Dossier : Fiscalité équitable (…)

La fiscalité

Soins palliatifs du capitalisme

Gaétan Breton

Le système libéral est sensé répartir les revenus en fonction de l’apport individuel, dans un contexte de négociations permanentes où chacun a l’information parfaite et connaît les alternatives qui existent. Effectivement, toutes les transactions se concluent au prix d’équilibre. Quel monde magnifique ! Cependant, pour la réalité, il y a l’impôt.

Éden théorique, enfer sur Terre

Les conditions qui auraient mené la supposée économie de marché à opérer une répartition correcte des revenus et à assurer la mise en place de services collectifs accessibles n’ont jamais existé. Même l’économie de marché généralisée n’a jamais existé, elle demeure un dogme qui ne survit que par sa répétition incessante, un mythe. L’existence même d’un système fiscal dans la grande majorité des pays constitue un aveu d’échec du système économique à répartir correctement la richesse. Or, n’en déplaise aux lucides de tout acabit, la répartition est au moins aussi importante que la création. D’ailleurs, la mauvaise répartition pousse ces mêmes idéologues à proposer toujours plus de création de richesse au détriment de l’environnement et de la qualité de vie, sans que le sort de ceux qui reçoivent le moins n’en soit amélioré. C’est une fausse piste dans laquelle on lance les citoyens angoissés par la situation économique.

D’un autre côté, malgré l’accaparement toujours croissant de la richesse, une répartition minimale constitue un moyen pour les capitalistes de maintenir une certaine paix sociale. Le but n’est pas alors d’éliminer les inégalités, mais de les gérer selon un modèle coût/bénéfice qui tend à limiter la ponction prise chez les riches quand le danger marginal d’un trop plein de pauvreté diminue. Notons aussi que la classe moyenne bénéficie de la paix sociale résultant de conditions de vie décentes, car elle n’a pas les moyens, comme les très riches États-Uniens, par exemple, de vivre entourée de murs et de gardiens.

Le système économique qui devait assurer une excellente répartition de la richesse crée, dans les faits, des très riches et des très pauvres. Ainsi, quand l’économie s’est mise à produire en masse, l’oligarchie trouvait facilement des revenus mais l’industrie devait aussi trouver des débouchés pour ses produits. Donc, la fiscalité traditionnelle qui servait à assurer sur le dos des pauvres un niveau de vie somptueux pour une oligarchie limitée s’est retournée et est devenue un moyen de répandre le pouvoir d’achat, dont l’industrie avait besoin, dans de plus larges couches de la population. Ce pouvoir d’achat produisant toujours plus de richesses pour une classe dominante devenant ainsi encore plus riche.

L’État organisateur

La fiscalité servait aussi à mettre en commun, pour les entrepreneurs, les fonds nécessaires à établir des infrastructures dont tous avaient besoin. Parmi ces éléments nécessaires à toutes les entreprises, on trouve le système d’éducation et le système de santé, par exemple, car la transformation du travail a nécessité une meilleure instruction d’une part, et les profits de l’entreprise et le produit intérieur brut (PIB) se ressentent positivement d’une augmentation du niveau de santé des populations d’autre part.

En France, la participation proportionnelle de chacun aux œuvres collectives est prévue dans la constitution : Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens en raison de leurs facultés.

Au Canada, l’œuvre collective qui a vraiment fait décoller l’impôt sur le revenu est la guerre. Mais d’autres formes d’impôt existaient depuis la nuit des temps. Les impôts pris par les seigneurs sur les censitaires, par le clergé sur les fidèles, etc. Ces impôts se calculaient sur la production de chacun considéré comme producteur indépendant. Avec la prolétarisation massive des anciens artisans et fermiers, la production s’est mise à appartenir au propriétaire de l’usine, il fallait donc taxer ailleurs, c’est-à-dire le revenu. En plus des infrastructures communes, l’État s’est vu confier le soin du réservoir de main-d’œuvre excédentaire, essentiel au contrôle des salaires. On ne peut pas laisser mourir ceux qui ne trouvent pas à s’employer, non seulement parce que ça ferait mauvais genre, mais parce que lorsque le besoin de main-d’œuvre va augmenter, les salaires risquent d’atteindre des sommets si on n’a pas conservé une certaine quantité de chômeurs. De plus, le système en a besoin comme consommateurs, actuels et potentiels. L’impôt va donc servir aussi à cela.

La manipulation du citoyen

La fiscalité est simplement l’expression d’un contrat social. Elle est souvent présentée comme un combat entre l’État et les citoyens. En répandant une telle idéologie, on dresse le citoyen contre le principe de l’impôt. On lui montre ce qu’il paie et non ce qu’il reçoit. On angoisse la population en lui laissant entendre qu’on ne pourra plus payer les soins de santé et les pensions. On comprend que le citoyen soit de plus en plus réticent à payer des impôts.

