec l’impression de n’avoir rien à se reprocher et en prenant parfois de haut les personnes qui gobent les mensonges. D’après de Grosbois, il faut procéder « à l’envers » et « plutôt se demander pourquoi les gens ne croient plus au discours des institutions, y compris celui des médias “établis” ».

La source du problème proviendrait du courant positiviste qui reste encore dominant aujourd’hui dans le monde journalistique. Auguste Comte et Émile Durkheim ont développé, en philosophie et en sociologie, une approche qui consiste à « mettre en lumière les lois universelles du développement des sociétés par la recherche empirique ». Ce qui a permis d’importants progrès. Mais on constate aussi aujourd’hui les limites de cette façon de procéder. Sous une apparence d’objectivité, l’information positiviste défend le système en place et laisse peu d’espace à la critique et à une diversité de points de vue et de sujets abordés. À force de maintenir trop fermement le couvercle sur la marmite, viennent d’ailleurs les faussetés les plus invraisemblables, qui profitent d’un vide pour prospérer.

Sans insister trop sur des fondements théoriques, la démonstration de Philippe de Grosbois s’appuie sur de nombreux exemples de traitement de fausses nouvelles dans l’actualité. L’auteur se lance aussi dans un long parcours, très pertinent, qui se concentre sur les hauts et des bas du journalisme de combat au Québec, de la naissance de la presse écrite à la grande période du néolibéralisme, jusqu’à la situation actuelle, avec son « explosion de la parole ». Constamment, il se plaît à prendre à rebours les idées reçues.

L’essai se termine par un hommage aux médias alternatifs qui s’acharnent à exister envers et malgré tout (comme votre revue À bâbord ! dans laquelle Philippe est grandement impliqué) et qui, sous des formes très variées, allant de l’humour aux publications très spécialisées, parviennent à échapper aux moules de la grande information, sans qu’on leur accorde toujours l’attention méritée.

La collision des récits est un essai courageux, allant à fond dans la critique d’un milieu toujours très puissant, quoi qu’on en dise, et en général plutôt rébarbatif à l’idée de se remettre en cause. Celles et ceux qui connaissent les écrits de Philippe de Grosbois y retrouveront son écriture fluide, d’une grande clarté, qui procure une lecture aisée, tout en permettant d’aborder son sujet avec rigueur, engagement et pertinence.

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