Des états généraux pour l’avenir des universités

No 29 - avril / mai 2009

Contre une gouvernance sans gouvernail

Des états généraux pour l’avenir des universités

Cécile Sabourin

La Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) réclame de manière urgente la tenue, au Québec, d’États généraux sur les universités. Par la voie de leurs représentantEs syndicaux, les professeurEs des universités québécoises expriment leur ferme opposition à la perspective du dépôt, devant l’Assemblée nationale du Québec, d’une loi sur la gouvernance des universités. Dénonçant le « verdict » prononcé par la ministre Michelle Courchesne prétendant qu’une loi allait régler les problèmes de gouvernance dans les universités, ceux-ci sont au contraire d’avis que l’adoption des dispositions annoncées dans le projet de loi 107, en novembre 2008, ne ferait que confirmer une tendance néfaste, celle de confier les destinées des universités à une nouvelle classe de gestionnaires mus par des valeurs étrangères au milieu universitaire.

L’insuffisance du financement de base des universités n’a laissé aux administrations universitaires d’autre choix que de viser les cibles imposées par les pourvoyeurs potentiels de fonds, notamment la valorisation du savoir instrumental, et d’imposer dans les universités des approches de gestion managériale et compétitive.

Ainsi, au cours de la dernière décennie, des pratiques propres au secteur privé se sont immiscées dans l’université : contrats faramineux pour certains dirigeants, négociations tendues avec les divers corps d’emploi, menaces et impositions de lock-out, précarisation croissante des personnels académiques, pressions à la fragmentation des tâches d’enseignement et de recherche, etc. À ces pratiques, se sont ajoutées des décisions relatives à la gestion budgétaire et aux projets d’immobilisations qui appliquent des principes propres au secteur privé. À titre d’exemple, l’imposition de la rentabilité par programme – certificat, baccalauréat, etc. – et par unité menace la survie de domaines d’enseignement fondamentaux dans le milieu universitaire ; de même, les transferts de fonds, à partir des budgets de fonctionnement, vers des budgets réservés aux immobilisations grèvent le financement de base pourtant généralement reconnu comme étant déjà insuffisant pour répondre aux besoins des universités et aux attentes de la société québécoise.

Face à l’adoption, par les dirigeants de plusieurs universités, de pratiques menaçant l’institution universitaire et, de la part du gouvernement, à la possibilité d’une résurgence du projet de loi 107, les professeures et professeurs ont décidé de manifester leurs vives inquiétudes et de faire connaître de nouveau les motifs qui imposent une grande prudence dans le choix des moyens pour corriger des problèmes d’organisation et de gestion universitaires. L’adoption précipitée d’une loi qui s’appuie essentiellement sur le Rapport de l’IGOPP (Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques), ne résultant d’aucune étude sérieuse des pratiques organisationnelles adaptées à la gouvernance d’organisations complexes telles les universités, suscite de très graves questions.

Des dispositions, comme le proposaient la loi 107 et le Rapport de l’IGOPP, visant à concentrer le pouvoir de décision et de contrôle entre les mains de membres dits « indépendants », ne permettent nullement d’assurer une meilleure gouverne des universités. Ces dispositions risquent par ailleurs de détériorer la situation en ce qui concerne la prise de décisions cruciales relatives à la réalisation d’activités liées à la connaissance – enseignement et recherche – et au développement des universités. Comme l’expliquait Alain Dupuis dans un texte fort bien documenté [1], des organisations complexes comme les universités doivent être administrées en mettant en application un modèle qui respecte la mission et les exigences de sa réalisation. Elles doivent reconnaître le rôle prépondérant des professionnels responsables de la mission, en particulier des professeures et professeurs : « Les choix stratégiques reposent largement sur le jugement qu’exercent au jour le jour ceux qui font le travail, dans le contexte de ces communautés de savoir transorganisationnelles, dans les champs intellectuels, dans les disciplines. Chaque discipline comporte des stratégies d’enseignement et de recherche établies au cours des décennies et que les professeurs se réapproprient de génération en génération. Les stratégies de recherche et d’enseignement s’établissent dans les disciplines comme lieux d’intelligence collective, bien plus que dans les départements et les facultés, et évidemment bien plus qu’à l’université en tant qu’unité de « planification stratégique » […]. (p. 25)

