Casseroles contre feux d’artifice

No 50 - été 2013

International

Casseroles contre feux d’artifice

La dernière bataille pour le Venezuela

Thomas Chiasson-Lebel

Explosion de protestations au Venezuela au lendemain de l’élection présidentielle pour la succession de Chávez. La courte victoire de Nicolas Maduro, le dauphin chaviste, a fait dire au candidat défait Henrique Capriles Radonski qu’on lui avait volé l’élection. Il a appelé ses partisans à « déverser leur rage » en tapant sur leurs casseroles (cacerolazos). Cette rage en aura poussé certaines à dépasser cet appel formel et le résultat de leurs actions se compte en nombre de morts (entre sept et dix), de blessés (plus d’une soixantaine), de bureaux du parti chaviste [1] (PSUV) incendiés (entre trois et sept), de cliniques de santé partiellement brûlées ou saccagées.

En réponse, les chavistes ont appelé à des cohetazos, où des partisanEs lancent des feux d’artifice dans les airs. La querelle de rue opposant feux d’artifice et casseroles n’aura duré qu’une semaine, mais la tension est loin d’être retombée. Brève présentation des principaux évènements de la récente bataille pour le Venezuela.

Les résultats

La surprise fut générale à l’annonce des résultats le 14 avril dernier. La mort de Chávez le 5 mars commandait ce retour aux urnes afin de désigner un nouveau chef d’État pour la République bolivarienne. En gagnant par une faible majorité de quelque 225 000 voix, le chavisme a démontré au moins deux choses. D’une part, la construction du régime et de son hégémonie autour d’une idolâtrie de Chávez a un coût politique. En effet, l’élection présidentielle d’octobre 2012 opposait alors Hugo Chávez lui-même au même Capriles Radonski, représentant la Table d’unité démocratique (MUD). Chávez avait alors gagné avec une avance de près de 11 points de pourcentage. Or, l’élection du 14 avril utilisait la même liste d’électeurs et le résultat a été considérablement plus serré (voir tableau ci-contre). Ce sont plus de 600 000 électeurs et électrices qui ont déserté le chavisme. Puisque les taux de participation aux deux élections ont été pratiquement les mêmes (80 %), on peut déduire qu’une vaste majorité d’entre eux et elles a rejoint l’opposition, qui a gagné près de 800 000 voix. Par contre, en préservant une majorité, les chavistes ont aussi confirmé que malgré la mort du Comandante supremo, le projet de transformation social et institutionnel qu’on appelle la révolution bolivarienne jouit bel et bien d’un puissant appui, indépendamment de Chávez.

Cette baisse de popularité, finalement limitée (4 % des votes) si l’on compte l’importance du personnage Chávez dans l’hégémonie qu’il a construite, peut s’expliquer par divers autres facteurs. Au Venezuela, la valeur de la monnaie est fixée par l’État. En février dernier, alors que Nicolas Maduro suppléait l’absence de Chávez qui recevait des traitements pour son cancer à Cuba, le gouvernement a dévalué la monnaie, faisant passer le bolívar fuerte de 4,3 à 6,3 par rapport au dollar américain. Une telle dévaluation augmente les prix des produits importés sur les marchés internes et ceux-ci sont nombreux dans une économie où la part de la production manufacturière s’est réduite de façon importante au cours des quinze dernières années [2]. Or, on sait que l’électorat vénézuélien est prompt à réagir aux mesures économiques qui l’affectent.

Par ailleurs, la campagne au ton agressif, où chaque candidat cherchait à diaboliser son adversaire, a vu le candidat Capriles serrer de très près le chavisme, en promettant de préserver et d’améliorer les principaux programmes sociaux érigés en symbole de la révolution (missions sociales). Il a insisté sur des thèmes très similaires à ceux mis de l’avant par Maduro (régler le problème d’insécurité, hausser les salaires, améliorer l’économie pour diminuer les pénuries, notamment de certains aliments et les coupures de courant), bien qu’en proposant des moyens différents. Or, dans un contexte où les chavistes sont au pouvoir depuis quinze ans, soutenant un discours et une pratique qui mettaient Chávez à l’abri de la critique en accusant son entourage pour les difficultés du régime, il n’est pas étonnant que certains électeurs et certaines électrices aient décidé de donner une chance au candidat de l’opposition.

Profitant d’une telle baisse de popularité, l’opposition a cherché à dénigrer l’institution électorale pour délégitimer le gouvernement à l’interne et le faire apparaître comme un nouveau dictateur dans les médias internationaux. Mais a-t-elle raison de jeter son discrédit sur les résultats et le processus électoral ?

Des résultats fiables

Le trucage des élections apparaît à première vue peu probable. Le système électoral très sophistiqué, qualifié par Jimmy Carter comme étant le « meilleur au monde  », comprend la vérification de l’identité des électeurs et électrices par leur empreinte digitale tout en préservant le secret du vote, et des machines qui enregistrent chaque vote de façon électronique en plus d’imprimer un bulletin qui est mis dans une urne. Au terme de la journée électorale, 54 % des urnes, choisies de façon aléatoire, sont comptées par les scrutateurs et les témoins des partis politiques afin de confirmer que les bulletins et les données enregistrées numériquement concordent. Créer des centaines de milliers de votes dans ce contexte relèverait du tour de force.

