Regards croisés sur le système (…)

Décision Chaoulli et AGCS

Menaces majeures au système public de santé

par Lucie Mercier

Lucie Mercier

L’arrêt Chaoulli et la levée de l’interdiction de l’assurance privée qu’il impose risque d’avoir des conséquences importantes si on l’analyse à la lumière de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). En vertu de cet accord obligatoire pour les pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Canada s’est engagé à ouvrir graduellement le commerce des services au marché. Pour ce faire, il a soumis la liste de ses engagements, laquelle ne comprend pas la santé et les services sociaux. Toutefois, elle comprend les services financiers, dont les services d’assurance. Le système de santé public financé principalement par les citoyennes à travers leurs impôts est assimilable, dans sa portion financement, à un régime d’assurance. C’est par ce biais qu’il est soumis à l’Annexe sur les services financiers de l’AGCS.

L’AGCS prévoit qu’un État peut décider de soustraire certains secteurs de l’application de l’accord. C’est ce qu’on appelle « l’exclusion relative au pouvoir gouvernemental ». Cette exclusion s’applique si le service n’est pas offert sur une base commerciale ou s’il n’est pas fourni en concurrence. Ainsi, l’exclusion vise d’abord la santé et les services sociaux. Toutefois les services financiers, dont les assurances, sont régis par l’Annexe sur les services financiers. Le gouvernement canadien n’a pas exclu les services de santé et les services sociaux qu’il offre de l’application de l’Annexe sur les services financiers. Concrètement, cela signifie que si le gouvernement du Québec autorise les compagnies d’assurance privées à offrir des produits d’assurance en concurrence avec ses propres services, comme le suggère le jugement Chaoulli, « l’exclusion relative au pouvoir gouvernemental » ne tient plus et ces services deviennent soumis à l’AGCS.

À la lumière de l’AGCS, quelles conclusions tirer de la décision de la Cour suprême ? Il faut reconnaître que cette décision constitue une menace majeure pour l’avenir du système public de santé. Présentement, les compagnies d’assurance ne peuvent offrir que de l’assurance maladie complémentaire pour couvrir les frais médicaux non assurés par les régimes publics. Depuis quelques années déjà, l’industrie de l’assurance se dit prête à prendre le relais du secteur public dans ce secteur. Si le gouvernement du Québec autorisait l’industrie à offrir des produits d’assurance pour les services de santé et les services sociaux qu’il offre déjà, il est clair que le système de santé du Québec se dirigerait tout droit vers un système à deux vitesses. L’industrie de l’assurance accroîtrait ainsi de manière plus qu’appréciable son marché. En 2002, l’Association des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) affirmait que le Régime général d’assurance médicaments « a représenté de bien meilleures possibilités commerciales qu’une ouverture au privé […] Sur le 1,2 milliard de dollars de primes perçues annuellement par les assureurs à travers le Québec, près des trois quarts sont liées à l’assurance médicaments. » [Le Devoir, 1er novembre 2002] À la fin de l’année 2003, 108 sociétés d’assurances de personnes faisaient affaires au Canada.

Selon Martha Jackman de l’Université d’Ottawa, le recours à l’assurance privée n’est qu’une des possibilités qui s’offre au gouvernement du Québec pour répondre au jugement de la Cour suprême. Selon elle, le gouvernement peut recourir à la réglementation des listes d’attente, au renforcement des mesures pour assurer la séparation des services privés et publics ou encore à la reconnaissance d’un droit d’accès aux services sans empêchement. Il est impératif que le gouvernement du Québec adopte une ligne de conduite qui ne mette pas en péril l’avenir du système public de santé.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème