Corée du Nord, Corée du Sud

No 44 - avril / mai 2012

International

Corée du Nord, Corée du Sud

Une réunification possible ?

Danny Plourde

La Corée du Nord bombarde l’île de Yongpyong pour donner l’illusion de sa puissance. Pendant ce temps, la Corée du Sud fait payer les touristes occidentaux pour qu’ils profitent de la vue incroyable qu’offre le 38e parallèle – qui sépare les deux Corées – et ses centaines de kilomètres de barbelés. Le peuple coréen, quant à lui, souffre d’une division absurde, alimentée de l’extérieur comme de l’intérieur. Pouvons-nous entrevoir le jour où ce pays divisé ne fera plus qu’un ?

Remontons à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les Japonais n’ont d’autre choix que d’abandonner leurs positions en Chine et en Corée, laissant le sud de la péninsule coréenne dans le chaos, avec une classe dirigeante qui, pendant près de quatre décennies, avait collaboré avec l’empire du Soleil-Levant. Bon nombre de ces collaborateurs ne seront jamais jugés ; au contraire, ils se transformeront vite en d’ardents anticommunistes afin de garder le pouvoir.

Pendant ce temps, au nord, la résistance anti­japonaise coréenne dirigée par Kim Il-sung adhère au communisme et cherche des appuis chez les Soviétiques. Les Coréens du Nord, après avoir combattu l’envahisseur japonais, n’acceptent pas qu’au sud, on se range du côté des Américains. Les révolutionnaires voudront donc prendre d’assaut toute la péninsule afin d’y ériger un pays communiste lavé de ses traîtres et de ses étrangers, tandis que les rentiers et propriétaires terriens du Sud feront tout ce qu’ils pourront pour préserver les acquis obtenus du temps des Japonais.

Nous connaissons la suite  : des millions de morts sous le napalm américain, tant au Nord qu’au Sud ; une avant-première de la guerre froide dans laquelle s’affrontent les États-Unis, l’URSS et la Chine. Résultat  : un peuple encore aujour-d’hui divisé et dévasté.

Colonisation culturelle en Corée du Sud

La Corée du Sud a développé un vrai modèle occidental à la sauce kimchi. On peut parler d’une véritable colonisation culturelle par les Amé-ricains : konglish (mélange de coréen et d’anglais) omniprésent, capitalisme exacerbé, sentiment religieux inspiré des églises américaines, tout près du fanatisme idéologique. À cela s’ajoutent des histoires de corruption et de collusion qui font la manchette toutes les semaines. Des manifestations monstres sont réprimées dans le sang. Des conglomérats oligarchiques établissent une convergence dans plusieurs secteurs  : eau, pétrole, télécommunications, presses, universités, recherche pharmaceutique, centres d’habitation, supermarchés, chaînes de restaurant, acier, automobile, industrie du divertissement, extraction nucléaire, armement, par des compagnies telles Hyundai, Samsung, Kia, Lotte, LG.

Le pays affiche l’un des plus hauts taux de suicide. L’exode des jeunes cerveaux inquiète les autorités. L’approvisionnement en ressources naturelles dans ce demi-pays surpeuplé est de plus en plus problématique. Dès les années 1950, on a appris l’anglais dans les églises protestantes érigées par les soldats américains et aujourd’hui maintenues par des illuminés qui engraissent les caisses électorales des partis conservateurs. Lee Myung-Bak, le président de la république, a même dû s’excuser en 2008 auprès des bouddhistes, qui représentent plus du tiers de la population, après s’être dit favorable à la christianisation du pays.

Dans ces églises protestantes, qui ont poussé comme des champignons, on y a appris que le communisme mène droit à l’enfer, que le paradis n’est accessible qu’aux fidèles qui s’éloignent de l’enfer rouge.

Dans un pareil contexte, réunifier les deux Corées devient un défi considérable. Les « spécialistes » de la réunification en Corée du Sud ne cessent de répéter que cela coûterait trop cher. Alors on procrastine, on attend, on maintient l’état de siège. On envoie ses fils dans l’armée pour deux ans de service pour qu’ils protègent le pays des démons du Nord. Tous acceptent la présence des soldats américains, car sans eux, qui saurait ce que feraient ces chiens de rouge du Nord – laisse entendre une propagande haineuse –, ces tueurs sanguinaires violeurs d’enfants affamés qui se nourrissent de rats, de poubelles et de chair humaine ?

Les Coréens du Sud ont longtemps été victimes d’une dure répression par des gouvernements autoritaires, et en cherchant absolument à préserver le pouvoir, les dirigeants capitalistes du Sud, soutenus par les États-Unis, ont multiplié les exactions. Dans les années 1980 et 1990, des violences multiples ont été signalées et des écrivains, syndicalistes ou politiciens progressistes se faisaient emprisonner (entre autres, l’écrivain de notoriété internationale Hwang Sok-Yong et l’activiste et actuel maire de Séoul Park Won-Soon).

