Dossier : Aux voleurs ! Nos (…)

Dossier : Aux voleurs ! Nos ressources naturelles et le Plan Nord

Un autre plan de développement du Nord du Québec

Laurent Girouard

Récemment, un politicien ratoureux a créé un slogan publicitaire pour détourner l’attention du peuple de ses turpitudes : le Plan Nord.

Le Plan Nord n’existe pas et n’a jamais existé. Ni pour les Premières Nations, ni pour les Québécois. Ce qui existe depuis la flambée internationale des prix des métaux, c’est la ruée vers les gisements miniers du Nord et du moyen Nord du Québec d’un essaim de rapaces qui veulent les exploiter tous azimuts. Le politicien a flairé la bonne affaire et a lancé son Plan Nord. Il s’est promené un peu partout pour annoncer le Plan du futur. Tout le monde a analysé, soupesé, vanté, critiqué et au final avalé la couleuvre. On a fait des colloques. On a fait des éditoriaux. On a fait numéros spéciaux de revue...

Pendant que le monde des affaires lançait ses fanfares, que les spécialistes du Nord louangeaient l’entreprise avec, il faut le dire, quelques bémols, les Inuits, les Cris et les Innus flairant les djobbes, signaient des « ententes administratives » avec les minières. Et attendaient les évènements...

Pendant ce temps, des villes et des villages nordiques explosaient. Flambées des prix des denrées et des loyers. Migration de la main-d’oeuvre locale vers les chantiers miniers. Les développeurs menaient le bal, seuls. Pour combien de temps ? Et si le prix des minerais fléchissait ? Y aurait-il d’autres Gagnonville, d’autres Schefferville ? Mais, faut en profiter pendant que le train passe. C’est ce qu’on appelle le Plan Nord.

Historique

Le développement du Nord du Québec est une vieille affaire. Reculons dans le temps : Plan Nord, les 100 000 djobbes de la Baie James, le fer de Schefferville de Duplessis, la ruée vers l’or en Abitibi, le saccage des forêts de la Mauricie, le petit Nord du Curé Labelle. Au début même de la colonie, Iberville et les Anglais dans la Baie d’Hudson, Des groseilliers et Radisson à la Baie James pour les fourrures.

Serge Bouchard rappelle un mot du Curé Labelle (dans le roman Un homme et son péché de C.-H. Grignon) « plus un indien dans la forêt ». Tous dans les réserves. On est alors en territoires algonquins dans les Laurentides. Puis, en Mauricie, chez les Atikamekws, où la Wayagamak et autres multinationales auront le champ libre pour sortir le bois par les rivières.

Réal McKenzie, de Matimekush, nous rappelle que les Innus de son village ont connu la construction et la destruction de Schefferville. Ils sont inquiets de voir la même chose se produire avec les nouvelles compagnies qui arrivent sur leur territoire.

Exit les Premières Nations

« Le Plan Nord se présente moins comme idée nouvelle que comme la phase la plus récente de l’expansion de l’espace culturel, économique et politique de ce qui constitue le coeur démographique du Québec, soit la Vallée du Saint-Laurent , » affirment Caroline Desbiens et Etienne Rivard dans un récent numéro de la revue Recherches Amérindiennes au Québec (RAQ) [1]. Ouvrir le Nord ou s’ouvrir au Nord ? C’est la question que posent ces deux auteurs. L’intérêt collectif québécois comprend-il les Amérindiens et les Inuits ? Long chemin… Le Plan Nord nous paraît un prétexte pour l’État québécois et les développeurs de tout acabit pour « repousser les frontières » actuelles, pour rendre accessibles les territoires dits « vierges » à l’exploitation des ressources. Or, ces territoires sont occupés et exploités par les Nations autochtones et inuites. Plan Nord ou non, rien n’a rien été prévu, ou si peu, pour que les Nations autochtones et inuites se préparent aux transformations radicales qu’entraîneront l’exploitation pressée des ressources du territoire. La main-d’œuvre majoritaire dans les mines, l’hydroélectricité et la foresterie vient du « Sud » (« fly-in\fly-out », 3 semaines au Nord 3 au Sud).

