Dossier : Le Québec en quête de (…)

Présentation du dossier du #32

Le Québec en quête de laïcité

Normand Baillargeon

Les débats politiques qui opposent des gens que tout divise sont presque immanquablement prévisibles, stériles et, partant, sans intérêt. A contrario, il arrive que des gens, ayant en commun des valeurs et des positions politiques fondamentales, s’opposent néanmoins sur certaines questions précises qui ont des répercussion pratiques importantes. Quand cela se produit, on peut espérer que leurs débats et discussions seront féconds et que chacun apprendra de ces échanges, pour autant qu’ils soient sereins et respectueux.

Le dossier que nous vous présentons propose précisément d’entendre des arguments déployés par des personnes et des regroupements politiques qui, s’ils partagent ce que je qualifierai simplement comme étant des idéaux humanistes et progressistes, divergent néanmoins d’avis sur toute une série de questions ayant globalement trait au modèle de laïcité que le Québec devrait adopter et de ce qui est impliqué par ce choix.

Faut-il le rappeler ? Le processus de laïcisation, au Québec, ne s’est amorcé que très récemment. Il reste inabouti et cherche encore à se définir, comme en témoigne notamment la constante résurgence dans l’opinion de débats sur les accommodements raisonnables, sur la place à accorder dans l’espace public aux croyances religieuses, sur les modalités d’accueil des populations immigrantes et sur la question d’une éventuelle hiérarchisation des droits, qui surgit dès lors que s’opposent liberté de pratique religieuse et égalité des sexes.

Le manque de volonté politique explique-t-il, à lui seul, que le fameux concept de laïcité ouverte, mis de l’avant au terme du vaste chantier consultatif de la Commission Bouchard-Taylor comme cadre conceptuel pour penser résoudre ces questions, ne les ait pas, aux yeux de plusieurs observateurs, résolues de manière satisfaisante et convaincante ? Ou est-ce plutôt en raison de carences inhérentes à ce concept lui-même ? La première partie de ce dossier présente des vues divergentes sur ces questions.

Le premier texte est de Daniel Weinstock, un philosophe de l’Université de Montréal, qui se porte avec finesse à la défense de cette forme, ouverte, de laïcité. Ces idées trouvent ensuite un autre solide avocat en Jean-Marc Larouche, un sociologue de l’UQAM. Certains des meilleurs arguments en faveur de ce type de laïcité, qui s’applique aux institutions plutôt qu’aux individus ou à la société, sont déployés dans ces textes, qui ne manquent pas de mettre en garde conte les périls d’une laïcité « républicaine ».

Daniel Baril, vice-président du Mouvement laïque québécois, est en complet désaccord : le concept de laïcité ouverte est à ses yeux un dangereux oxymoron [1], qui repose sur une vision angélique des religions qui en oblitère abusivement les dimensions sociales et politiques : en bout de piste, il participerait d’une forme de traitement préférentiel consenti aux croyances religieuses et déboucherait inévitablement sur d’intolérables compromissions avec la laïcité bien comprise.

Ces deux positions laissent deviner des conceptualisations et des sensibilités fort différentes, qui ne peuvent manquer de surgir dans les manières de se situer et de réagir face à certaines demandes précises émanant de groupes religieux. La deuxième partie de ce dossier l’illustre en donnant à entendre les arguments et les conclusions, divergents, de la Fédération des femmes du Québec et du Conseil du statut de la femme, sur l’interdiction du port de symboles religieux ostentatoire par le personnel de la fonction publique. Jean-Marc Piotte ajoute sa voix à celle de ces deux organismes et plaide pour une véritable et pleine laïcité.

La troisième et dernière partie de ce dossier confronte elle aussi deux points de vue, cette fois sur le cours d’Éthique et culture religieuse (ÉCR) qui vient d’être mis en place dans les écoles primaires et secondaires du Québec. Ce cours trouve un solide défenseur en Louis Rousseau, du département des sciences des religions de l’UQAM, et une critique impitoyable en la philosophe Marie-Michèle Poisson, présidente du Mouvement laïque québécois.

Nous avons souhaité donner en ces pages la parole à certaines voix solides et convaincantes parmi les personnes représentant les options les plus crédibles qui s’ouvrent aujourd’hui au Québec. Par-delà toutes leurs divergences, une chose au moins semble faire l’unanimité : l’urgence de définir collectivement le type de laïcité que nous voulons et de l’implanter sérieusement. Ce dossier aurait accompli le souhait le plus cher que les artisans de la revue À Bâbord ! avaient en le préparant s’il parvenait à alimenter la réflexion de ses lectrices et lecteurs et s’il contribuait à enrichir la conversation démocratique qui doit se poursuivre (et aboutir !) sur ces questions urgentes et incontournables.


[1Oxymoron : ingénieuse alliance de mots contradictoires.

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