Dossier : Après-crise ou crise (…)

Jean-François Lisée

L’indépassable capitalisme

Jacques Pelletier

Aussi génial soit-il, à ses propres yeux et à ceux de la petite cour éblouie qui l’entoure, Jean-François Lisée ne peut tout de même pas se renouveler complètement d’une année à l’autre. Après avoir publié coup sur coup deux essais qui lui ont valu une certaine notoriété dans les années récentes, Nous, en 2007, Pour une gauche efficace, en 2008, voilà qu’il nous revient l’année suivante avec une nouvelle et longue contribution (« Le capitalisme : en sortir, le dompter ou le dépasser ? ») publiée dans un ouvrage collectif, codirigé avec Éric Montpetit, sous le titre Imaginer l’après-crise [1], reprenant les interventions de collaborateurs, parfois prestigieux, comme Lionel Jospin, généralement d’orientation réformiste comme lui-même.

Pour une gauche efficace était un livre polémique et politique : la défense et l’illustration d’un programme social-démocrate proposé au PQ dans une perspective qui se voulait progressiste. L’essai intégré dans Imaginer l’après-crise en reprend les principales propositions dans une facture plus académique, avec quelques retouches et variations, mais sans davantage remettre en question le capitalisme.

Le test Wal-Mart comme boussole conceptuelle

L’analyse de Lisée repose sur quelques constats avec lesquels on ne peut qu’être d’accord. Le capitalisme actuel est en crise profonde, pas seulement conjoncturelle mais plus fondamentalement structurelle. Il ne survit que par une croissance fondée sur une hyperconsommation aussi envahissante que totalement absurde. Dans sa fuite en avant éperdue, il provoque des désastres écologiques, détruit l’environnement, tout en accroissant les inégalités et la misère dans les pays du Sud qu’il continue à surexploiter sauvagement.

Il faudrait le supprimer alors ? Ce serait trop simple, affirme Lisée, qui examine tour à tour diverses solutions proposées récemment et qu’il soumet à ce qu’il appelle, manifestement très fier de son approche astucieuse, le test Wal-Mart, retenu comme principe de réalité ultime. Il s’agit de confronter ces modèles à l’aune de leur capacité à transformer le « modèle d’affaire » de cette méga entreprise fondée sur la surexploitation de ses employé·e·s et une imbattable politique de bas prix.

Soumise à cet instrument de mesure, la voie de la coopération et de l’économie sociale dessinée par Hervé Kempf est disqualifiée parce qu’elle ne menacerait en rien le modèle Wal-Mart. L’alternative du rejet et de la rupture incarnée dans le programme du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) français, comprenant l’expropriation sans indemnisation d’importants secteurs industriels et commerciaux, réussit le test Wal-Mart, mais ce projet suppose une véritable révolution qui exige elle-même une transformation radicale à l’échelle internationale. Elle est donc rejetée pour sa non-faisabilité, son irréalisme.

Revenant en sol québécois, Lisée juge que la position de Québec solidaire (QS), qui implique la mise en œuvre de multiples réformes dans la perspective du dépassement du capitalisme, ne passe pas le test Wal-Mart, contrairement à l’approche du NPA, et qu’elle est de surcroît fantaisiste dans le contexte nord-américain.

Au terme de cet examen qui se veut songé, mais qui est assez enfantin dans son recours à la moulinette Wal-Mart, que reste-t-il ? La voie du réformisme, « radical », prétend Lisée, mais non « révolutionnaire » s’empresse-t-il d’ajouter. Il reprend alors longuement les propositions formulées un an plus tôt dans Pour une gauche efficace, qu’il complète par quelques nouvelles repiquées complaisamment dans un ouvrage rédigé par des universitaires français [2], membres ou sympathisants du Parti socialiste (PS) français, cousin germain du PQ comme on sait. Cette évocation très détaillée relève par ailleurs d’un parti pris pragmatique, utilitariste, qui ne remet pas en cause la logique du profit et de la croissance, nécessaires apparemment pour remédier aux maux du monde moderne.

Le capitalisme, ainsi reformé et revampé, apparaît indépassable dans la mesure où il passerait le test Wal-Mart, car cette entreprise serait soumise à des réglementations qui entraveraient son antisyndicalisme militant et la surexploitation salariale de ses employé·e·s. On se demande bien comment et par qui cependant, dans la mesure où la société rêvée par Lisée ne met pas en question la logique de l’intérêt et du surprofit qui préside à son fonctionnement général. Là-dessus, notre auteur, généralement bavard et disert, devient muet comme une carpe, la foi tenant manifestement lieu d’une démonstration et d’une preuve qui brillent par leur absence.


[1Sous la direction de Jean-François Lisée et de Éric Montpetit, Imaginer l’après-crise – Pistes pour un monde plus juste, équitable, durable, Montréal, Boréal, 2009.

[2Gaël Giraud et Cécile Renouard, 20 propositions pour réformer le capitalisme, Paris, Flammarion, 2009.

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