Chez les Innus, cinq communautés sur neuf avaient refusé le Plan Nord. Les négociations directes entre les Conseils de bande et les compagnies sont devenues plus avantageuses. Finalement, c’est l’ensemble de la Nation innue, dont les droits territoriaux ne sont toujours pas reconnus, qui voit leur Nitassinan morcelé et exploité dont les populations subiront les conséquences sociales et environnementales imprévisibles. Dans le même numéro de RAQ, Hugo Asselin cite plusieurs exemples de communautés autochtones qui, à moyen terme, ont vu leur condition de vie se détériorer.

Les Algonquins de Pikogan, par exemple, se voient exclus dudit Plan Nord. Les Atikamekws sont aussi exclus du Plan Nord. Mais tous espèrent que des emplois seront ouverts à leurs jeunes. Le fait que les droits de ces nations ne soient pas définis par des conventions va créer des « déchirures et des divisions selon Bruno et David Kistabish [2]

Le Plan Nord a été annoncé comme « un projet rassembleur, une vision commune, un projet exemplaire de développement durable qui intègre tant le développement énergétique, minier, forestier, bioalimentaire et touristique que les infrastructures de transport, la mise en valeur de la faune ainsi que la protection de l’environnement et la conservation de la biodiversité  » rappelle Jean-François Artau [3]. Notons qu’on parle peu des populations vivant sur le territoire. Les Inuits ont présenté en contrepartie le Plan Nunavik qui pose des conditions pour accepter le développement de leur région. Au même moment, au Nunavik, Oceanic Iron Ore veut s’installer à Aupaluk sur l’Ungava. Ce projet est éloquent pour illustrer la faiblesse du dit Plan Nord et du faible pouvoir législatif dont dispose le Québec. Tout autour du village de Aupaluk (126 habitants), les « claim block » de la Compagnie, s’étendent en dehors des terres de catégorie 1 qui elles sont sous juridiction exclusive des Inuits. On parle d’un investissement de 3 milliards de dollars : de l’électricité « verte », d’un port en eau profonde et d’une ligne de fibre optique pour internet dont une grande partie serait fournie par le Québec. Le fer sera transporté par bateau vers où ? Qui le transformera ? On prévoit la venue de près de 2000 travailleurs dans cette région…

La pyramide des âges dans les communautés autochtones et inuites, contrairement à celle du Québec, montre que les jeunes forment plus de 50 % à 60 % de la population. Les dirigeants de ces communautés sentent la pression et se voient mal refuser les perspectives de développement économique.

Des femmes autochtones ont marché et bloqué des routes pour dénoncer les conséquences du Plan Nord sur la situation des femmes, sur les emplois qu’on leur réserve. Femmes autochtones du Québec constate qu’il y a là un cocktail explosif qui a pour conséquence l’augmentation de la prostitution aux alentours des chantiers dont les femmes autochtones sont les premières victimes.

Un problème de priorités dans le développement du Nord

Qu’est-ce qui presse ? Comment se fera le développement réel des communautés : des écoles plus fonctionnelles dont les orientations respectent leur culture et leur langue, des mesures importantes sur le plan de la santé, de l’habitation, un plan de lutte contre la pauvreté et le non-emploi, des programmes sérieux de soutien aux femmes, aux enfants ? Avant tout, il faut reconnaître les droits territoriaux, politiques et culturels des nations autochtones puis, préparer l’exploitation à moyen terme des ressources du Nord au bénéfice de ses habitants et de tout le Québec. Les ressources minières et forestières ne se sauveront pas. Les besoins en métaux rares augmenteront sûrement.

Malgré le canevas présenté par le gouvernement Charest, aucune loi n’a été adoptée pour le mettre en oeuvre. Avec l’élection du Parti québécois on parle maintenant de « développement du Nord ». Malgré le changement d’appellation, les projets d’exploitation des ressources par les multinationales se font encore en accéléré. Un réel Plan Nord devrait servir d’entonnoir par où les projets seraient étudiés et approuvés pour les situer dans un grand ensemble.

Penser tout le territoire nordique comme un tout, non pas comme une vaste réserve de ressources à exploiter, mais comme un lieu habité qu’il faut préparer et souvent « réparer » sur le plan social. L’état des lieux, dû à des politiques coloniales et à l’ignorance crasse (entretenue) des gouvernements, est déplorable et nécessite un réel Plan .


[1Dossier : "lPlan Nord, éducation et droit". Recherches amérindiennes au Québec, n 1, vol XLI, 2011

[2Ibid

[3Ibid

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