Chun Doo-hwan, dictateur de 1980 à 1987, a été impliqué dans le coup d’État de 1979 et le massacre de Gwangju en 1980, qui a causé entre 1 000 et 2 000 morts et disparus [1] chez des étudiantEs. Chun était pourtant considéré à l’époque comme un bon général venu sauver le peuple de l’anarchie communiste. Ce crime a souvent été dénoncé par de nombreux altermondialistes occidentaux et dissidents sud-coréens.

Perspectives

Historiquement, la Corée du Nord a manifesté davantage d’intérêt à la réunification ; cela s’explique, de façon évidente, par la situation précaire de ses habitants. Au Sud, par contre, il est clair que plusieurs profitent de la division. On répète sans cesse que l’unification ne serait pas bonne pour l’économie. Les dirigeants du Nord demandent des conditions à la réunification que ceux du Sud ne peuvent accepter, pour des raisons remplies de mauvaise foi : la liberté politique (qui serait dangereuse, advenant une montée du socialisme) ; le départ immédiat et total des soldats américains (ce qui serait dangereux, advenant une invasion armée nord-coréenne ou chinoise) ; une fédération constitutionnelle où Nord et Sud subsisteraient en tant que provinces et présenteraient un président en alternance (ce qui serait dangereux, étant donné que le dirigeant issu du Nord pourrait adopter des lois contraignant les investisseurs du Sud).

Cela dit, les Sud-Coréens les plus progressistes ont réussi là où leurs prédécesseurs ont échoué : ils ont humanisé cette lutte. Mais avec la mort de Kim Jong-il, le sujet devient particulièrement délicat, tant pour les Coréens du Nord que du Sud. Il faudra observer attentivement comment Kim Jong-Un, ce jeune obèse qui n’a pas 30 ans, saura faire ses preuves dans une société aussi confucianiste que la Corée. Fera-t-il un coup d’éclat militaire pour se faire respecter par les vieux généraux ?

Ses premières décisions ne vont pas en ce sens. Au contraire, il a eu le culot d’ouvrir les frontières à tous les Coréens du Sud voulant venir saluer la chapelle ardente consacrée à Kim Jong-il. Or, pendant ce temps au Sud, l’armée était sur le pied de guerre et a posté de nombreux soldats aux frontières.

Un faux pas de plus du Nord serait précisément ce que le militariste conservateur de droite Lee Myun-Bak souhaiterait pour espérer remporter son prochain mandat. Une recrudescence des tensions justifierait une invasion, tout de même peu probable. Or, il suffira de continuer à alimenter la contestation dans la population nord-coréenne (infestée d’agents perturbateurs déployés par le Sud et les États-Unis). Car c’est précisément le scénario plausible le moins catastrophique présentement qui pourrait se réaliser  : une révolte nord-coréenne contre ses propres dirigeants, voire une « saison » coréenne irréversible.

L’espoir

Aujourd’hui, les wons – monnaie coréenne – s’accumulent dans le « pot pour la réunification des deux Corées ». Car le Sud devra nécessairement payer pour y arriver, et cette opération coûtera très cher. On estime à entre 250 milliards et 2 140 milliards d’euros les coûts d’une éventuelle réunification, ce qui fait trembler toute une classe économique influente qui cherche naturellement par tous les moyens à retarder le plus possible le grand jour. Mais on a tout de même créé un ministère de la Réunification.

Cela dit, une petite bombe vient d’éclater au Sud : à Séoul, le gauchiste Park Won-Soon (né en 1956 et emprisonné en 1987 après avoir protesté pacifiquement pour la démocratie) vient d’être nommé maire, grâce à une génération de jeunes progressistes qui n’en peut plus de l’attitude belliqueuse de son gouvernement et d’un mode de vie calqué sur le modèle américain.

Le cinéma, la littérature, la chanson, toutes trois de plus en plus engagées, critiquent maintenant ouvertement la ligne dure de Séoul. Et tout indique que les présidentielles de 2012 en Corée du Sud ne seront aisément gagnées pour Lee Myung-Bak, car Ahn Choel-Soo, un camarade de Park Won-Soon, se présentera afin de briguer la présidentielle. À eux seuls, Park Won-Soon et Ahn Choel-Soo incarnent un renouveau politique progressiste qui opterait pour un retour de la politique du «  rayon de soleil  » entre les deux Corées. Les deux sont jeunes, ont le vent dans les voiles et inspirent l’espoir.

Pour que de notre vivant nous assistions à la réunification, qui est pour plusieurs un enjeu très important pour l’équilibre du monde, ce vent de changement devra à coup sûr se faire sentir à Pyongyang afin que le peuple se soulève sans risquer une sanglante répression. Mais de Séoul à Busan, il faudra aussi – et surtout – envoyer au voisin du Nord un signal fraternel et pacifique qui témoigne d’une volonté de se réunifier sans que coule le sang des frères et sœurs ou que les intérêts financiers continuent à supplanter tout effort d’harmonie.


[1Selon les chiffres du Gwangju Democratization Movement.

Thèmes de recherche Histoire, Asie
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