Mondialisation, quand tu nous tiens... par le ventre

No 21 - oct. / nov. 2007

Luttes pour la souveraineté alimentaire

Mondialisation, quand tu nous tiens... par le ventre

par Marie-Hélène Côté

Marie-Hélène Côté

Des citoyens attentifs ou particulièrement intéressés ont peut-être appris qu’une commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire au Québec était en cours. Si nos autorités politiques se préoccupent de la situation de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois au point d’entreprendre une large consultation publique, c’est que la situation est critique… ou que la pression populaire est forte.

Dans le contexte actuel de globalisation des marchés et de surplus agricoles dans les pays occidentaux, les produits agricoles et agroalimentaires circulent très librement. Suivant le raisonnement des économistes et des politiciens néolibéraux, cela devrait faire le plus grand bonheur de tous et toutes aux quatre coins du monde : les producteurs-trices, de même que l’ensemble de l’industrie agroalimentaire, ayant accès à de nouveaux marchés, vivraient une ère de prospérité, et les consommateurs-trices, profitant de cette abondance et de cette variété de denrées, seraient mieux nourries que jamais. En effet, la main invisible se chargerait de bien distribuer les profits ainsi que les produits générés par les activités agroalimentaires, enrayant enfin, avec l’aide des biotechnologies, les problèmes de faim et de malnutrition.

Toutefois, plus de 800 millions de personnes dans le monde souffrent encore de faim et de malnutrition. Et de moins en moins de choix s’offrent aux paysannes, agriculteurs-trices et producteur-trices de l’agroalimentaire qui, malgré les promesses de prospérité, doivent sans cesse se « moderniser », prendre de l’expansion, s’endetter ou vendre leur bien et perdre emploi et mode de vie.

De la sécurité alimentaire à la souveraineté alimentaire

Les paysans, les paysannes et les organisations qui les représentent ont donc été les premiers à dénoncer l’organisation actuelle de la production et des marchés agricoles et ses conséquences. Selon la définition de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la sécurité alimentaire est atteinte lorsque toute une population a accès en tout temps, et en toute dignité, à un approvisionnement alimentaire suffisant, sain et nutritif, pour satisfaire ses besoins nutritionnels quotidiens et ses préférences alimentaires et mener une vie active et en santé [1]. Grâce au travail des organismes communautaires de par le monde et des organisations internationales pour le droit à l’alimentation, la sécurité alimentaire est devenue un enjeu important. Elle était d’ailleurs au cœur des discussions du Sommet mondial de l’alimentation de Rome, en 1996. Les États signataires de la Déclaration sur la sécurité alimentaire mondiale s’y sont engagés « à réaliser la sécurité alimentaire pour tous et à un effort constant pour éradiquer la faim dans tous les pays [2] ».

À ce même Sommet mondial de l’alimentation, un concept plus large, prenant en compte les contextes sociaux et environnementaux dans lesquels se déroulent la production agroalimentaire et les échanges, a été présenté par Via Campesina : la souveraineté alimentaire. Organisation paysanne internationale formée en 1993 et regroupant des organisations paysannes des cinq continents, Via Campesina propose à la fois une grille d’analyse visant à appréhender l’ensemble des problèmes agricoles et agroalimentaires et un droit à défendre : « la souveraineté alimentaire désigne le droit des populations, de leurs pays ou Unions à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping vis-à-vis des pays tiers [3] ».

Paysannes vs multinationales

Depuis une vingtaine d’années, les politiques agricoles néolibérales dictées par le FMI, la Banque mondiale et l’OMC ont favorisé l’industrialisation de l’agriculture et le développement des activités d’exportation et d’importation. Cela a bénéficié aux grandes entreprises et aux transnationales de l’agroalimentaire qui ont acquis des parts grandissantes des marchés locaux et internationaux. Devant cela, Via Campesina rappelle que les États devraient accorder la priorité à la production agricole locale destinée à nourrir la population en facilitant l’accès aux marchés locaux pour les petits producteurs. Ces derniers doivent non seulement concurrencer les produits locaux, mais aussi ceux provenant de pays où ils sont produits à moindre coût, grâce à des conditions climatiques avantageuses, à des coûts de main d’œuvre plus bas ou à des subventions gouvernementales. De plus, les États devraient réduire leur dépendance face aux importations, qui rendent les populations plus vulnérables aux variations des prix sur les marchés et aux pénuries dues à divers événements naturels, politiques ou économiques. À titre d’exemple, «  Le Québec exporte 53 % de sa production alimentaire alors que les importations répondent à 45 % de ses besoins en nourriture [4] » ce qui nous vaut un paysage rural monopolisé par le tandem mégaporcheries-productions extensives de maïs et par les complexes de production animale.

