L’Iran entre aspirations populaires et désir nucléaire

No 23 - février / mars 2008

L’Iran entre aspirations populaires et désir nucléaire

par Houchang Hassan-Yari

Houchang Hassan-Yari

En dépit de l’affirmation de sa normalité et de sa stabilité, la République islamique d’Iran (RII) reste dans un état transitoire près de trois décennies après la grande Révolution de 1979. Cela est largement dû à la fragilité de ses relations avec certains pays voisins et occidentaux ainsi qu’à son incapacité à accommoder certaines aspirations fondamentales de son peuple. À ces deux difficultés s’ajoutent les divisions grandissantes au sein même de l’élite politique. Depuis la mort du leader emblématique de la RII, Ruhollah Khomeini, son successeur, l’Ayatollah Ali Khamenei, et chacun des présidents de la République ont essayé de trouver des solutions à ces problèmes. Pour le Leader suprême, tous les problèmes de son pays sont d’origine étrangère et sont fomentés par les ennemis de l’Islam, ces agents iraniens de l’impérialisme américain. Il continue son discours belliqueux depuis 1989.

Dilemme des gouvernements

Le président Ali-Akbar Hashemi-Rafsanjani (1989-1997) a poursuivi comme politique la reconstruction du pays, dévasté par huit ans de guerre avec l’Irak, l’ouverture de l’Iran sur le monde et la réconciliation nationale. Le bilan de ses efforts est un mélange de succès relatif et un échec retentissant. Il a réussi à dégeler les relations du pays avec la plupart des pays européens et avec certaines communautés d’exilés iraniens. La reconstruction des régions dévastées a créé une belle occasion pour les proches du pouvoir de s’enrichir. De plus, le président a forcé les différents ministères à subvenir à leurs besoins financiers en entrant dans toutes sortes d’activités économiques, y compris la privatisation des services. Le résultat a été une explosion d’activités illicites et une corruption fleurissante qui a pris des dimensions épidémiques. Le phénomène des Aghaazaadehaa (littéralement « Fils des Messieurs »), ces nouveaux jeunes qui doivent leur richesse monstre à l’association de leur père au pouvoir, est l’héritage de cette époque. Ils rongent l’économie du pays.

L’approche du président Mohammad Khatami (1997-2005) était fondée sur le dialogue, la baisse des tensions avec la communauté internationale, la réduction du niveau de méfiance qui existait entre son pays et les États-Unis et l’ouverture de l’espace politique en Iran par le renforcement des bases d’une société civile vivante. Si le résultat de sa réconciliation avec le monde est plutôt positif, il reste difficile de rendre un verdict univoque sur le bilan de ses deux mandats. Président plutôt philosophe, Khatami a mis l’accent sur le développement politique comme véhicule de changement au sein de la société iranienne. Le trait distinctif de son passage au pouvoir est l’émergence d’une presse tout à fait libre et d’un mouvement de réforme, qui seront ensuite durement sanctionnés par une justice intolérante et hostile à la politique présidentielle. La répression des journalistes, des ONG, des associations étudiantes et des manifestations de la société civile sera l’œuvre de la droite rétrograde détenant l’essentiel du pouvoir face à un président désarmé.

Mahmoud Ahmadinejad est le troisième président de la Deuxième République sous le leadership de l’Ayatollah Khamenei. Moins connu, mais plus envahissant et militant que ses prédécesseurs, Ahmadinejad a introduit un style de gouvernance populiste fondée sur des promesses difficiles à réaliser à l’intérieur du pays et une politique étrangère agressive et belliqueuse. Sa vision est fondée sur un certain messianisme dans lequel il a engagé l’ensemble de l’État et de ses ressources. Il croit en une paix basée sur la justice et refuse d’adoucir sa rhétorique si le reste du monde entre en conflit avec sa compréhension de la mission investie en lui par Mahdi, le Douzième Imam des Chiites. Incapable d’améliorer les conditions de la vie matérielle des Iraniens conformément à ses promesses électorales, Ahmadinejad fait de la question nucléaire son cheval de bataille contre les ennemis étrangers et leurs agents internes, les seuls obstacles au développement de l’économie iranienne, soutient-il.

Accusant ses prédécesseurs de complicité avec les puissances étrangères, Ahmadinejad introduit la notion de la politique étrangère offensive. Il s’agit de prendre l’initiative dans différents dossiers au lieu de se les faire dicter par les puissances occidentales.

