Dossier : La « réforme » en (…)

Détruire l’école publique

La vraie contre-réforme de l’éducation

par Bernard Rioux

Bernard Rioux

Trente ans après la Commission Parent, le consensus qui s’était créé autour de cette réforme s’est peu à peu effondré, comme l’ont démontré les consultations autour des États généraux, menées en 1996.

Un courant progressiste, dont le mouvement syndical de l’éducation était la colonne vertébrale, désirait approfondir l’accessibilité par la consolidation de l’école publique et faire un pas vers une société plus égalitaire et plus ouverte à la diversité. Plusieurs positions étaient avancées, comme l’importance d’une gratuité réelle, de la lutte au décrochage et de l’attention envers les enfants des milieux défavorisés. De plus, on prônait le maintien de la double mission des cégeps et de la mission d’enseignement des universités.

Les secteurs liés au patronat exigeaient que l’école (de la formation secondaire à l’université) soit plus décentralisée pour favoriser l’adaptation aux besoins des entreprises. De plus, le patronat demandait de préserver l’école privée au nom de l’excellence et la possibilité de former les élites de demain. Pour les universités, le patronat mettait l’accent sur la recherche et son transfert vers les entreprises alors qu’on remettait en question les cégeps.

Des États généraux à la contre-réforme du PQ

Dans son rapport final, la Commission des États généraux sur l’éducation parlait, pour sa part, de « remettre l’école sur ses rails en matière d’égalité des chances ». On ajoutait qu’il fallait « accorder la priorité à la relance de l’école publique en déclarant un moratoire sur l’ouverture d’établissements privés et en diminuant progressivement les subventions accordées à ce réseau ».

Une victoire des progressistes aux États généraux en 1996 s’est transformée en Réforme néolibérale par décision du gouvernement péquiste en 1997, sous la direction de Pauline Marois. Ainsi, contrairement à ce qui est compris dans par une partie importante du personnel de l’éducation, des syndicalistes et des chercheurs, la « réforme du curriculum » et l’approche par compétence, ne sont pas le cœur de ce qui est appelé la « Réforme ». Liée à la politique de déficit zéro, cette contre-réforme est la victoire des pressions patronales. Elle est basée sur la croissance du secteur privé et la dégradation d’un secteur public segmenté par la mise en place de nombreuses filières, la multiplication des projets sélectifs, le recul de l’accessibilité et de la diplomation.

La croissance du privé

Principal gagnant de la contre-réforme, le secteur privé s’est fortement consolidé en augmentant de 10 % le nombre d’élèves (de familles plus aisées) depuis 1997-98 tandis que le secteur public diminuait de 6,4 %. Sur l’île de Montréal, c’est 30 % des élèves qui se retrouvent au privé !

Les écoles privées québécoises, les plus subventionnées en Amérique du Nord (50 % de financement contre 1 % en Ontario), ont profité d’une offensive idéologique menée par l’Institut économique de Montréal, avec l’aide du magazine L’Actualité. En effet, la parution annuelle du palmarès ne faisait que confirmer ce que nous savions : les écoles avec les enfants de familles plus riches et plus scolarisées ont des résultats plus élevés. Le classement présenté dans le palmarès est loin de mesurer la capacité d’une école à améliorer les résultats des élèves au-dessus de leurs déterminants sociaux (au-dessus de la moyenne des élèves dans la même situation socio-économique). Il ne fait qu’envoyer le message que les écoles publiques de pauvres sont mauvaises, que les écoles privées de riches sont meilleures et que nous devons y envoyer nos enfants.

La contre-réforme au grand profit des écoles privées sélectives et payantes a un grave impact sur la qualité de l’école publique. Pourtant, la mollesse du MEQ dans la dénonciation des palmarès a une certaine portée sur les objectifs du gouvernement.

Dégradation de l’école publique

L’application de la contre-réforme de l’éducation à l’école publique a été basée sur une politique de coupures massives et de stratification par laquelle on a mis en place une école à deux vitesses.

Pour réagir aux palmarès et aux pertes subies dans le domaine de l’école privée, les écoles publiques ont fortement augmenté leur nombre de projets sélectifs. Bien que les programmes internationaux arts-études, sports-études et autres puissent être stimulants sur le plan pédagogique, le problème réside dans le fait qu’ils sont trop souvent sélectifs, donc discriminatoires.

De leur côté, les élèves en difficulté sont intégrés brutalement, sans soutien à cause des coupures, dans les classes régulières. Ainsi, de 1995 à 1997, la dépense globale en éducation par rapport au PIB est passée de 8,7 % à 7,6 %, une baisse de 12,6 % en deux ans. Le taux d’obtention d’un premier diplôme au secondaire avant l’âge de 20 ans, qui était en hausse spectaculaire depuis la Réforme Parent, est passé de 72,3 % en 1998-99 à 65,8 % en 2002-2003, alors que les États généraux visaient 85 % pour 2010 ! Cette baisse de la diplomation, et la hausse du décrochage qui lui est liée, est particulièrement le résultat de coupures dans les services aux élèves en difficulté.

On se retrouve maintenant avec une école à deux vitesses : les forts dans les programmes sélectifs et au privé, et les autres en classe régulière. Cette stratification et l’homogénéisation des classes qui s’ensuit ne sont pas plus favorables à la réussite des élèves les plus performants, tout en désavantageant grandement les élèves plus faibles.

Former de la main-d’oeuvre sur mesure pour les entreprises

Aujourd’hui l’école, sous les conseils de l’OCDE et des groupes de pression patronaux, vise avant tout à développer les compétences des jeunes et des adultes pour les rendre aptes à s’adapter au changement (flexibilité), et à recevoir une « formation continue tout au long de leur vie ». L’objectif est de développer des « ressources humaines » compétentes et malléables, comme l’écrit Petrella, qui « sont organisées, gérées, valorisées, déclassées, recyclées, abandonnées en fonction de leur utilité pour l’entreprise ». L’idée de compréhension et de critique de la société et du monde dans lequel les jeunes et les adultes vivent est exclue de cette vision.