Dans la vie quotidienne, on confond allègrement l’établissement de l’assiette fiscale et les principes de répartition de son contenu avec les détails techniques des différents articles de la loi. Plusieurs mythes ont ainsi été créés, au cours des années, pour éloigner les citoyens des discussions sur ce sujet de première importance citoyenne qu’est la fiscalité.

1- La fiscalité : c’est technique

La fiscalité qui intéresse les citoyens n’est pas technique du tout, elle est politique. C’est le système qu’une société se donne pour répartir la richesse que le système économique n’arrive pas à redistribuer avec un minimum de justice sociale. Donc, si nous faisons table rase de toutes les entourloupettes qui ne servent qu’à éviter aux mieux nantis de payer leur part, les principes sont très simples. De plus, il faudrait rendre la pratique aussi simple.

En fait, dans une société libérale, il y a deux façons de répartir la richesse. La première consiste à augmenter le rôle de l’État et à s’en servir pour soit donner directement de l’argent aux citoyens par le revenu de citoyenneté, le revenu minimum garanti, ou d’autres formules moins bonnes comme l’aide sociale, soit par le financement plus ou moins complet de tous les services publics. L’autre méthode consiste à réduire l’État et à compter sur la charité des riches pour subvenir aux besoins des plus pauvres. La base est là, le reste est une question de formules de répartition.

2- Assurer l’égalité des chances

Une société démocratique libérale se doit d’assurer une certaine égalité des chances. Il y a plusieurs façons de le faire. D’abord, en assurant des soins de santé gratuits et une éducation gratuite. Pour ce faire, on pourrait prélever des droits sur les successions au-delà de certains niveaux. Une chose est certaine, dans notre société sans droits de succession et où la gratuité des services est férocement combattue par la classe au pouvoir, l’égalité des chances est de plus en plus compromise, voire éliminée.

3- Baisser les impôts – éliminer les services publics

Ceux qui possèdent le pouvoir économique ont commencé une guerre sans merci contre les services publics. Pour ce faire, on fait régner la terreur dans la population : terreur de perdre son emploi si les riches sont trop taxés, terreur que les services de base soient compromis, terreur que la baisse démographique fasse chuter les revenus, terreur que les caisses soient vides au moment de payer les pensions, terreur de la dette, etc. À ce niveau, le Manifeste des lucides apparaît comme un des textes les plus terroristes qu’on ait eus au Québec.

4- Pauvres riches !

Un autre des mythes fiscaux est l’idée que les hauts revenus sont tellement peu nombreux dans ce pays de médiocres que le fait de les taxer ne rapporterait que peu mais les ferait fuir et nous laisserait seuls avec notre médiocrité. Fuite des cerveaux, fuite des investissements et, résultat inéluctable, fuite de la prospérité, puisque nous qui resterons n’avons ni cerveau ni capitaux.

Au Québec, 40 % des contribuables déclarent 11 % des revenus, soit un revenu moyen net de 7 470 $ pendant que, à l’autre bout, 9 % des contribuables déclarent 31 % des revenus avec un revenu net moyen de 82 000 $. Si on fait seulement un petit exercice de répartition, sans toucher à autre chose, on peut changer sensiblement la situation. Imaginons qu’on envoie un chèque de 15 000 $ à chaque citoyen, on double la proportion du revenu que reçoivent les plus pauvres, mais leur revenu net moyen monte à 17 000 $, alors qu’on augmente graduellement les prélèvements chez les autres catégories pour financer cette mesure. Les plus riches se retrouvent alors avec encore 24 % de la richesse et un revenu net moyen tournant autour de 55 000 $. Il existe tout un ensemble de moyens pour répartir la richesse beaucoup mieux que nous ne le faisons présentement. Il est totalement faux de prétendre que c’est impossible.

Pas de capitalisme sans impôts

Même s’ils passent leur temps à s’en plaindre, les capitalistes ont tellement déformé les principes de l’économie libérale que leur système ne pourrait pas fonctionner sans impôts.

On voit bien, en ce moment, les limites d’un système qui veut toujours produire plus, tout en coupant les revenus de ses consommateurs potentiels. L’endettement massif dans lequel se retrouvent les ménages des pays de l’OCDE montre que le système a tenté de revoir les principes de base de la répartition et de s’accaparer la plus grande part possible des bénéfices de la technologie. Son système lui éclate au nez. À défaut d’une répartition juste de la richesse opérée par le système économique, ce dernier se maintient par le recours à une fiscalité qu’il décrie comme lui étant imposée, mais qui demeure l’huile essentielle pour faire fonctionner ses rouages.

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