Si les politiques économiques et culturelles du président Ahmadinejad ont misérablement échoué – un fait qu’il refuse de reconnaître –, il réclame la victoire en politique étrangère. En s’acharnant trop sur le programme
nucléaire iranien, les puissances étrangères prolongent la vie d’un gouvernement fortement contesté en Iran. Cela a créé un espace vital pour le président critiqué de vouloir faire diversion sur ses problèmes domestiques. Même s’il n’a pas plus de pouvoir ou d’autorité que ses prédécesseurs, il sait très bien comment manipuler le système pour faire avancer son propre agenda qui consiste à préparer le terrain pour la venue de l’Imam Mahdi, le sauveur du monde.

Saga nucléaire

Avec l’appui du Leader suprême, Ahmadinejad a complètement bouleversé les négociations sur la question nucléaire avec les Européens et l’AIEA. Au niveau national, il a réussi à mélanger le nucléaire à la fierté nationale en créant une vague d’appui populaire pour le programme qu’il cherche à exploiter à des fins partisanes.

En organisant plusieurs démonstrations bien chorégraphiées autour des installations nucléaires à travers le pays, en accusant de trahison les Iraniens qui questionnent son approche et en présentant les Occidentaux comme des agresseurs colonialistes qui essaient de bloquer le développement de son pays, Ahmadinejad a momentanément mis sur la défensive ses opposants politiques à l’intérieur et a gagné une certaine popularité chez les Arabes dans la région du Moyen-Orient. De plus, il a réussi à politiser de façon excessive une question plutôt technique et légale.

Comment briser l’impasse ?

À l’instar du pétrole dont le revenu ne sert qu’à enrichir un petit groupe autour du pouvoir, la manipulation politique du programme nucléaire coûte déjà très cher aux intérêts de l’Iran sur la scène internationale. Dans le dossier nucléaire, il faut sortir de la logique de confrontation promue par le duo Ahmadinejad-Bush, surtout quand l’intégrité de l’Iran et le bien-être de son peuple sont en jeu.

À cause de son importance dans la région du Moyen-Orient, la question iranienne doit être abordée avec soin dans un contexte régional. Voici quelques pistes possibles d’action :

1. Il importe de reconnaître explicitement et effectivement des droits et des obligations à l’Iran conformément aux dispositions du Traité de non-prolifération. Le rapport de l’AIEA (15 novembre 2007) et le National Intelligence Estimate, « Iran : Nuclear Intentions and Capabilities » (novembre 2007) peuvent fournir un cadre logique pour sortir de la présente impasse nucléaire.

2. Il importe aussi de réduire la pression politique dans le dossier nucléaire iranien en le ramenant à ses limites techniques et légales que l’on peut mieux contrôler.

3. Il importe d’intégrer l’Iran dans tout système de sécurité régionale et de reconnaître ses préoccupations légitimes dans tout développement qui affecte ses intérêts vitaux en Irak et en Afghanistan.

4. Il importe d’établir des relations normales avec la République islamique sur la base du respect mutuel et sans ingérence dans ses affaires internes. Cette normalisation forcera Téhéran à revoir sa politique étrangère et trouver des solutions pratiques aux graves problèmes économiques et sociaux du pays tout en accommodant les aspirations politiques et le respect des droits humains. Le dialogue avec l’Iran est un investissement sûr dans le changement du comportement interne et externe de la RII.

5. Il importe de résoudre de façon juste et permanente le conflit israélo-arabe à partir des résolutions pertinentes de l’ONU. La poursuite du conflit est une source permanente de griefs légitimes et illégitimes qui alimentent les sentiments anti-occidentaux et déstabilisent la sécurité régionale.

6. Il importe de réévaluer la présente hostilité contre l’Iran. Il faut réduire l’aspect sécuritaire du débat et penser en terme de l’intégration régionale où l’Iran, comme les autres pays de la région, accéderait à ses droits légitimes.

7. Il importe d’explorer la possibilité d’un scénario dans lequel l’Iran des Mollahs pourrait devenir un allié pour les Américains si ceux-ci trouvent un juste équilibre dans leur approche régionale. La politique américaine d’endiguement des années 1980 et 1990 a produit des résultats favorables à l’Iran dans la région. Elle a aussi créé d’autres résultats inattendus : l’émergence de Saddam Hussein, le militantisme islamiste et l’agitation dans les pays arabes pro-américains. Admis comme pays normal, l’Iran peut aider l’instauration d’un certain degré de stabilité dans une région très instable, troublée souvent par d’autres forces que celles que commanditent Téhéran.

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