Par conséquent, le concept de souveraineté alimentaire développé par Via Campesina inclut le droit des États à se protéger des importations agricoles et alimentaires à trop bas prix et à viser des prix agricoles liés aux coûts de production. Il permettrait, entre autres, la taxation des importations à trop bas prix et la maîtrise de la production sur le marché intérieur pour éviter des excédents structurels.

Cela nous ramène au droit des populations à définir leur politique agricole et alimentaire. Dans l’absolu, ce droit existe, mais dans les faits il est soumis à diverses contraintes liées à l’organisation de la production et des marchés – façonnée par les organisations internationales, les grandes puissances et les multinationales de l’agroalimentaire – ainsi qu’aux accords commerciaux. Si les populations, les paysans et les producteurs étaient impliqués dans le choix des politiques agricoles, celles-ci refléteraient davantage les contextes locaux et contribueraient à assurer le droit des paysans à produire des aliments.

Il semble aller de soi que des paysannes aient le « droit » de produire des aliments, mais, de nos jours, c’est plus compliqué : ne devient pas producteur, encore moins productrice, qui veut. Les structures en place favorisent les grandes entreprises agroalimentaires en ce qui a trait à l’accès à la terre, au crédit, aux activités de transformation et aux marchés. Le Plan Puebla-Panamá, mégaprojet de développement pour le Sud du Mexique et l’Amérique centrale, ne cachait d’ailleurs pas son objectif de sortir les paysannes des campagnes, de les installer dans des « pôles de développement » et d’en faire des ouvrieres bien ancrées dans la modernité. Bref, la vie sur la terre procure moins d’autonomie et plus de stress qu’auparavant et la relève rencontre divers obstacles dont celui, majeur, du capital à investir pour commencer une production. Partout dans le monde, on assiste à un exode rural causé par le manque de possibilités et de choix offerts aux paysannes. La souveraineté alimentaire présuppose le respect des droits des petits producteurs et des paysans ainsi que la reconnaissance du rôle central qu’ils jouent dans l’agriculture et l’alimentation.

Une modernisation à double tranchant

De la même façon, la « modernisation » et l’industrialisation de l’agriculture et de l’agroalimentaire n’a pas laissé beaucoup de choix aux agriculteurs-trices quant aux pratiques agricoles : il faut suivre la vague, sinon on est laissée pour compte. Cette vague a amené de nouvelles machineries, de nouvelles semences et de nouveaux produits venus alléger la tâche des agriculteurs et les rendre plus productifs. Cependant, ces nouvelles technologies entraînent de lourdes conséquences environnementales et sanitaires que nous commençons à peine à mesurer, comme en témoigne la crise des algues bleues qu’a vécu le Québec cet été. Les semences Terminator en fournissent un autre exemple frappant. Afin de se garantir un marché captif d’année en année et d’étendre son emprise sur la chaîne alimentaire, le ministère de l’Agriculture des États-Unis et certaines entreprises multinationales de semences ont développé cette technologie de modification génétique des semences qui empêche leur conservation et leur réutilisation par les cultivateurs-trices. En plus d’augmenter les coûts de production de ces dernieres et de réduire leur autonomie, cette technologie entraîne une diminution de la biodiversité et la disparition de connaissances ancestrales, car les semences modifiées peuvent contaminer les cultures avoisinantes et rendre stériles des variétés développées par les paysannes.

Un concept à s’approprier

Comme grille d’analyse, la souveraineté alimentaire permet d’appréhender dans son intégralité la situation actuelle du monde agroalimentaire, car elle met en lumière la complexité des liens entre l’alimentation, la production agricole, l’écologie, la justice sociale, l’accès à la terre, le commerce international et le patrimoine culturel. La souveraineté alimentaire est également un programme politique, social et écologique, voire féministe, qu’appliquent déjà des milliers d’organisations paysannes, communautaires et de défense des droits dans le monde. Ces organisations revendiquent des États – et, par extension, des organisations internationales – qu’ils adoptent des lois et mettent en œuvre des politiques publiques à même de garantir d’une part une saine alimentation pour tous et toutes et, d’autre part, de protéger et promouvoir les droits des paysans et paysannes du Sud comme du Nord.

Union paysanne


[1Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation. www.fao.org/spfs/

[2Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale. Rome, 13 novembre 1996.

[3Via Campesina. http://viacampesina.org

[4Agriculture et agroalimentaire : choisir l’avenir. Document de consultation produit par la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, p. 22.

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