Déclaration de souveraineté atikamekw

No 57 - déc. 2014 / janv. 2015

Autochtones

Déclaration de souveraineté atikamekw

Entrevue avec Constant Awashish, Grand chef de la nation Atikamekw

Constant Awashish, Julie Depelteau

Dites-leur que nous n’avons jamais cédé notre territoire, que nous ne l’avons jamais vendu, que nous ne l’avons jamais échangé, de même que nous n’avons jamais statué autrement en ce qui concerne notre territoire [1]. - César Newashish

Les Atikamekw Nehirowisiw ont proclamé le 8 septembre dernier leur Déclaration de souveraineté sur Nitaskinan, un vaste territoire de 80 000 km2 situé au nord de Trois-Rivières et englobant les communautés de Manawan, Opitciwan et Wemotaci. L’objectif de la nation atikamekw est de « maintenir et exercer sa gouvernance territoriale sur l’ensemble de Nitaskinan. Pour ce faire, Atikamekw Nehirowisiw a la volonté de faire de son peuple une instance politique et économique incontournable [2] ». Le grand chef de la nation atikamekw, Constant Awashish, a bien voulu partager avec nous ses réflexions sur cette Déclaration de souveraineté.

Propos recueillis par Julie Depelteau

À bâbord ! : Est-ce que le jugement Tsilhqot’in, qui a mené en juin dernier à la reconnaissance par la Cour suprême du Canada du titre ancestral d’une Première Nation de son territoire – une première au pays –, est à l’origine de la Déclaration de souveraineté ?

Constant Awashish : Ça a coïncidé, alors le monde a commencé à dire que c’était la cause de la Déclaration, mais ce n’est pas la raison qui nous a poussés à la faire. C’est certain que le jugement nous a donné plus de confiance pour faire la Déclaration et que ça a secoué davantage les gouvernements. Mais ça faisait longtemps que les élu·e·s de la nation atikamekw avaient pensé à ça. Une résolution en ce sens avait été adoptée en assemblée générale d’Atikamekw Sipi (le Conseil de la nation atikamekw) en août 2013. Même qu’un ex-chef me disait qu’il avait parlé de faire quelque chose comme ça il y a 10 ans.

Le point de départ de la Déclaration, c’est que les gens voient ce qui se passe sur leur territoire. Les ressources naturelles sont exploitées malgré que les négociations territoriales soient en cours, depuis tant d’années. Les gens se posent des questions, voient que les ressources sont exploitées, mais que nous n’en retirons rien en bout de ligne, alors que les autres s’enrichissent.

La Déclaration de souveraineté, c’est pour le public, c’est politique et c’est juridique. Il y a un aspect qui est d’informer le public, car il y a encore beaucoup de gens qui ne connaissent pas les Autochtones, qui ne savent pas ce que nous faisons. Il y en a peut-être même qui pensent qu’on porte des plumes, même si on n’en a jamais eu – c’est à Hollywood qu’ils mettent des plumes. Le but de la Déclaration, c’est d’annoncer que nous sommes Atikamekw et d’informer la population sur ce qu’est notre territoire actuel – parce que des aîné·e·s nous ont raconté que notre territoire était bien plus vaste que ce que nous connaissons aujourd’hui. Le territoire actuel, c’est comme un territoire minimum. La Déclaration fait que le mot voyage, elle soulève des questions. C’est bon parce que ça amène les gens à vouloir en savoir plus, à s’éduquer. De notre côté, ça nous permet de nous faire connaître, de faire connaître nos intentions et de nous faire respecter. La Déclaration a été faite sans aucune malice, notre but n’est pas de mettre personne dehors du territoire : c’est vraiment de dire que nous sommes là et que nous voulons participer au développement. Nous voulons avoir notre mot à dire sur les façons de faire, sur les lieux où l’exploitation est faite, sur ce qui doit être protégé, et ne pas seulement recevoir des brochures d’information tandis que les compagnies exploitent.

En même temps, la Déclaration a un côté politique qui est de mettre de la pression pour les négociations territoriales, qui durent depuis plus de 30 ans. La durée moyenne d’une négociation de traité au Canada est de 26 ans. Nous avons dépassé ce temps-là. La durée des négociations dépend de la volonté du gouvernement de faire avancer les choses. Au fil de ses décisions, la Cour suprême a toujours dit aux gouvernements que c’est leur devoir de négocier de bonne foi avec les Autochtones, que nous avons des droits préexistants. Mais ils ont laissé passer le temps. Le jugement Tsilhqot’in, c’est une tape sur les doigts : le gouvernement a traîné, n’a pas fait d’entente, et maintenant la Cour leur reconnaît leur titre ancestral sur une parcelle du territoire. Ce jugement, au fond, c’est un nouveau souffle donné aux Autochtones et nous avons l’intention de nous en servir étant donné qu’il y a des similitudes entre les nations tsilhqot’in et atikamekw. La Déclaration, c’est donc une façon de faire pression sur le gouvernement pour qu’on s’assoie sérieusement autour d’un table, avec des mandats de négocier et des négociateurs qui sont ouverts d’esprit. Parfois, j’ai l’impression qu’ils nous envoient seulement des négociateurs qui ne sont pas ouverts d’esprit.

Du côté juridique, la Déclaration permet d’affirmer nos droits, de rappeler que nous n’avons jamais cédé ni vendu notre territoire. Nous sommes dans un État de droit, j’espère, ce qui veut dire que légalement nous sommes encore propriétaires du territoire, comme nous ne l’avons pas cédé, vendu ni échangé. Nous avons été usurpés, les gens ont empiété graduellement, à toutes sortes de niveaux, mais nous sommes encore là, nous parlons encore notre langue et nous pratiquons encore notre culture.