Durant les premiers jours suivants le vote, l’opposition réclamait un recomptage de tous les votes (15 millions). Or, l’essentiel des manifestations opposant casseroles et feux d’artifice s’est déroulé alors que cette demande n’avait pas été officiellement formulée au Conseil national électoral (CNE), l’institution chargée de superviser les élections. Lorsque déposée officiellement, le CNE a consenti à étendre la vérification aléatoire déjà prévue des urnes restantes (46 %) pour en couvrir près de 60 %. Bien que l’opposition se soit dite satisfaite au départ, elle a ensuite réclamé que soient vérifiés, en plus des bulletins, tous les carnets de votation qui contiennent les signatures et les empreintes digitales de chaque vote. Cette dernière demande n’a pas été accordée sous l’argument que les dénonciations de l’opposition étaient beaucoup trop vagues pour justifier un tel examen. Elles ne permettaient pas de soupçonner une fraude à grande échelle à l’avantage du candidat gagnant.

Il fait peu de doute que l’audit des urnes restantes donnera un résultat pratiquement identique à celui annoncé par le Conseil. L’opposition cherche donc à faire entendre que la fraude se serait produite en amont du vote lui-même, par l’inscription de faux électeurs. Si une telle chose n’est pas impossible, la dénonciation appert peu crédible dans la mesure où la liste électorale était exactement la même que celle utilisée en octobre dernier. Or, la défaite d’octobre n’avait pas suscité une telle réaction de la part des troupes de Capriles, qui avait plutôt accepté la défaite. Capriles lui-même a été élu comme gouverneur de l’État de Miranda en décembre dernier par une marge de 45 000 voix, une défaite immédiatement acceptée par les chavistes.

La politique qu’on en fait

Mais l’opposition ne semble pas prête à lâcher le morceau et, tristement, la réaction du gouvernement et du PSUV, loin de susciter la confiance, contribue plutôt à déprécier l’image internationale du régime. En effet, le mardi 16 avril, soit le lendemain des manifestations qui ont causé tant de victimes et de dégâts matériels, le président proclamé interdisait la marche prévue par l’opposition pour déposer ses doléances au CNE. La crainte qu’elle ne provoque débordements et bains de sang n’était pas sans fondement, car si les chavistes avaient subi des attaques la veille, ils ont aussi perpétré des charges contre des opposantes, surtout durant la campagne électorale [3]. Avec de tels belligérants, et malgré les appels à la paix de toutes parts, le scénario évoquait le souvenir des événements qui avaient mené à une tentative ratée de coup d’État en 2002. La mort de manifestantes antichavistes avait alors servi de prétexte à un montage médiatique qui appuyait la prise de pouvoir par des militaires et la création d’une junte dirigée par le président de la fédération nationale des chambres de commerce et d’industrie, Pedro Carmona Estanga.

Mais la réaction du gouvernement ne s’est pas arrêtée là. Le président du parlement, Diosdado Cabello, décidait le même jour de retirer le droit de parole en chambre aux députés de l’opposition, prétextant qu’en refusant la proclamation de Maduro, ceux-ci se trouvaient alors à nier l’autorité du CNE, l’instance même qui les a faits députés. La tension a ainsi monté à l’intérieur de l’Assemblée nationale jusqu’à ce qu’elle éclose en féroce bagarre le 30 avril au sein même du Capitole, faisant plusieurs blessés.

Le culte de la personnalité créé autour de Chávez aura eu un fort prix : le dernier soupir du Comandante aura fait perdre le privilège de l’initiative au chavisme pour le laisser en position réactive face à ses opposants, et ce, malgré une victoire électorale. Ces derniers ne semblent pas près de laisser tomber pour accepter d’entrer dans les rangs de l’ordre institutionnel. Ils chercheront à user du regain de popularité pour gagner plus de pouvoir lors des élections municipales prévues plus tard cette année. Du côté chaviste, la tentative de décentraliser le régime pour laisser plus de place à la participation citoyenne est applaudie par les militantes plus dévouées. Reste à voir si celaparviendra à diminuer les tensions pour regagner l’appui de ceux et celles qui ont préféré l’alternance au pouvoir à la poursuite de la révolution bolivarienne.


[1Les termes « chaviste » et « chavisme » sont ici utilisés de façon large pour désigner les partisans de Chávez, de son parti, le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), et de façon générale, du processus de transformation qu’ils ont lancé.

[2Entre 1997 et 2012, la part de la production manufacturière est passée de près de 18 % à un peu moins de 14 % du produit intérieur brut.

[3Des manifestantes étudiantes ont notamment été attaqués à coup de pierres et bouteilles alors qu’ils et elles revendiquaient certaines modifications mineures au processus de votation.

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