Autrement dit, les disciplines possèdent leurs propres finalités qui, le plus souvent, n’ont rien à voir avec les plans dits « stratégiques » des administrations universitaires ; et la logique scientifique (au sens large) ne doit pas être infléchie par des choix de gestionnaires peu ou mal avisés. Alain Dupuis de poursuivre : « Les droits de décision, d’action et de contrôle doivent revenir aux professeurs parce que ce sont eux qui sont préparés à prendre ces décisions et qui sont en position de les prendre parce qu’ils sont au cœur de l’action et des communautés de savoir. Comme à peu près toutes les décisions d’importance dans une université risquent d’avoir un impact sur la réalisation de sa mission de recherche et d’enseignement, les porteurs de la mission et fournisseurs de capital humain sont ceux qui peuvent examiner et prendre ces décisions avec compétence dans des instances qui permettent la critique mutuelle. » (p. 26)

En ce qui concerne les membres externes des Conseils d’administration, Dupuis met clairement en relief leurs limites : « Les membres externes d’un conseil d’administration, en particulier, ne peuvent suivre et évaluer que très difficilement ce qui se passe dans une organisation complexe décentralisée et fondée au quotidien sur le jugement éclairé et les interactions de centaines de personnes hautement compétentes et porteuses de sa mission. »

Dupuis cite ce témoignage de John McFall (in Shattock, 2006, p. 480) : « I have been on boards where I have a non-executive role – I’ve always found it hard to understand what the executives are up to and to be up with their thinking. And when someone is at work five, six, seven days a week and is responsible for the strategic focus and direction of the company and someone flits in once a week, or once a month I doubt that person has a chance against a real professional. »

Dans le cas des universités, les membres externes se trouvent dans une situation encore plus vulnérable : «  Dans les universités, c’est encore plus impossible pour les membres externes. Dans les entreprises, on choisit des membres externes hautement qualifiés dans les métiers de l’organisation. Dans les universités, les membres externes, aussi compétents soient-ils dans leur domaine, sont largement des profanes qui connaissent fort peu les métiers de l’université en enseignement et en recherche (Shattock, 2006, p. 47). Ils n’ont tout simplement pas la préparation nécessaire pour être des porteurs de la mission de recherche et d’enseignement de l’établissement. » (p. 32)

Plusieurs autres aspects touchant la gouvernance universitaire telle qu’elle est présentement envisagée soulèvent des objections tout aussi sérieuses : manque de précision sur la mission des universités, altération de la collégialité, imputabilité appliquée indûment à l’enseignement et à la recherche, etc. Dans l’état actuel des propositions, ce n’est pas la gouvernance des universités qui sera assurée, c’est leur déchéance.

Voilà pourquoi la FQPPU demande instamment au gouvernement québécois de ne pas céder à la facilité d’une apparente solution aux problèmes de gouvernance dans les universités. Elle propose plutôt la tenue d’États généraux qui permettront aux acteurs institutionnels, politiques et à la société civile de mettre en commun leurs analyses afin de dégager les contours d’un projet commun pour les universités québécoises et les repères pour leur saine administration / gestion. À titre d’exemple, l’adoption d’une Charte des universités pourrait découler de la tenue d’États généraux au cours desquels la FQPPU, à l’instar de ses partenaires syndicaux et étudiants, ferait valoir la nécessité de reconnaître l’institution universitaire et son mandat de service public de même que les valeurs fondamentales d’autonomie, de liberté académique et de collégialité comme étant les assises de l’organisation et de la gestion des établissements.


[1Dupuis Alain, « Managérialisme ou collégialisme dans la gouvernance des universités ? Le cas des projets immobiliers de l’UQAM », Cahier de recherche du Cergo, 2008. http://benhur.teluq.uquebec.ca/SPIP/cergo/IMG/pdf/Cahier_du_Cergo_2008-03.pdf

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