ÀB ! : Avez-vous reçu des réactions de la part d’autres communautés autochtones, au Québec ou ailleurs ?

C. A. : Nous avons reçu beaucoup d’appuis et de félicitations de la part d’Autochtones d’un peu partout au Québec et aux États-Unis. On nous a dit qu’il était temps que quelqu’un se lève. Certains n’étaient pas contents, mais je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’on leur a volé la vedette, je ne sais pas (rires). Je pense que c’était plus un conflit de personnalités. Il n’y a aucune raison de ne pas être content.

Parmi les non-Autochtones, il y a toujours du monde qui ne sont pas contents, parce qu’ils ne comprennent pas le sujet. Ils ont peur, l’ignorance amène la peur. Nous ne voulons de mal à personne, nous voulons juste le bien de notre nation, et nous voulons le bien des Québécois·es et des Canadien·ne·s. C’est certain qu’il y a moyen de s’entendre et de partager. Au début de la colonisation, les non-Autochtones venaient voir les Auto­chtones pour leur demander s’ils pouvaient s’installer à un endroit. Il y avait de l’entraide et du partage. On marchait un à côté de l’autre. Finalement, cette relation a été mise de côté, à cause d’un mode de vie différent. Nous n’étions pas capitalistes, nous ne voulions pas faire de l’argent : nous voulions vivre en harmonie avec tout ce qui nous entoure. Le mode de vie capitaliste nous a comme piétiné·e·s. Aujourd’hui, une nouvelle génération d’Auto­chtones commence aussi à penser business, à vouloir prendre sa place et à se rattraper socioéconomiquement. C’est aussi un autre aspect de notre Décla­ration, nous ne voulons plus rester en arrière du train, nous voulons venir en avant avec vous.

J’ai entendu dire : « Vous avez déclaré votre indépendance !  » Nous, ce n’est pas l’indépendance que nous avons déclarée. On ne s’est pas séparé·e·s. Nous avons dit simplement que nous sommes souverain·ne·s, que pour tout ce qui se passe sur notre territoire, nous avons notre mot à dire. Nous voulons prendre les décisions sur tout ce qui se passe sur le territoire, peu importe ce que c’est. On ne se sépare pas, on ne créera pas de passeport ni de monnaie différente : ça sera encore la monnaie canadienne et le passeport canadien, le Code criminel canadien. Il y a plusieurs aspects à la Déclaration de souveraineté, comme l’environnement ou l’approche autochtone pour régler les conflits. Nous voulons que les règles de sécurité soient strictes lorsque les ressources sont exploitées, que les ressources soient bien gérées pour assurer leur régénération. Par exemple, pour les mines, il faut s’assurer de bien restaurer les lieux, que les compagnies ne laissent pas de gros trous à ciel ouvert après. Pour le moment, les Atikamekw ne sont pas trop touché·e·s par les mines, mais ça va probablement venir à un moment donné.

ÀB !  : Quelles réactions avez-vous vues ou aimeriez-vous voir de la part des non-Autochtones par rapport à la Déclaration ?

C. A. : En publiant la Déclaration, je savais que certains ne seraient pas contents, qu’ils réagiraient négativement vu la peur et l’ignorance. C’est aussi dû aux gouvernements qui véhiculent de mauvaises informations sur les Autochtones – c’est une forme de propagande pour nous écraser. Mais j’ai eu aussi des réactions comme « Vous avez bien fait ! », « C’est le temps que vous vous leviez, vous ne pouvez pas rester comme ça toujours !  » Des mots d’encouragement. Un de mes amis magasinait à Trois-Rivières pour l’école avec son petit garçon de 6 ou 7 ans. Un monsieur est venu les voir et leur a demandé s’ils étaient Atikamekw. Ils ont dit oui, en se demandant ce qu’il allait leur dire, si ce serait des bêtises. Il a dit : « Je suis bien content que vous ayez fait vos démarches. » Et il a dit au petit gars : « Je vais travailler avec vous autres, pour ton avenir. » Ça me touche beaucoup. Et il y a beaucoup de monde qui a réagi comme ça.

C’est comme dans n’importe quoi, il y en a qui vont mal réagir, mais j’ai l’impression que la majorité est d’accord avec ça. Partout où j’allais, c’était comme ça. Ceux qui réagissent agressivement, c’est souvent à travers les médias. Quand on se promène dans la rue, les gens sont contents, ils nous encouragent, nous disent de ne pas nous laisser faire, qu’ils sont avec nous. J’ai reçu des lettres d’encouragement, de gens qui ont des projets pour nous aider, disant qu’ils sont là pour nous si nous avons besoin de leur aide. C’est encourageant, on se sent moins isolés. Avant la Déclaration, j’étais quasiment pessimiste par rapport aux réactions, mais finalement beaucoup de personnes nous appuient et je suis agréablement surpris. Les gens sont compréhensifs, je pense qu’ils sont peut-être plus éduqués sur ce qu’est la situation en réalité. Je n’aime pas utiliser le mot « ignorant » parce que c’est péjoratif, mais c’est comme ça. Aujourd’hui, ils connaissent mieux les droits auto­chtones et savent que c’est au gouvernement à faire son travail – comme la Cour a dit : « Allez négocier !  » Il faut leur expliquer que notre développement va bénéficier à tout le monde, aux Québécois·es et aux Canadien·ne·s.


[1Le site web de la nation atikamekw de Manawan, page « Revendications », http://www.manawan.org/vie_dans_la_reserve/revendications/

[2La Déclaration de souveraineté peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.atikamekwsipi.com/fichiers/File/declaration_souverainete_signe.pdf

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