Pour réaliser ces objectifs, on a décentralisé les écoles et on les a rapprochées des entreprises. On a aussi redéfini le contenu même de l’enseignement à tous les niveaux pour les orienter vers les besoins en main-d’oeuvre. La multiplication des programmes courts aux secteurs professionnel et technique va dans ce sens. Ces formations courtes n’offrent plus l’apprentissage d’un métier, mais des connaissances fragmentaires (telle machine, telle tâche précise). Le MEQ prévoit mettre en place dès le secondaire III de nouveaux parcours de formation comme la « formation générale appliquée » qui réduirait la formation commune d’une année, limitant ainsi les perspectives d’avenir des futurs travailleurs et travailleuses.

La logique des compétences

Ce qui est souvent perçu comme le cœur de la Réforme, soit l’application de l’approche par compétences et la réécriture des programmes au primaire et au secondaire, doit être analysé de façon nuancée.

L’approche par compétences provient du secteur professionnel, de la formation de la main-d’œuvre. Elle a ensuite été appliquée dans le réseau collégial puis, avec la contre-réforme, au primaire et elle est prévue s’appliquer au secondaire à partir de l’automne 2005.

L’approche par compétences, mise sur pied sous l’impulsion de l’OCDE, consistait à promouvoir l’adaptabilité, la faculté de communiquer, le travail en équipe et l’initiative, qualités essentielles pour les entreprises. Or, cette tendance correspond à l’évolution que connaît la pédagogie, qui préfère apprendre aux élèves à réfléchir et à apprendre par eux-mêmes plutôt qu’à apprendre par cœur une série de connaissances. Ainsi, les savoirs transmis doivent maintenant être contextualisés et déboucher sur des savoir-faire. Les compétences polyvalentes et sociales doivent permettre l’adaptabilité à des situations mouvantes et un apprentissage tout au long de la vie.

On se retrouve donc dans une situation paradoxale où une conception utilitariste des compétences est appliquée dans les secteurs près des entreprises (le professionnel et le technique en tête). Par contre, au primaire, une définition très large des compétences ne permet pas d’assimiler mécaniquement l’application de l’approche par compétences à une dérive utilitariste, mais plutôt à la lutte entre cette vision et celle issue de la tradition progressiste et expérimentée au Québec dans le cadre des écoles alternatives.

Quelques perspectives

Plus que le nécessaire et urgent besoin de refinancement de l’école publique, c’est l’école en entier qu’il faut repenser. Sur le plan structurel, il faut éliminer le financement public de l’école privée tout comme la compétition entre les écoles et entre les collèges. Le réseau public doit garantir un curriculum national et la seule décentralisation doit aller dans le sens de donner plus de pouvoir aux acteurs de l’école, c’est-à-dire les travailleurs et travailleuses et les étudiantes. Le réseau doit aussi être laïc et former aux savoirs et développer les capacités de libre jugement et d’argumentation collective au détriment de la parole d’autorité.

Il faut élargir le droit à l’éducation en visant un taux de diplomation pour le secondaire de 90 % et en augmentant la diplomation au niveau collégial et universitaire. Il faut non seulement défendre le DES comme une norme sociale mais porter à dix-huit ans le seuil au-delà duquel vient le temps de la spécialisation. Le principe de l’éducabilité cognitive des élèves doit être l’axe organisateur de la culture professionnelle des enseignants. La réelle gratuité et la lutte à l’endettement étudiant doivent aussi être respectées.

L’école ne doit pas considérer les élèves comme des ressources humaines à développer pour l’entreprise, et s’enfermer dans la logique de l’employabilité immédiate qui emprisonne les jeunes dans des ghettos d’emplois. Dans ce sens, l’école doit établir des passerelles permettant le passage entre plusieurs orientations possibles. Une formation vraiment qualifiante fournira des moyens intellectuels généraux de dominer son travail futur, quelles que soient les spécialisations retenues. Nous devons aussi favoriser la reconnaissance nationale des diplômes et non la reconnaissance par institution, et encore moins la soumission à l’évaluation individuelle des compétences qui détermineraient les conditions de travail.

Il faut aussi donner comme mission à l’éducation de favoriser le passage de la résignation à l’action collective. Il faut alors miser sur la transmission d’une culture qui démontre qu’il existe des problèmes qui sont d’ordre social et des outils pour les aborder (œuvres littéraires, artistiques, mathématiques, technologiques, sportives). Il faut aussi s’affranchir de la pédagogie et de l’enseignement axés sur un individualisme forcené pour plutôt favoriser les aspects collectifs des études.

Enfin, on ne peut imaginer aucun progrès éducatif si les travailleur-se-s de l’éducation n’ont pas les moyens matériels, une charge de travail et une stabilité qui leur permettent d’offrir une éducation de qualité.

Conclusion

Les coupures massives dans l’éducation liées à des baisses d’impôt des plus riches et des entreprises et doublées d’une école à deux vitesses assujetties aux entreprises, voilà la vraie contre-réforme mise en place par le PQ et poursuivie par le PLQ.

Les questions de l’application du non-redoublement de classes par les élèves, de la collégialité (entre le personnel), du socio-constructivisme (comme théorie pédagogique), de la laïcité sont parmi les sujets sur lesquels la gauche politique et sociale doit développer un discours plus poussé. C’est ce que nous espérons vous présenter dans des textes à venir.

Thèmes de recherche Education et enseignement
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